jeudi 23 octobre 2008

FIN'AMOR, Amour courtois: entretien avec J. C. Marol


Gisant: Alienor d'Aquitaine et Henri II

LA FIN'AMOR, EXEMPLE POUR AUJOURD'HUI ?

Jean-Claude Marol, architecte puis dessinateur humoristique et conteur, animait des "partages de parole" avec les enfants des écoles et des stages destinés à réveiller notre héritage chevaleresque. Dans ses derniers livres, il a rétabli la vérité sur l'amour dit "courtois" : l'image du troubadour éthéré chantant sa passion pour la Dame hélas inaccessible ne correspond ni aux écrits ni à l'époque. Ni à ce sentiment lui-même, dont l'auteur, peu avant sa mort, nous invitait à découvrir la truculente vigueur.

Q : En quoi le terme "amour courtois" est-il inapproprié ?

JEAN CLAUDE MAROL: Comme "moyen-âge", il vient du XIXème siècle, qui eut ses propres filtres. Les troubadours utilisaient plutôt "fin'amor", pour exprimer combien il s'agissait pour eux d'aller jusqu'au bout, mais avec finesse et conscience de la fin de toutes choses. Le premier d'entre eux, Guillaume de Poitiers, duc d'Aquitaine (1O71-1126), le définissait comme une soumission (obedienz) à ce "féminin" qu'à l'époque on nommait "la dame", de Domna, celle qui domine. Subversive, amorale, absolue, l'aventure des troubadours renverse les rôles.

Q : Nous sommes au XIIème et XIIIème siècles, le temps des croisades et des cathédrales. L'ouverture aux textes grecs et arabes, eux-mêmes nourris des cultures juive, persane et indienne, provoque un bouillonnement de la pensée. En quoi cela recompose-t-il le terrain amoureux ?

J-C M : Ces turbulences provoquent une extrême mobilité des comportements et des rapports possibles à l'amour, allant du plus charnel au plus mystique. Chacun s'efforce de garder l'équilibre et, selon sa sensibilité, trouve sa solution. En cela, l'époque ressemble àla nôtre. On y voit des femmes mariées se faire nonnes, puis retrouver leurs époux, avoir des amants, partir à la croisade, maniant la lance avant de redevenir nonnes, ou autre chose, dont troubadours. Elles brillent d'une vitalité et d'une finesse que ne laisse pas entrevoir le filtre du poète qui encense la dame. Elles chantent les hommes autant que le contraire, et bien souvent avec une verve plus truculente. Parfois, elles vitupèrent contre ces amants courtois qui ne vont pas au bout de leurs intentions, qui ne font pas l'amour à fond. Quant aux hommes, s'ils savent s'exclamer, comme Raimont de Cornet, "j'adore surtout lui peloter les fesses !", leur dame ressemble beaucoup à la Shakti indoue, avec sa flèche pour symbole. Elle anime le jeu, éveille l'esprit chevaleresque. Certes, la contemplation de l'autre alimente l'amour, mais l'acte charnel est aussi respecté comme source de joie et fontaine de jouvence. "Pour ne plus vieillir, j'aime", écrit Guillaume. Il chante la joie d'être un à deux, de se donner le souffle, de s'animer l'un par l'autre d'une énergie qui éveille.

Q : On pense au taoïsme ou au tantrisme ?

J-C M : Oui, l'amour nourrit le corps et le régénère, et vive-versa. Dans la langue des troubadours, corps et coeur se disent tous deux cors. La grisaille affective et sensuelle d'aujourd'hui devrait s'inspirer de cet élan. Alors que nous parlons beaucoup de recherche et de quête, troubadour vient de trobar, trouver. L'amour n'est pas ailleurs, il s'incarne ici dans la réalité. La joie de prendre son plaisir le plus cru met en phase avec la béatitude, l'éveil, l'extase. La femme condense en elle toutes les dimensions du principe féminin, de l'amante de chair à la mère de Dieu. L'homme, valeureux, chevalier, tire sa force du bonheur qu'il sait lui apporter. Guillaume s'armait d'un bouclier sur lequel était peint le portrait de son amante nue. Il disait : "je la porte au combat comme elle me porte au lit" ! Pour sortir des rapport de force nous devons mettre dans nos relation un peu de cette joie, de ce dynamisme amoureux et joueur, de cette gaieté qui ressucite les aspects vigoureux de l'être et sa capacité chevaleresque à exprimer "vivement" pensées et émotions. Guillaume n'emploie pas les mots de fin'amor ou d'amor cortez. Il dit simplement amor.

Les poèmes de fin'amor ou amour courtois, recueillis par J.-C. Marol

Biblio : Jean-Claude Marol : "L'amour libérée" (Dervy), "La Fin'amor" (Seuil), "Le rire du sacré" et " Paroles de troubadours" (Albin Michel).

Sur l'Inde : "Paroles de Ma Anandamoyi" (éd. Accarias). "Au coeur du vent, mystère

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