mardi 21 octobre 2008

La Littérature arabe classique : devoir de Sylvie Katell, 2002


Je suis très heureux d'afficher dans ce blog le devoir remis par l'une des étudiantes, Sylvie K., qui a suivi mon cours de découverte de la littérature arabe en 2002/2003. Elle a su résumer l'essentiel de ce qui constitue la littérature arabe classique. Bonne lecture! et encore bravo à Sylvie!
Née vers le VI ème s. av. J-C dans la péninsule arabique, la littérature arabe classique n’a cessé de s’enrichir au contact des populations et des cultures étrangères, mais en manifestant un souci constant de la beauté du monde et de la langue arabe qui s’en veut le reflet. C’est pourquoi la littérature arabe classique est dans ses diverses modalités, foncièrement politique, et ceci depuis ses origines les plus reculées. En considérant donc tout particulièrement le rôle du poète ainsi que les thèmes que font apparaître cette littérature, nous étudierons chronologiquement l’évolution de la littérature arabe classique : la poésie pré-islamique qui la fonde, le coran qui en constitue une étape décisive, enfin les formes (contes, poésie) qui manifestent son enrichissement au contact d’autres cultures.

De façon significative, la plus ancienne inscription en langue arabe que nous possédions, datant de 328, fait apparaître le nom d’un poète : Imru’u l-Qays. De fait, la littérature arabe trouve sa source dans la poésie pré-islamique. C’est avant tout une poésie bédouine : elle naît dans la péninsule arabique, territoire désertique où la population est répartie en multiples tribus, souvent en conflit les unes avec les autres. Dans cette société où l’homme est en contact direct avec les forces de la nature , la poésie est conçue sur un mode supra –rationnel : le poète en effet est inspiré par un ğinn, divinité chtonienne créée à partir du feu, que l’on peut assimiler au « daimôn » des Grecs anciens. La vocation poétique est donc surnaturelle et non choisie par le poète , dont tout le talent réside dans l’habileté avec laquelle il sait jouer de schèmes et de thèmes prédéfinis. La forme poétique élue est en effet la qaşīda : longue succession des vers (bayt) constitués de deux hémistiches, et fondés sur les unités du mètre et de la rime. Les plus belles de ces ordres, baptisées Mu`allaqāt, furent suspendues à la Ka`ba de la Mecque.
Si le poète ne choisit pas sa vocation, son rôle n’en est pas moins considérable. Il est en effet l’unificateur de sa tribu, qu’il rassemble et soude par la seule force de sa parole poétique. Parfois son chef, il en est toujours le porte parole et le défenseur : il exalte les hauts faits des guerriers de la tribu et dénigre ceux des tribus adverses. Cette poésie de jactence, véritable joute oratoire, peut aller jusqu’à se substituer aux combats eux mêmes. Ainsi, l’on voit le rôle foncièrement pacifiste et régulateur de la poésie. Umayya ibn Abī Salt est un exemple de ces poètes fortement attachés à leur tribu ; dans ses poèmes, il exalte les vertus et les valeurs de la sienne : gloire, vaillance, solidarité, largesse, clémence… Mais l’importance du rôle du poète a pour corollaire la vulnérabilité : s’il remplit mal les fonctions qui lui sont assignées, il peut devenir un « poète brigand », ou un « poète courtisan », comme Ţarafa.
Les thèmes de cette poésie sont en rapport direct avec la vie réelle : les poètes chantent le désert (ses paysages, ses mystères…), la vie du bédouin (le nomadisme, le contact avec les animaux…), les combats inter-tribaux (en quoi la poésie se rattache aux fameux récits « Ayyām al `arab »), enfin l’amour. car « c’est sous la tente noirâtre de l’arabe bédouin qu’il faut chercher le modèle et la patrie du véritable amour », ainsi que l’écrit Stendhal dans De l’amour. Certains poètes, tels Ţarafa, célèbrent aussi une jouissance toute épicurienne, fondée sur le plaisir trouvé auprès des femmes ou dans une coupe de vin.

Le VIIème siècle constitue un siècle-charnière dans l’histoire de la littérature arabe, où va peu à peu s’imposer le thème de la religion. La révélation du Coran commence en 610, et les poètes qui connaissent à la fois la période pré-islamique et la période révélée sont dits Muĥađramūn. Chez ces poètes, que l’on peut qualifier de hanīf, apparaît déjà le souci d’une quête spirituelle détachée du polythéisme des Arabes de l’ère pré-islamique, et tournés vers une divinité qui n’est pas encore tout à fait Allāh du Coran. On peut citer parmi eux Umayya ibn Abī Şalt et Labīd.
Le Coran fait son apparition proprement dite à la Mecque, en l’an 610. La Mecque est le centre urbain propice aux échanges non seulement commerciaux, mais aussi culturels : elle est en effet située idéalement entre l’Empire Perse et l’Empire Byzantin, et ce n’est peut-être pas indifférent au fait que le Coran présente de nombreux cas d’intertextualité avec d’autres livres saints, en particulier la Bible. Le Coran est lui-même un texte sacré, adressé aux hommes dans la langue des Arabes du Ħiğāz ; il rappelle les messages des prophètes passés, et exhorte les hommes à former une nouvelle alliance avec dieu, fondée sur une éthique communautaire dont bien des valeurs rappellent celles des Arabes bédouins (clémence, générosité, fratérnité…) L’année 622, année de l’Hégire du Prophète Muħammad, marque le début d’une nouvelle ère dans le monde arabe : c’est en effet le début du calendrin musulman, est-ce également une révolution littéraire ?
En effet, le Coran semble moins manifester une révolution qu’une évolution. Le livre sacré, composé de 114 sourates elles-mêmes constituées de versets, peut s’apparenter à un long poème_ ce qu’on lui a repproché, comme signe d’inauthenticité. Le prophète est lui aussi proche des poètes dans la mesure où il se dit inspiré par un être surnaturel : Dieu, qui serait une sorte de « ğinn » tout à fait particulier. De fait, la sourate 26, qui s’intitule « Les poètes », fait apparaître une série de prophètes (Moïse, Abraham, Noé, Houd…), ce qui confirme cette assimilation. Le rôle du poète-prophète est alors d’ouvrir les yeux de ses congénères sur l’existence d’un dieu unique et de les persuader d’adhérer à la foi islamique.

Les thèmes déclinés dans le Coran sont tous au service de ce dessein : la beauté du monde (soleil, nuit, mer, animaux…) se veut la preuve de l’existence d’un dieu créateur et tout-puissant ; les malheurs des peuples impies (les `Ād, les Ŧamūd…) manifestent sa justice ; enfin les peintures du paradis promis doivent engager les auditeurs à rentrer « dans le droit chemin ». Certains poètes de l’ère pré-islamique ont pu suivre Muhammad et chanter à leur tour le dieu de l’Islam, ainsi que défendre la nouvelle communauté musulmane (Umma) Il en fut ainsi de Labīd qui, en se convertissant, a entraîné la conversion de toute sa tribue.

Après l’étape décisive que constitue la Révélation, la littérature arabe continue de s’enrichir grâce aux contacts qu’elle noue avec les cultures étrangères, souvent permis par les aléas de l’Histoire. Les invasions successives des territoires arabes (par les Turcs notamment) permettent en effet la circulation des légendes et des contes, bref de toute une littérature populaire orale à l’origine. Ce phénomène trouve sa plus belle réalisation dans les contes des Mille et une nuits, une œuvre composite tant par ses origines géographiques (Inde, Perse, Iraq, Egypte) que par son étalement dans le temps (du Xème au XVIème s.), mais dont l’unité est assurée par la forme : série de contes imbriqués les uns dans les autres, dérivant tous du compte initial et du personnage de Šahrazād ; et les thèmes qui s’y trouvent déployés : ruse, séduction et savoir de la femme, souffrances de l’hommequi en est la victime, la force de l’amour et de la jeunesse, la fragilité du pouvoir, la beauté enfin qui imprégne autant le fond des contes, tout en prévenant les lecteurs des potentielles perfidies des femmes, en exaltent déjà la supériorité.

Cette supériorité de la femme, et la soumission de l’homme qui en résulte sera en effet le thème principal de la poésie arabo-andalouse, autre aspect de cet enrichissement culturel fondamental. Née dans le sud de l’Espagne au Xème siècle, après que le descendant rescapé de la famille umayyade Abd el-Raħmān eut fondé l’émirat de Cordoue, est remarquable par cette nouvelle vision de l’amour qu’elle propose, proche de l’ « amour courtois » des troubadours français : le poète dit sa totale soumission à sa « Dame », femme désormais idéalisée. Elle est aussi remarquable par sa forme, qui intègre des composantes arabes et espagnoles en renouvelant la forme poétique : usage de plusieurs mètres et de plusieurs rimes, composition strophique, envoi final contenant des mots en espagnol ancien… C’est ce qu’on appelle le muwaššaħ.

Ainsi, de « la tente noirâtre de l’Arabe bédouin », comme le dit Stendhal, aux patios ensoleillés d’Andalousie, l’amour semble demeurer le thème central de la littérature arabe classique, et la poésie la forme par excellence de son expression. Le contact avec les cultures étrangères fut une condition essentielle de son épanouissement qui, bien que marqué par le Coran, n’a pas été entravé par lui. La liberté, inhérente à la poésie, demeure souveraine dans cette littérature.

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