lundi 26 janvier 2009

Ibn Khafâdja : l’amateur des jardins de l’Andalousie, deHamdane Hadjadji,




LITTERATURE ARABE

J'ai le plaisir de publier ici un entretien très intéressant paru dans la presse à la suite de la sortie de
Ibn Khafâdja : l’amateur des jardins de l’Andalousie, Hamdane Hadjadji, ed. Al Bouraq,
Paris 2006.
L'AUTEUR
Hamdane Hadjadji est un universitaire algérien, docteur ès lettres en langue et littérature arabes, spécialiste de la poésie andalouse et de la didactique de l’arabe moderne. Il a longtemps enseigné en France et en Algérie. Il est l’auteur de monographies en arabe et en français, et de plusieurs anthologies bilingues arabe-français dont Ibn Khafâdja, l’amant de la nature et Les Arabes et l’amour avec André Miquel. Il a conçu avec Houaria Kadra, une Méthode d’arabe moderne, bilingue, pour adultes, accompagnée d’un CD paru chez Ibis Press en 2004.
Hamdane Hadjadji fut aussi mon professeur de version arabe lors de mes études de licence à Alger. Je veux lui témoigner ici mes remerciements et toute ma considération.
L'OUVRAGE
Dans son ouvrage consacré à Ibn Khafâdja, L’Amateur des jardins de l’Andalousie, Hamdane
Hadjadji nous guide à travers l’univers raffiné d’un poète et dans le dédale de sa poésie. Invitation au voyage. Voyage en un lieu, Valence et la Huerta, le pays des jardins et des vergers andalous : «Un terroir heureux pour un amant de la nature». Voyage en un temps – Ve siècle de l’Hégire, XIe siècle de l’ère chrétienne – où les puissants aimaient à s’entourer de poètes et de lettrés. Ibn Khafâdja est de ceux-là, avec cette différence que, durant la majeure partie de sa vie, son goût de l’indépendance, son aisance matérielle le mirent à l’abri de la vie agitée des cours. C’est cette existence d’un homme qui se voulait libre, tout imprégné de la beauté de sa terre natale à la source de son exigence esthétique, qui nous est livrée dans sa
constante et douloureuse tentative d’adaptation aux changements de pouvoirs.
Avec une précision d’exégète, l’auteur cerne son personnage, le débusque comme un chasseur
d’images sous toutes les facettes de sa création. Hamdane Hadjadji choisit de traiter l’objet de sa recherche selon un plan classique et néanmoins efficace : la vie et l’oeuvre. Il démonte tous les ressorts qui font de l’homme un poète : ses maîtres, ses amis, ses sources d’inspiration. En un temps où chacun rêvait d’égaler une célébrité orientale, Ibn Khafâdja naît à la
poésie sous l’influence des poètes irakiens – Mutanabbi, Charîf ar Radiyy, syrien – Abdal Muhsin aççûrî – ou d’origine persane comme Daylamî, sans oublier l’influence inavouée de Çanawbari, le poète de la nature. Nature au charme suggestif sans laquelle le talent d’Ibn Khafâdja n’aurait pu s’épanouir. Celui que l’on appela aussi le Çanawbari de l’Espagne, et qui influencera à son tour la future école andalouse, est un poète hors du temps par l’universalité de ses sources d’inspiration que sont la nature, la mort, l’érotisme, l’amitié. L’auteur tente un audacieux rapprochement avec Rousseau et ses Rêveries d’un promeneur solitaire. Mais il est aussi paradoxalement poète de son temps en devenant après une longue période de silence consécutive à la chute de Valence et au règne d’intolérance des Almoravides, un poète officiel en quête de protecteur. L’homme, libre de toutes contraintes qui cultivait son art pour le plaisir et qui conviait le lecteur à la jouissance et à la recherche du beau dans ses poèmes bachiques et érotiques, sera contraint sous la pression des religieux de renier sa jeunesse libertine. Menacé de persécution pour hérésie, lui qui jadis dénonçait les religieux en viendra même à renier son biographe et ami Ibn Khâqâm qui évoquait sa vie licencieuse. Devenu poète officiel, il se console en choisissant pour protecteur des hommes avec qui il se sent des affinités : «C’est alors que je me suis de nouveau tourné vers la
poésie pour en faire les ornements du manteau de mon maître par amour pour sa personne, et non par intérêt… »
Ibn Khafâdja meurt à l’âge de quatre-vingt-trois ans dans le tourment de la solitude, évoquant en ces vers ses regrets et sa détresse : «Pleure ma jeunesse passée et qu’il faut oublier, une âme qui n’a gardé que sa douleur !»

La postérité retiendra surtout ses poèmes issus de la période épicurienne. Il demeure pour nous le poète de la nature, annonçant la vague romantique, des siècles avant son déferlement.

Meriem Nour

L'ENTRETIEN Pourquoi avoir consacré cet ouvrage au poète andalou Ibn Khafadja ?

Cet ouvrage a été une thèse de doctorat de 3e cycle que j’ai préparée à la Sorbonne sous la direction du professeur Régis Blachère et que j’ai publiée par la suite en français puis en arabe à Alger. Cette précision faite, j’en viens aux motivations de ce choix ; j’ai découvert l’Andalousie à travers la musique andalouse qui a bercé mon enfance par la voix inoubliable de Dahmane Ben Achour – que Dieu lui accorde sa miséricorde – qui venait assez souvent à Miliana, ma ville natale, où il était très apprécié et en particulier à l’occasion de la fête des
cerises. Son oeuvre intégrale est en cours de réimpression.
En second lieu, j’avais remarqué que l’Andalousie avec toutes ses richesses culturelles et artistiques occupait une place très réduite ; la plupart de nos chercheurs lui ont
préféré l’Orient ; on regardait Damas puis Baghdad surtout plutôt que Cordoue, et pourtant ! ne fallait-il pas essayer de rétablir l’équilibre ? Et maintenant pourquoi Ibn Khafadja ? J’avais remarqué là aussi qu’il n’avait fait l’objet d’aucune étude en dehors de quelques articles dispersés dans des revues alors que son diwân, l’un des rares qui nous soit parvenu dans son
intégralité, avait fait l’objet de plusieurs éditions ; enfin une raison subjective et sans doute inconsciente se rapporte aux thèmes de la nature qu’il a privilégiés dans sa poésie. Or, à Miliana, la nature ne manquait pas de charme ; n’y avait-il pas là une ressemblance, peut-être
rassurante pour moi, d’être dans un environnement familier ? C’est possible.
Par son cheminement, que nous enseigne-t-il aujourd’hui ?

Ibn Khafadja a été un admirateur de la beauté ! Que chacun la découvre dans sa vie ; si pour lui ce fut la nature verdoyante, les jardins fleuris, le murmure des ruisseaux ; mais aussi une nature paisible, consolatrice ; une confidente intime comme peut l’être une belle femme qu’on aime ; pour d’autres la beauté serait dans l’art, dans la musique, dans la peinture ; chacun peut trouver sa source de jouissance dans son monde réel ou imaginaire. Il nous invite à profiter de la vie, de tout ce qu’elle recèle de beau, de plaisant pour s’éloigner, autant que faire se peut, du mal être ; à nous désintéresser des honneurs et des biens matériels périssables ; de veiller à préserver notre dignité et notre liberté à l’écart des cercles du pouvoir et des puissants du jour.

La poésie a toujours occupé une place importante dans la vie culturelle et intellectuelle arabe, Ibn Khafadja procède-t-il de cette démarche ?

Rappelons que les poètes, en ces temps-là, étaient pour la plupart des poètes courtisans dépendant du bon vouloir du Prince pour vivre car la majorité était d’origine très modeste et la poésie était la voie royale pour changer de statut et améliorer leurs conditions de vie ; Ibn Khafadja n’était pas du tout dans cette démarche, on peut dire qu’il était atypique pour deux raisons : être né dans une famille aisée qui lui laissa des biens, ce qui le dispensa des soucis
matériels, aussi n’a-t-il à exercer aucun métier, il pouvait se livrer à la poésie à longueur de temps, une poésie donc toute personnelle, il cultivait l’art pour l’art, d’ailleurs la plupart de ses compositions – du moins avant l’arrivée des Almoravides – se limitaient à quelques vers, 5 à 10 au gré de l’inspiration du moment, ce qui nous a valu des tableaux pleins de vie et de fraîcheur ; Ibn Khafadja ne décrit pas la nature, il la transfigure en lui prêtant des sentiments humains, ce qui a fait son originalité.


Pensez-vous que de nos jours la poésie ait autant d’importance dans le monde arabe ?

Il est difficile de répondre à cette question car les temps ont changé ; dans le temps, les poètes étaient des courtisans au service d’un protecteur, ils étaient chargés de mettre en valeur ses exploits car il fallait plaire pour mériter une rétribution ; mais aujourd’hui ce n’est plus le cas ; la poésie a encore sa place dans notre société mais sa fonction a changé, elle est un moyen de communication particulier, le poète n’a pas perdu son aura, il continue à occuper une place privilégiée parmi les siens car, par son engagement au service d’une cause politique, sociale ou économique, il est à même de répondre à l’attente de ceux qui l’écoutent et dire poétiquement ce qu’ils ressentent et ne peuvent verbaliser.

Propos recueillis par Meriem
Nour et Bachir Agour




1 commentaire:

jp a dit…

bonjour
cet ouvrage présente-t-il un intérêt pour la connaissance des jardins ibérico mauresques ?
je veux dire les poésies évoquent-elle des plantes, des fleurs, des parfums ?
meric