dimanche 31 janvier 2010

IBN ARABI ET GANDHI: Les recoins du cœur et de l’esprit



Les recoins du cœur et de l’esprit

Si Galilée (1564-1642), en dépit de ses déboires avec l’Eglise et les réfractaires à tout ce qui est rationnel, soutenait que le monde est écrit en langage mathématique, le grand soufi andalou, Ibn Arabi (1165-1240) et le grand pacifiste, le mahatma Gandhi (1869-1948), quant à eux, n’eurent pas la prétention d’introduire le monde dans quelque équation, dès lors qu’il s’agissait pour eux, avant tout, de se situer dans l’ensemble de l’univers en empruntant, à quelques différences près, le même chemin, celui de l’amour. Gandhi se disait, en effet, à la fois brahmanique, chrétien et musulman dans une Inde tourmentée politiquement et soumise à la botte du colonialisme britannique. Il était impossible, selon sa vision, d’atteindre quelque port d’attache sans avoir préalablement calmé les esprits au sein de toutes les sectes, castes et extrémismes de tous bords. Il crut donc bon de se mettre à table et de goûter à tous les mets, à toutes les sauces. Cela ne l’a tout de même pas empêché d’endurer le pire durant toute sa vie.

Avant lui, Ibn Arabi avait fait montre d’un cœur au-dessus de sa fortune en déclarant dans un poème-manifeste : « Mon cœur est temple pour les idoles, Mecque pour les pèlerins, couvent pour les moines, prairie pour les gazelles, tablettes de la Torah et Livre du Coran. Je suis la religion de l’amour, partout où se dirigent ses montures. L’amour est ma religion et ma foi. » Au vrai, nul ne sait ce qu’il y a dans le cœur d’un soufi, comme celui d’Ibn Arabi, ni celui d’un ascète comme Gandhi. La parole, ne révélant pas grand-chose, pourrait être, dans les deux cas d’espèce, un leurre puisque la nature première de l’homme exige que l’on s’intéressât à ce qui est palpable au premier chef. N’en a-t-on pas justement la preuve jusque chez les prétendants à une explication exhaustive de l’existence, mathématique fut-elle, religieuse, politique ou cosmogonique ? Certes oui, la plupart d’entre eux ont été livrés à l’incompréhension de leur entourage direct, ou encore jetés en prison, suppliciés et exécutés.

Pour des raisons politiques, et peut-être encore, pour des raisons humanistes, terre à terre, le mahatma Gandhi a fini sa vie de combattant pacifiste avec trois balles dans le corps, tirées à bout-portant par quelqu’un de sa propre obédience. Il a eu, peut-être, le tort de vouloir se dresser contre la stupidité des hommes, là où il aurait fallu donner du lest et laisser ces mêmes hommes, ballottés par une histoire d’une rare violence, agir au gré du quotidien. Son compagnon, Nehru, semblait avoir compris mieux que lui la configuration de l’Inde en se montrant circonspect à l’égard de tout ce qui touchait aux croyances et sectes de son pays. L’amour n’est pas forcément la meilleure approche pour aplanir toutes les difficultés de l’existence.

Ibn Arabi, l’un des plus beaux fleurons du soufisme dans toute l’histoire de l’humanité, devait, quant à lui, terminer ses jours loin de son Andalousie natale pour avoir tenu à mettre toute l’existence dans une simple équation soufie, si tant est que le soufisme pouvait se contenter d’être confiné dans une telle équation. Ce grand homme a fini ses jours incompris, malmené par des jurisconsultes à la traîne des différents pouvoirs politiques et religieux. Est-ce à dire qu’on a beau être instrumenté pour aller quelque part se ressourcer – donc pour décrypter ce qu’il y a de mystérieux dans la vie de l’homme –, on finit toujours par revenir bredouille ? Faut-il donc continuer à croire que tous les instruments sont et ne sont pas nécessaires, en même temps, à la compréhension de ce mystère appelé être humain.
Par Merzak Bagtache
El Watan:Edition du 30 janvier 2010
Source: http://www.elwatan.com/Les-recoins-du-coeur-et-de-l





Merzak Bagtache:
Né en 1945, ancien journaliste à l'APS, trilingue Arabe/Français/Anglais, il est entré en littérature dans les années ' 60 avec, d'abord des recueils de nouvelles puis une dizaine de romans.
Membre du Conseil Consultatif National créé par le président Boudiaf en 1992, il a été blessé grièvement lors d'un attentat terroriste.
Son dernier roman, en arabe dialectal Khouya Dahmane est édité par Casbah Editions - Alger (2000)

1 commentaire:

Benbabaali saadane a dit…

Bonjour Anonyme!
En relisant bien l'article , vous trouverez peut-être comme moi les raisons qui ont poussé Merzak Bagtache à associer ces deux grandes figures apôtres de l'amour et victimes d'incompréhension. Bonne re-lecture.