vendredi 1 février 2013

IBN AL KHATIB : 2EME PARTIE

De tous ses maîtres, l’un des plus déterminants fut, sans doute, Abu l-Hassan Ibn al-Jayyab, chef de la chancellerie nasride et vizir, auquel il succèdera dans ces charges lorsqu’il meurt à minuit le mercredi 23 Shawwâl 749 (nuit du 13 au 14 janvier 1349). Jusqu’alors, Ibn al-Khatib se serait détaché peu à peu dans le monde des lettres, dans une Grenade troublée par les actes violents : assassinats d’Ismail lundi 26 de rajab 725 (8 juillet 1325), du vizir Muhammad b. Ahmad b. Muhammad b. al-Mahrûq le 2 de muharram 729 (6 novembre 1328), du fils et successeur de Ismail I, Muhammad IV, mercredi 13 de dhû l-hijja 733 (25 août 1333), etc.
Dans son diwân, Ibn al-Khatîb mentionne lui-même le premier poème qu’il pensait avoir composé (n° 181, mètre mutaqârib, rime –da, 7 vers) et des vers de jeunesse divers (zamân al-hadata wa-ana shâbb) (poèmes n° 507, 508, 590, 625), sans plus de précision chronologique. Le poème le plus ancien dont nous connaissons la date de composition est de 732 (1331-1332), lorsqu’Ibn al-Khatîb avait alors 18 ans environ. Il s’agit (Diwan, n° 91) de félicitations adressées au sultan Muhammad IV (g. 725-33 = 1325-33), lorsque ce dernier, de deux ans plus jeune qu’Ibn al-Khatîb revient d’un voyage au Maghreb ; il lui récita ce poème, qu’il considère parmi les premiers, dans l’Alcazar du Sayyid à Malaga (mètre kâmil, rime –atiha, 38 vers). Après cela, il rapporte qu’il récita un bon nombre de poèmes à l’occasion des grandes fêtes célèbrées à la cour nasride, surtout pendant le gouvernement du frère de Muhammad IV, Yusuf I (g. 733-755 = 1332-1354).
Une date importante non seulement dans la vie d’Ibn al-Khatîb mais aussi dans celle de beaucoup d’autres grenadins et, en général, dans l’histoire de l’état nasride, fut le lundi 7 de Jumâda I 741 (30 octobre 1340). Ce jour-là eut lieu la bataille du rio Salado, aux alentours de Tarifa, occasionnant une grande défaite pour les troupes alliées nasrides et mérinides face aux castillans. Ce jour-là moururent un grand nombre de grenadins et, parmi eux, le père et le grand frère d’Ibn al-Khatîb qui avait presque 27 ans. De l’élégie qu’il dédia à son père, nous ne connaissons que 4 vers (mètre tawil, rime –ti, Diwan II, n° 394, Nafh V, 18).
La relation entre, d’une part Ibn al-Jayyâb, qui perdit prématurément son fils Abû l-Qâsim, et, d’autre part Ibn al-Khatîb après la mort de son père, a dû devenir plus forte, à tel point que M. J. Rubiera (Ibn al Jayyâb, 53) la qualifie d’adoption spirituelle mutuelle d’un père pour un fils ; le maître en venant même à promettre en mariage sa propre fille à son disciple, comme cela était fréquent dans beaucoup de cas, même si l’union ne se réalisa finalement pas, puisque nous savons qu’Ibn al-Jayyâb rendit sa dôt à son disciple (Nafh, V, 129 ; Azhâr, I, 221 ; al-Bunnahi utilisera plus tard ce fait contre Ibn al-Khatîb). L’union matrimoniale n’a pas fonctionné non plus avec une autre famille grenadine importante, les Banû Juzayy (ibid.), avec laquelle il semblerait qu’ Ibn al-Khatîb a tenté plusieurs fois de se faire une place par ces unions matrimoniales, comme l’avait fait son grand-père Sa’id. Il finit par se marier avec Iqbâl, dont nous ne connaissons pas l’appartenance familiale. Le mariage a dû avoir lieu en 742 (1341), puisque le 17 de safar 743 (13 juillet 1342) naissait le premier des trois fils, Abd Allah.
Avant d’être père, le jeune Ibn al-Khatîb est nommé secrétaire personnel (kitabat al-sirr) de Yusuf I (Ihata, IV, 443, Lamha, 104/114), dans le cadre d’une carrière ascendante qui visait déjà les postes les plus haut-placés, d’autant plus que l’âge de son maître Ibn al-Jayyâb était avancé. En qualité de secrétaire, au printemps 748 (1347), il accompagna le sultan nasride durant le voyage que celui-ci effectua dans les contrées orientales de son royaume, et qui eut comme fruit l’œuvre Khatrat al-tayf wa rihlat al-shitâ wa-l-sayf (Apparition de l’image rêvée et Voyage d’hiver et d’été), où est décrit ce voyage depuis leur départ de Grenade le dimanche 17 de muharram 748 (29 avril 1347) jusqu’à leur retour à la capitale du royaume le dimanche 8 de safar (20 mai). A la fin de cette même année, il compila, pour la première fois, son propre « dîwân », qu’il intitula al-Sayyib wa l-Jahâm (Les nuages avec et sans pluie). Auparavant, il avait compilé le « divan » de son maître de Malaga, Ibn Safwan, précisément en 744 (1343), et certainement aussi celui de son maître de Grenade Ibn al-Jayyâb. D’autres œuvres ont été probablement composées lors de cette première partie de sa vie, comme les écrits biographiques al-Tâj al-muhallâ (La couronne orneé) et son complément al-Iklil al-zâhir (Le diadème resplendissant), dédiés à Yusuf I ; al-Niqâya ba‘da l-kifaya (La sélection après la suffisance) et Turfat al-‘asr (Nouveautés Contemporaines), une chronique aujourd’hui perdue sur la dynastie nasride, qu’il dédia aussi à Yusuf I, tout comme Talkhîs al-dhahab (Purification de l’or).
Ibn al-Jayyâb meurt début 1349, à un âge avancé, en pleine épidémie de peste, bien que, apparemment, pas des suites de cette maladie très dévastatrice. Il ne survit donc pas pour voir inaugurée la Madrasa grenadine de Yusuf I, dont l’un des murs porte l’inscription de quelques vers d’Ibn al-Khatîb (Diwan, nº496) et qui ouvrit ses portes au printemps de 1349, devenant vite tout un référent culturel au sein du monde islamique occidental. Les plus illustres maîtres fréquentèrent ses salles. Cinq jours après l’enterrement d’Ibn al-Jayyab, Ibn al-Khatîb récita devant la tombe de son maître une élégie remplie d’éloges (mètre kâmil, rime –aqi, 48 vers ; Ihata IV, 147-9, Diwan II nº 635 ; tr. Rubiera, Ibn al-Yayyab, 56-8).
C’est un Ibn al-Khatib toujours plus mature qui occupa le siège laissé vacant par son maître, montant en flèche jusqu’aux plus hauts postes de la chancellerie et occupant également le poste de vizir. Le document le plus ancien daté d’Ibn al-Khatib est du 13 de muharram 750 (3 avril 1349) (v. Rayhana, I, 359-64).
A cette période moururent de nombreuses personnes : certaines, à la suite d’une tragique épidémie de peste, de laquelle Ibn al-Khatib parvint à échapper indemne, et d’autres, de mort naturelle, comme il semble que ce fut le cas de Fatima, la fille de Muhammad II, mère d’Ismail I et, par conséquent, grand-mère du sultan en place, Yusuf I, décédée à l’aube du dimanche 9 de du l-hiyya de 749 (1er mars 1349), âgée de 90 ans lunaires. Ibn al-Khatib, vu son rang, était déjà présent à tout type d’évènement, aussi bien festifs que douloureux. Ainsi, il récite une élégie à une importante figure féminine de la famille nasride, qui fut le gond entre les deux branches qui finirent par gouverner (Diwan I n°302 ; 42 vers, mètre tawil, rime –ri, dans Ihata, I 379 seulement 8 des premiers vers). Quelques années plus tard, lorsque le 1er de shawwal 755 (19 octobre 1354), le sultan Yusuf I fut assassiné, Ibn al-Khatib fut chargé de rédiger le texte de son épitaphe, aussi bien la partie en prose que la partie lyrique (Ihata IV 333-7, Diwan I n°303, seulement les vers, 27, face aux 25 de la Ihata mètre tawil, rime –ri), en plus de lui dédier d’autres vers de condoléances (Diwan, I n°83, II 478, Ihata IV 336-8). Ibn al-Khatib avait été également un des poètes-courtisans de Yusuf I qui avait vu ses vers gravés sur une des grandes constructions de ce sultan nasride : la tour de l’Hommage (Diwan I n°127 et 128), devenant ainsi l’un des poètes de l’Alhambra.
Quelque temps auparavant, le 25 de dhu l-qi’da 753 (2 janvier 1353), lorsque mourut un autre de ses maîtres, Ibn Hudayl al-Tujibi, Ibn al-Khatib lui-même se chargea des funérailles et fit en sorte qu’il reçoive une sépulture dans le cimetière de la Porte d’Elvire face à son épouse, morte peu de temps avant, pour que leurs os se mêlent dans la terre selon le désir exprimé par Ibn Hudayl al-Tujibi (Ihata IV 400-1).
Parmi les maghrébins qui, à cette époque, se rendirent à al-Andalus, il faut signaler Abu ‘Abd Allah Ibn Marzuq (Tlemcen, 711/1310 – Le Caire, 781/1379), que Ibn al-Khatib avait connu durant les préparatifs de la Bataille du Salado en 741 (1340), bien que ce fut certainement durant l’exil de Ibn Marzuq à Grenade, où il arriva à la fin de l’année 748 (vers la fin mars 1348), lorsque la fructueuse relation amicale commençait à prendre forme. En plus d’être nommé « khatib » de la mosquée le 6 de safar 753 (24 mars 1352), il fut également maître de la Madrasa. Son séjour grenadin se prolongea jusqu’au début de sha’ban 754 (environ le 1er septembre 1353), lorsqu’il retourna au Maghreb pour prêter ses services au sultan Abu ‘Inan. La relation se poursuivra au point de se retrouver plusieurs fois ensuite à Fès.
Abu ‘Abd Allah al-Maqqari, ancètre de celui qui lui dédiera la biographie mentionnée deux siècles et demi plus tard, est un autre maghrébin, qui visita Grenade et maintint une bonne relation avec Ibn al-Jatib. Al-Maqqari, cadi suprême de Fès, arriva à Grenade avec une délégation mérinide au début de Djumada II 756 (13 juin 1355). Avec lui, et avec un autre maître, maghrébin arrivé à al-Andalus en 753 (1352-1353), Mansur b. ‘Ali b. ‘Abd Allah al-Zuwawi, Ibn al-Khatib visita la Rabitat al-‘Uqab (Rabita del Águila, actuel ermitage de los Tres Juanes, à Atarfe), dans la mosquée de laquelle ils prièrent à midi le dimanche 29 de rabi II 757 (1er mai 1356). Ce jour-là, al-Zuwawi, qui enseignait dans la Madrasa grenadine, donna la idjaza (licence d’enseigner) a Ibn al-Khatib et ses trois fils : ‘Abd Allah, Muhammad et ‘Ali (Ihata, III, 329).
Il est curieux que le célèbre voyageur Ibn Battuta, lorsqu’il visita Grenade aux alentours de 751 (1350), ne mentionne pas Ibn al-Khatib dans son récit. Il est possible qu’ils ne se soient pas rencontrés alors ; en revanche, on sait qu’ensuite, ils se connurent au Maghreb car Ibn al-Khatib acheta même une terre proche de celui-ci lorsque Ibn Battuta était cadi de Tamasna (Nufada, II, 137-138).

TRADUCTION DE L'ESPAGNOL: AURORE DUCELIER, ÉTUDIANTE EN MASTER

1 commentaire:

comment grossir a dit…

bravo pour ce point de vu