mercredi 22 octobre 2008

HISTOIRE D'AL-ANDALUS



DE LA CONQUETE D’AL-ANDALUS
A LA FIN DES ROYAUMES DES « TAIFAS »
Grenade: vue de l'Alhambra à partir du mirador San Nicolas
PROLOGUE
• 610 : Muhammad Ibn ‘Abd Allâh reçoit les premières révélations .
• 622 : Fuite à Médine ou « l’Hégire » qui marque le début du calendrier musulman.
• 630 : Prise de La Mecque et soumission de la majorité des tribus du Hedjaz.
• 632 : Mort du Prophète à Médine. Début de l’expansion des Musulmans.
• 656-660 : Guerre civile entre ‘Alî, cousin et gendre du Prophète, et les Omeyyades qui l’emportent et fondent la première dynastie califale de l’islam.


I. LA CONQUETE D’AL-ANDALUS

Le troisième terrain d’expansion, et non le moindre, fut constitué par l’Afrique du Nord et l’Espagne. Une première expédition, en 647, montra aux Arabes la faiblesse des Byzantins en Byzacène; une deuxième expédition eut peut-être lieu en 660-663, mais la plus décisive fut celle que conduisit ‘Oqba ibn Nafi’ en 670 et qui aboutit à la fondation d’un camp militaire permanent en Ifriqiya (Tunisie actuelle): Qayrawân (Kairouan); il est possible que ‘Oqba ait atteint l’Atlantique en 681-682 après avoir traversé toute l’Afrique du Nord, mais il périt au cours du voyage de retour à Biskra en 683. L’occupation définitive de ce que l’on appela plus tard le Maghreb (le Couchant, l’Occident) se produisit entre 695 et 708, à la suite de la prise de Carthage (695, puis 698), de la défaite des troupes berbères (702) et de l’implantation des Arabes au Maroc de 705 à 708. Après un bref temps d’arrêt, la progression reprit: en 93/mai 711, Tariq ibn Ziyâd passait en Espagne, occupait Cordoue puis Tolède (octobre-novembre 711). Cinq ans plus tard, la quasi-totalité de l’Espagne était aux mains des Musulmans.

• 670 : Conquête du Maghreb. Kairouan devient une place forte à partir de laquelle partiront les armées musulmanes à l’assaut du Maghreb Extrême et de l’Espagne.
• 710 (juillet) : Un dignitaire byzantin, le comte Julien (exarque de Septem/Ceuta) facilite un raid mené par un officier berbère, Tarif, sur l’île de Tarifa qui se déroule avec succès.
• 711 : Au printemps, un affranchi, d’origine berbère, Tariq Ibn Ziyâd, « mawla » de Musa b. Nusayr, gouverneur de l’Ifriqiya, débarque à la tête de 5000 à 7000 hommes sur le « Rocher » qui gardera son nom : Gibraltar (= djabal Târiq).
• Le 19 juillet se produit le choc décisif : le roi wisigoth Roderic est défait au « Wâdi Lago », le rio barbate.

La conquête de l’Espagne va être réalisée rapidement et sans grande difficulté du fait de la décomposition du royaume wisighotique. Les armées musulmanes ne rencontrent pas de résistance sérieuse et obtiennent même un concours effectif de beaucoup d’Espagnols désireux de se débarrasser d’un joug devenu insupportable.
Les villes espagnoles tombent les unes après les autres :
• Octobre 711 : Cordoue et Tolède ;
• Juin à juillet 713 : Séville et Mérida sont prises par Mûsâ b. Nusayr, passé en Espagne en juillet 712 avec une armée de 18 000 hommes, en majorité arabes. La jonction de Musa avec Târiq se fait à Tolède. De là, ils se dirigèrent sur Saragosse. L’ordre du calife al-Walîd vint alors de quitter l’Espagne et de regagner la Syrie. Les deux hommes ne reverront plus le pays conquis.
• 715 : Les Musulmans occupaient déjà toutes les grandes villes d’Espagne.


II. LA PERIODE DES « GOUVERNEURS »


• 714-756 : période des « gouverneurs » (wulât) disposant d’une délégation de pouvoir des Omeyyades installés à Damas ou du gouverneur en titre d’al-Qayrawân.
- Rivalités entre clans arabes.
- Confusion politique.
- Vaines tentatives d’expansion vers la Gaule (prise de Barcelone, Gérone et Narbonne).
- Vingt wali vont régner durant cette période, certains à peine quelques mois.
• Le premier fut le fils de Musa (713-716) qui fut assassiné.
• Le 14ème , `Uqba b. al-Hajjaj, régna 7 ans (734-741)
• et le dernier gouverna une dizaine d’années à partir de 746 jusqu’à la proclamation de Abd al-Rahman 1er qui inaugure l’Émirat omeyyade en Espagne.
• 719/27 : raids contre Toulouse.
• 725 : les troupes musulmanes atteignent la Bourgogne, mais ne s’installent pas durablement au nord des Pyrénées.
• 732 : défaite de Poitiers.

Les conquérants et les autochtones jettent les bases d’une coexistence qui ne donnera pleinement ses fruits que deux siècles plus tard. Les Berbères s’établirent dans les zones montagneuses où ils pouvaient mieux défendre leur indépendance contre l’aristocratie arabe qui mit la main, dès le début de la conquête, sur les terres les plus fertiles situées dans les plaines et sur le littoral méditerranéen. Les Arabes s’installèrent presque toujours dans les villes, confiant les travaux agricoles de leurs grands domaines aux paysans indigènes.
Un mouvement important de conversion à l’Islam donne le départ d’une intégration à la nouvelle société des générations successives de « muwallads ». Ces derniers adopteront des noms musulmans et finiront par oublier leurs origines chrétiennes ; ils utiliseront l’arabe comme langue de communication et se nourriront de la culture de l’occupant. Les jeunes montrent une désaffection pour l’église, les vocations baissent : ce dont se plaignent les responsables religieux chrétiens. On lit désormais plus facilement le Coran en arabe que la Bible en latin.

III. L’EMIRAT
MARWANIDE DE CORDOUE (756-912).
Après le massacre des membres de sa famille et l’arrivée au pouvoir des Abbasides, le prince omeyyade se réfugie au Maghreb. Invité à se rendre en Espagne par une faction musulmane qui cherchait à en évincer une autre, le prétendant marwanide, ‘Abd al-Rahman b. Mu’awiyya, triomphe du gouverneur Yusuf b. ‘Abd al-Rahman al-Fihri, près de Cordoue où il se fait proclamer « Émir » le 15 mai 756.
L’émirat dure plus d’un siècle et demi et compte sept souverains :
‘Abd al-Rahmân 1er (756 -788)
Hishâm 1er (de 788 à sa mort en 796).
Al-Hakam 1er (de 796 à sa mort en 822).
‘Abd al-Rahmân II de 822 à sa mort en 852
Muhammad 1er (852-886)
Al-Mundhir (886-888).
‘Abd Allâh 888 à 912

Le royaume Wisigoth d'Espagne avait été liquidé en moins de deux années par Tarik Ibn Zayad et Musa Ibn Nusayre en 711. La Péninsule fut ensuite dirigée par des gouverneurs, délégués pour l'Espagne, nommés directement par le Calife de Damas. Mais à partir de 732, à la mort du gouverneur Abdallah al Ghafiki, tué à la bataille de Poitiers, le pays fut troublé par de nombreux soulèvements et révoltes dus aux rivalités entre Arabes Kalbites et Qaisites. Mais le trouble le plus grave fut le soulèvement des Berbères, soulèvement qui avait débuté au Maroc sous la coupe d'un chef dynamique Maisara. Et il a fallu l'arrivée massive de djunds (armée) syriens dépêchés de Damas, sous le commandement du général Baldj pour en venir à bout en 741. Mais les troubles continuèrent cette fois entre Arabes.
Ce fut dans ces conditions qu'arriva , en 750, en Espagne, Abderrahman ibn Hisham ibn Abdelmalik ibn Marwan, un des rares survivants du massacre de la dynastie des Omeyyades perpétré par les Abbassides de Bagdad. Aidé des Arabes syriens, qui appartenaient à la cavalerie naguère amenée par le général Baldj, et des Berbères (sa mère Rah était une captive berbère) il défit, en 756, Yusuf al-Fihri, le dernier gouverneur et se fit proclamer Emir d'Al Andalus dans la Grande Mosquée de Cordoue.



• ‘Abd al-Rahmân 1er (de 756 à 788) soit un règne de 32 ans.
Il s'efforça peu à peu de refaire l'unité de l'Espagne, qui avait vécu dans l'anarchie pendant les décennies suivant la conquête, et où s'affrontaient les différents groupes ethniques : Arabes Yéménites et Qaïsites, Berbères et Arabes, Espagnols convertis (Muwaleds) et Espagnols restés chrétiens (Mozarabes). En dépit de nombreuses révoltes, fomentées par l'ancien gouverneur Yusuf al-Fihri ou même commanditées directement par l'autorité abbasside, comme en 763 celle d'ibn Mughith à Béja, ou les nombreuse insurrections berbères, qui ensanglantèrent presque de bout en bout son règne, ainsi que différentes tentatives de membres de sa propre famille pour le renverser, Abderrahman Ier put malgré tout, jeter les bases politiques et administratives de son émirat. L'Espagne musulmane, jusque-là simple province d'un immense Empire, se trouvait promue au rang de principauté indépendante et, dès lors, maîtresse de sa destinée. Ce fut, également, sous le règne de Abderrahman "al Dakhil" que Cordoue commença à faire vraiment figure de capitale musulmane. Abderrahman Ier mourut en 788, à moins de soixante ans. Il transmettait à son successeur un royaume que les offensives chrétiennes et les nombreuses séditions arabes et berbères n'avaient guère entamé et qu'il avait dû, à plusieurs reprises, reconquérir sur ses propres sujets à la force des armes.
• Hishâm 1er fils d’Abd al-Rahmân 1er (de 788 à sa mort en 796). C’est sous son règne que le « malikisme » fut introduit en Espagne.
Le règne de Hisham Ier (788-796) allait être fort court ; à peine un peu plus de sept ans; qui furent caractérisés par une absence presque complète de sédition à l'intérieur du pays, mais il eut à juguler la révolte de ses frères Abdallah et Sulaiman évincés du trône. Ce fut sans doute cette relative tranquillité intérieure qui encouragea le pieux Hisham Ier à porter presque chaque été de son règne (sawaïf ou expéditions estivales), la guerre sainte sur le territoire asturien. Peu avant sa mort, il favorisa la doctrine malikite et son adoption en Espagne musulmane et désigna son second fils Al Hakam pour lui succéder.

Al-Hakam 1er, fils de Hishâm (de 796 à sa mort en 822). Soit 26 ans de règne. Il connut la fameuse révolte du faubourg d’al-Rabad à Cordoue.
A son avènement Al Hakam Ier (796-822), contrairement à son père, du faire face à des révoltes incessantes, et, en premier lieu, à une querelle dynastique de la part de ses deux oncles, Sulaiman et Abdallah. Les plus graves furent celles de la population de Tolède qui furent suivies d'une sauvage répression, menée par Amrus sous l'ordre de l'Emir, en cette "fameuse journée de la fosse" (797), mais qui n'empêcha pas les Tolédans à se révolter de nouveau en 811 et 818. En 805, un grand nombre de notables ainsi que les deux oncles de l'Emir (les fils de Abderrahman Ier) qui avaient comploté pour le renverser, furent exécutés sans pitié.En 818, une émeute d'un faubourg de Cordoue fut sauvagement réprimée et le faubourg complètement rasé obligeant ses habitants à fuir le massacre et à s'expatrier au Maroc, où ils occupèrent un quartier de Fès, ou en Crète, où ils formèrent une petite colonie après avoir été chassés d'Egypte où ils avaient débarqué précédemment. Ces massacres des Faubourgs valurent à l'Emir le surnom d'al Rabadi ("celui des faubourgs"). Ce dynaste autocrate, féroce et vindicatif usait de son pouvoir de manière tyrannique, mais il eut pour principal mérite d'avoir su raffermir la restauration Omeyyade en Occident. A sa mort en 822, il laissait à son successeur un royaume tout entier soumis à l'autorité émirale et à peine entamé par les offensives franque et asturienne.

‘Abd al-Rahmân II, fils d’al-Hakam, de 822 à sa mort en 852 soit un long règne de 30 ans durant lequel arriva le grand musicien Ziryab. Son règne procura au royaume une accalmie intérieure après de multiples révoltes opposant Berbères, Arabes et Muwallads. Le souverain lutte aussi contre les ennemis extérieurs qui ont repris définitivement Barcelone à ses prédécesseurs. Il rompt avec la tradition syrienne de gouvernement et organise son état sur le modèle abbaside.
En accédant au trône, Abderrahman II (822-852), fils d'Al Hakam Ier, prenait possession d'un territoire presque entièrement pacifié, pourvu de cadres administratifs suffisamment organisés, jouissant de finances prospères et d'une activité économique en plein essor. Il a fallu pourtant lutter contre le péril représenté par les Normands ("Madjus" ou idolâtres), lorsqu'ils s'emparèrent de Cadix et de Séville, qu'ils pillèrent en 845, poursuivre les "sawaif" contre les territoires asturiens et sévir contre une rébellion des mozarabes de Cordoue, conduite par le clerc Euloge (850-859). C'est sous le règne de Abderrahman II que le pays d'al Andalus prend véritablement figure d'Etat indépendant, de royaume incontesté au regard du reste du monde musulman.

Muhammad 1er, fils d’Abd al-Rahmân II, qui régna 34 ans (852-886).
Sous le règne de Muhammad Ier (852-886), l'Espagne musulmane allait connaître encore d'assez longues périodes de calme politique et jouir dans la paix intérieure, au moins jusqu'aux alentours de 875, des bienfaits d'une autorité à la fois vigilante et équitable. Mais il y eut encore de nombreuses révoltes et dissidences, parmi lesquelles celle des mozarabes Tolédans, aidés d'une forte armée asturienne envoyée par le roi Ordono Ier, et écrasés en 854; ou celle plus grave, fomentée par Ibn Marwan al Djilliki, qui finit par créer une principauté autonome autour de Badajoz (886), l'année de la mort de l'Emir.

• Al-Mundhir b. Muhammad (886-888).
Al Mundhir, eut, pendant son court règne (886-888), des soucis bien plus pressants que la soumission d'Al Djilliki. Il était en effet urgent de combattre Ibn Hafsoun qui avait soulevé l'Andalousie actuelle, mais il tomba malade alors qu'il assiégeait le rebelle à la tête de ses troupes. Il n'eut que le temps demander de Cordoue son frère Abdallah pour lui confier la direction du siége avant de rendre l'âme.

• ‘Abd Allâh, frère du précédent, qui régna 24 ans de 888 à 912. De nombreux actes de dissidence, des insurrections et des conflits se produisirent sous les deux derniers émirs. Sans doute la période la plus noire de l’émirat,‘Abd Allâh laisse à son petit-fils et successeur, ‘Abd al-Rahmân III, un trésor à sec et un royaume en décomposition.
Le règne de Abdallah (888-912) fut relativement agité. Ce sont tantôt les muwalleds, qui se dressent contre les Arabes, tantôt ces derniers qui, avec ou sans le concours des Berbères, se portent à l'attaque des néo-musulmans, sans parler des multiples complots dynastiques qui coûtèrent la vie à plus d'un membre de sa famille. Quoiqu'il en soit on ne peut dénier à l'Emir Abdallah le mérite d'avoir été, autant sinon plus qu'Al Hakam Ier et Aberrahman II, celui qui a sauvegardé la restauration hispano-omeyyade réalisée à grande peine par Abderrahman l'Immigré. Il laissa, néanmoins, un trône bien chancelant à son petit-fils Abu al Muttarif Abderrahman. Un nouveau règne s'ouvrait : celui du premier calife de Cordoue; et, avec lui, le IVe siècle de l'ère du Prophète, le plus glorieux et le plus fécond de l'histoire de l'Espagne musulmane.

IV. LE CALIFAT ET LA DICTATURE AMIRIDE.


• ‘Abd al-Rahmân III……….. (912-961)
• Al-Hakam II…………….... (961-976)
• Minorité de Hishâm II
• Le hadjib al-Mansûr, jusqu’en 1002
• Al-Muzaffar ( fils d’al- Mansûr )


‘Abd al-Rahmân III (912-961).
En 912, commence le long règne de ‘Abd al-Rahmân III qui durera 50 ans jusqu’en 961. Il marque l’apogée du règne marwanide dans la Péninsule.
« Il avait à peine vingt ans quand il monta sur le trône. Doué de qualités de patience, de jugement et de caractère bien au-dessus de son âge, le jeune homme alliait à l’énergie et à l’enthousiasme de la jeunesse un grand discernement politique et un sens aigu du devoir. Aussi européen qu’arabe- sa mère et sa grand-mère paternelle étaient d’origine chrétienne -, c’était un musulman pratiquant, mais sans fanatisme. Il s’efforça durant tout son règne de se montrer aussi tolérant envers les juifs et les mozarabes que le permettaient les circonstances. Dès son arrivée au pouvoir, ‘Abd al- Rahmân se montra intraitable envers tous ceux qui contestaient son autorité, imposant le serment d’allégeance à tous ses gouverneurs par la diplomatie ou la force. Dès 913, il impose son autorité à la puissante cité de Séville ; l’année suivante marque le début d’une longue guerre d’escarmouches contre le rebelle Ibn Hafsûn de Bobastro, maître de toute l’Espagne du sud. Mais il faudra attendre 932 pour qu’al-Andalus soit totalement pacifiée, avec la soumission de l’Algarve, de l’Espagne orientale et des derniers points de résistance comme Tolède ou Saragosse.
C’est en 929 que se situe l’épisode le plus important de l’histoire des Omeyyades d’Espagne, avec la proclamation du califat de Cordoue.
À la formule de « Commandeur des croyants », qui accompagnait traditionnellement le titre de calife, ‘Abd al-Rahmân III ajouta celui de « Défenseur de la vraie foi (al-Nâsir li-dîn il-Lâh.)». À sa mort en 961, il laissait un territoire fermement gouverné et aux frontières reconnues. Il avait fait d’al-Andalus un royaume prospère grâce à une économie dynamique et une politique commerciale très active sur tout le pourtour de la Méditerranée. Sa capitale, Cordoue était dix fois plus peuplée que Paris, elle surpassait en prestige et en splendeur toutes les capitales européennes et même Bagdad.(…) De France, d’Allemagne, d’Italie et du reste de l’Europe, les ambassadeurs affluaient à la cour du calife. Celui-ci recevait les tributs des provinces d’Afrique du Nord, dont certaines dépendaient de lui, mais aussi de royaumes chrétiens d’Espagne, dont certains étaient devenus ses vassaux. »
Le redressement fut opéré par Abderrahman III (912-961). Homme doué d'une intelligence réaliste et méthodique, d'une ténacité à toute épreuve, ambitieux, tolérant, courageux et organisateur, un prince exceptionnellement doué et dont la durée peu commune de son règne - tout près d'un demi-siècle - lui permettra de donner pleinement sa mesure. Il va restaurer dans Al-Andalus l'autorité et le prestige de la maison omeyyade, reconquérir les territoires tombés en dissidence, mettre fin à l'existence des principautés inféodées à Cordoue et étouffer définitivement la rébellion andalouse. Il rétablit, également, son autorité sur les marches du Nord. Au Maghreb, il fit tout pour contrecarrer l'expansion fatimide, soutenant les tribus Zenata ainsi que tous les petits états qui se trouvaient en conflit avec la dynastie chiite, obtenant une "vassalité" de fait à l'autorité Omeyyade d'une grande partie du nord du Maroc et de vastes territoires du Maghreb; vassalité qui allait subsister, malgré de nombreuses vicissitudes, jusqu'à la fin du X e siècle. Il occupa même deux places maritimes stratégiques du détroit de Gibraltar : Ceuta et Tanger. C'est aussi à la fois pour répondre à la proclamation du califat fatimide, qui constituait une menace, et pour s'affirmer, dans l'esprit de ses propres sujets, que Abderrahman III accomplit le geste le plus significatif de sa carrière politique, en adoptant les titres éminents de "Calife" et de "Prince des Croyants" en 929 , avec le surnom de "Nasir al Din Allah" (défenseur de la religion d'Allah). Face aux Fatimides, le calife de Cordoue incarnait ainsi le souvenir de la dynastie arabe de Damas et l'orthodoxie sunnite à un moment où le califat abbasside était en pleine décadence. A sa mort, en 961, la puissance arabe en Espagne se trouva alors à son apogée. Du royaume de Cordoue, sans cesse disputé à ses prédécesseurs, secoué par la guerre civile, les rivalités des clans arabes, les heurts des groupes ethniques dressés les uns contre les autres, il avait su faire un Etat pacifié, prospère et immensément riche. La civilisation de l'Espagne musulmane semblait capable de rivaliser avec celle de l'Orient abbasside et surpassait de beaucoup celle de l'Occident chrétien.

Al- Hakam II (961-976).
C’est al-Hakam II Al-Mustansir bi-l-Lâh qui succède à son père ‘Abd al-Rahmân (961-976). Son règne est heureux et prospère sous lequel Cordoue devient « l’ornement du monde ». Souverain lettré et bibliophile, il fait de sa capitale l’un des foyers les plus actifs de la culture philologique, littéraire et juridique de tout le monde musulman. L’Espagne chrétienne sollicite son arbitrage et la « Reconquista » est stoppée.
Le règne du successeur d'Al Nasir, Al Hakam II (961-976) fut l'un des plus pacifiques et des plus féconds de la dynastie hispano-omeyyade. Son nom restera avant tout inséparable de celui de la merveille de l'art hispano-mauresque, la Grande Mosquée de Cordoue, qu'il agrandit et dota d'une magnifique parure. Il témoigna, également, toute sa vie, d'une dilection pour les sciences islamiques comme pour les belle-lettres et les arts, ce qui a suffit à lui assurer une renommée durable. De son temps , Cordoue, comme métropole des choses de l'esprit, brilla peut être d'un éclat plus vif que sous Al Nasir. Mais son règne fut beaucoup plus bref, à peine une quinzaine d'années. Il prit le vocable honorifique d'al Mustansir Billah (celui qui cherche l'aide victorieuse d'Allah). Il continua la même politique que son père aussi bien à l'intérieur des frontières terrestres d'Al Andalus qu'au Maghreb occidental, sans néanmoins l'énergie et le caractère autoritaire de son prédécesseur.

Minorité de Hishâm II et le hadjib al- Mansûr, jusqu’en 1002
À la mort d’al-Hakam II, son jeune fils, Hisham II, lui succède. Mais le hadjib, (le chambellan, « maire du palais ») Muhammad Ibn Abî ‘Amir, s’empare du pouvoir et dirige les destinées du royaume. Ambitieux, énergique, homme politique de grand talent, général et stratège militaire, il mène des campagnes victorieuses contre les Chrétiens du Nord. Il reste pour ses adversaires « l’Almanzor », destructeur du sanctuaire de St Jacques de Compostelle (997). C’est au retour de cette campagne qu’il meurt en 1002. Il laisse une Espagne musulmane forte qui a réussi à étendre son influence politique sur la Berbérie occidentale.
A la mort d'Al Hakam II, l'autorité califienne va subir une atteinte sans précédent. Le nouveau souverain, Hisham II (976-1013), étant trop jeune (il n'a que douze ans), puis trop débile pour exercer lui-même le pouvoir ou le revendiquer à sa majorité, celui-ci va passer entre les mains d'un véritable dictateur, d'un "maire du palais", Ibn Abi Amir, à la fois génial et sans scrupules, que son habilité politique, son ambition illimitée, sa grande valeur militaire et la protection bienveillante de la reine mère, porteront rapidement au faite des honneurs. Au bout de quelques années, qui lui suffiront à mettre à bas ses adversaires, un coup d'Etat lui assurera la direction exclusive et incontestée du gouvernement d'Al Andalus. Il parcourra dès lors une carrière prestigieuse, s'affirmant, peut être plus encore qu' Abderrahmane Al Nasir, comme le champion de la gloire de l'Islam dans la Péninsule ibérique. Il inscrira aux fastes de l'Empire hispabo-omeyyade ses plus retentissantes victoires sur la chrétienneté et il maintiendra sous sa rude poigne la population intérieure. Pendant plus de vingt ans, il apparaîtra comme le seul et véritable souverain d'Al Andalus, tandis que le calife en titre ne sera qu'un fantoche et passera tout à l'arrière-plan de la scène politique. Bientôt en ne l'appellera plus qu'Al Mansour (le victorieux), l'Almanzor des chroniques chrétiennes. Il s'empara de Barcelone, Léon et Saint-Jacques-de-Compostelle (997). A l'intérieur, il mata l'aristocratie arabe et réorganisa l'armée en faisant venir des contingents berbères. A sa mort en 1002, un de ses fils Abd Al Malik, lui succéda, mais il ne gouverna que six ans (1002-1008) et se montrera respectueux des consignes et de la tradition paternelle.


V. LES DERNIERS CALIFES DE CORDOUE

• Hishâm II « al-Mu’ayyad »,
• Muhammad II « al-Mahdî »,
• Sulaymân « al-Musta’în »,
• ‘Abd al-Rahmân IV « al-Murtadâ »,
• ‘Abd al-Rahmân V « al-Mustazhir »,
• Muhammad III « al-Mustakfî », le père de la poétesse Wallâda,
• Hishâm III « al-Mu’tadd ».

L’Espagne va connaître ensuite sous Hishâm II et Muhammad b. Hishâm une ère de troubles funestes qui provoqueront sa ruine. La politique militaire d’al-Mansûr avait eu pour résultat d’introduire en Espagne musulmane un nombre considérable de mercenaires maghrébins d’origine berbère. A la mort du hâdjib et de son successeur, ces troupes constituèrent un parti agissant contre les Andalous et le puissant groupement des « esclavons ». Le feu est mis aux poudres en 1008, à la mort du fils d’Al-Mansûr par la prétention de ‘Abd al-Rahmân « Sanchuelo » à se faire désigner comme héritier présomptif à la couronne califale, ce qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait osé faire. Un complot mené par les partisans du marwanide Muhammad b. Hishâm aboutit à l’exécution du prétendant amiride. Prétendants et contre-prétendants s’appuyant soit sur les Berbères soit sur les esclavons, précipitent le califat dans la ruine.
Le Calife Hisham régnant toujours en titre, un troisième régent "amiride", Abderrahman, s'arroge le pouvoir à la mort de son frère Abdelmalik. Ce ne sera que pour quelques mois; puis s'ouvrira une crise politique d'une gravité extrême. Elle se prolongera plus de vingt ans et entraînera la chute définitive du califat Omeyyade d'Occident. De 1008 à 10031, Al Andalus sombra dans la guerre civile. Le califat disparut en 1031. Ce n'est pas une nouvelle dynastie qui va se substituer à l'ancienne, mais au contraire l'Empire va se démembrer en une nuée d'Etats minuscules, entre les mains de roitelets, connus sous le nom de Reyes de Taïfas ("mamelouk al tawaïf" ou rois de factions), qui vont revendiquer leur portion de l'héritage califien.
Deux noms, ceux d'Al Nasir et d'Al Mansour, vont dominer de très haut, cependant, les annales de toute l'Espagne au Xe siècle
Quant aux « califes » hammûdides, ils eurent des règnes très brefs :
• Ali b. Hammûd (1016-1018),
• Al-Qâsim b. Hammûd (1018-1023).

VI. LES MULUK AL-TAWA’IF (1031-1091).

La dynastie omeyyade perd son unité et le royaume sombre en 1027. En 1031, le pays est divisé en une trentaine de provinces indépendantes dirigées par les « Mulûk al-Tawâ’if ». Certains de ces états minuscules n’auront qu’une vie éphémère alors que d’autres ensembles allaient se constituer en principautés solides politiquement et militairement. Ce sera le cas des royaumes abbadide à Séville, aftaside à Badajoz, ziride à Grenade, nunide à Tolède et hûdide à Saragosse. En dépit des troubles politiques, la prospérité se maintenait ;le désir de profiter de la vie après les années de troubleentraîne un développement de la vie culturelle: l’art et la littérature sont florissants du fait de la rivalité des gouverneurs locaux.
En 1085, c’est la chute de Tolède : quelques chefs musulmans conscients de la menace chrétienne firent appel aux Almoravides. La même année, Yûsuf b. Tashfîn traverse le Détroit. Il est reçu à Algésiras par les rois andalous à la tête desquels se trouvait Ibn Abbad.
Le 26 oct. 1087 (15 rajab 479) : bataille de Zallâqa et défaite d’Alphonse VI. C’est le début de l’hégémonie almoravide qui met fin aux royaumes des tawâ’ifs .



Royaume de Séville : les Banû ‘Abbâd.
• Muhammad b. Ismâ‘îl, le cadi…………………… (/1023-1042)
• ‘Abbâd b. Muhammad, al-Mu‘tadid………………. (1042-1069)
• Muhammad b.‘Abbâd , al-Mu‘tamid…………….…(1069-1091)
al-Mu‘tamid est détrôné par les Almoravides.


Royaume de Cordoue : les Banû Djawhar
• Djawhar b. Muhammad b. Djawhar ………………. (1031-1043)
• Muhammad b. Djawhar ………………………….… (1043-1064)
• ‘Abd al-Malik et ‘Abd al-Rahmân fils
de Muhammad…………………………….………..jusque vers 1070
Cordoue est annexée au royaume de Séville.


Royaume de Badajoz : les Banû al-Aftas
• ‘Abd Allâh b. Muhammad b. Maslama, al-Mansûr …(1022-1045)
• Muhammad b. ‘Abd Allâh , al-Muzaffar ……………. (1045-1063)
• Yahyâ b. Muhammad, al-Mansûr……………………..(1063-1067)
• ‘Umar b. Muhammad, al-Mutawakkil……….………. (1067-1094)


Royaume de Silves: les Banû Muzayn.
• ‘Isâ b.Abî Bakr, al-Muzaffar………………………… (1048-1054)
• Muhammad b. ‘Isâ, al-Nâsir ……………………...… (1054-1058)
• ‘Isâ b. Muhammad, al-Muzaffar ……………………..(1058-1063)
Silves est annexée au royaume de Séville.
Royaume de Niebla : les Banû Yahyâ.
• Ahmad b.Yahyâ al-Yahsûbî, Tâdj al-Dîn…………… (1023-1041)
• Muhammad b.Yahyâ ‘Izz al-Dîn …………………… (1041-1051)
• Fath b. Khalaf b.Yahyâ, Nâsir al-Dîn ……………….(1051-1053)
Niebla est annexée au royaume de Séville.
Royaume de Santa-Maria d’Algarve : les Banû Hârûn.
• Sa‘îd b. Hârûn, al-Muzaffar………………………… (1026-1041)
• Muhammad b. Sa‘îd, al-Mu‘tasim ….……………… (1041-1052)
Santa-Maria d’Algarve est annexée au royaume de Séville.



Royaume de Mertola : Ibn Tayfûr
• Ibn Tayfûr …………………………………….….…jusqu’en 1044
Mertola est annexée au royaume de Séville.



VII. LES ALMORAVIDES (1091-1145).

• Yûsuf Ibn Tashfîn ………………479/1086(Zallâqa)-500/1106
• ‘Alî b. Yûsuf :……………………………… 500/1106-537/1143
• Tashfîn Ibn ‘Alî …………………….……. 537/1143-539/1145



VIII. LES ALMOHADES (1145-1224).
• ‘Abd al-Mu’min …………………………….514/1145-559/1163
• Abû Ya‘qûb Yûsuf…………………………559/1163-581/1184
• Abû Yûsuf Ya‘qûb, al-Mansûr ……………581/1184-596/1199
• Muhammad al-Nâsir …………………..…. 596/1199-612/1214
• Yûsuf al-Mustansir ………………………….612/1214-622/1224


Après 1223, les Almohades sombrent dans des querelles dynastiques et quittent l’Espagne. Progression des troupes chrétiennes :
1236 : prise de Cordoue,
1248 : prise de Séville.
Un seul État demeure, celui du royaume de Grenade gouverné par la dynastie nasride qui favorisa l’éclosion d’une brillante littérature et édifia les Palais de l’Alhambra. Ce royaume, grâce à une habile politique d’alliances avec les chrétiens et les royaumes maghrébins se maintient jusqu’en 1492. Après la chute de grenade, le royaume nasride fut incorporé à la Castille et à l’Aragon.








IBN HAZM (4) Analyse du Préambule



Questions directrices:

1° Quelle conception de l’homme se dégage du Préambule?
2° Comment se précise progressivement l’identité du destinataire?
3° Quelle est la nature de la relation qui lie l’auteur au destinataire?
4° En quoi consiste la demande faite à l’auteur?
5° Comment l’auteur de l’Epître justifie t-il son projet sur le plan
théologique?
6° Nature de la réponse et ses limites:
- témoignages personnels,
- témoignages de tiers,
- poésie personnelle insérée,
- attitude d’un citadin andalou vis-à-vis des mœurs bédouines.

Réponses

1° Les prémisses théologiques qui vont orienter le discours sur la passion :
- une prière à Dieu contre l’égarement des hommes
عصمنا اللّه وإيّاك من الحيرة……وفساد أهوائنا
- Dieu est celui qui préserve du « désarroi de l’âme » (الحيرة)
- « « « « octroie le guide sûr(هادي دليل)
- l’homme est sujet à la حيرة
- ses forces sont limitées : به لنا طاقة لا ما
- est capable de se détourner de Dieu, de lui désobéir et de pécher contre lui ;
- Doué d’une faible volonté,
- doté de forces physiques fragiles, d’une constitution déficiente ;
- a l’opinion incertaine et aux choix erronés du fait de son manque de discernement.

2° Un traité sur l’amour qui commence par un hymne à l’amitié ;

3° un juriste de talent

4° rejet des traditions bédouines

A/ L’identité du destinataire se révèle en deux étapes
a) Du début -----> وبعد= absence totale de référence
b) De عصمنا اللّه إلى أهوائنا marques pronominales (أنا، أنا وأنت), mais pas de précisions sur l’identité;
c) De فإنّ كتابك de nombreux éléments vont préciser l’identité du destinataire
1°- C’est quelqu’un qui a écrit une lettre à l’auteur de la Risala depuis Alméria (ville située au sud-est de l’Andalousie) ;
2°- Quelqu’un avec qui il entretient des relations d’affection et d’amitié ;
3°- Quelqu’un qui lui a rendu un jour visite à Jativa malgré de nombreuses difficultés = signe d’une relation solide, d’une amitié profonde qui n’est pas avare de sacrifices ;
4°- un ami d’enfance : محبّة الصِّبا .
B/ La demande
Formulée dans une lettre au contenu plus particulier que celui des lettres antérieures : كانت معانيك زائدة على ما عهدته….
Puis précisée oralement lors de la visite à Jativa : ثمّ كشفتَ إليّ بإقبا لك غرضك وأطلعتني على مذهبك

1° Contenu de la demande : من كلّفتني إلى …فيما أذكره
épître sur l’amour : description, différentes significations, causes, vicissitudes et circonstances favorables…mais en s’en tenant à la réalité et à partir de témoignages personnels.

2° attitude par rapport à la demande :
- il répond favorablement à la demande par amitié, donc pas de visée de gloire littéraire déclarée ;
- signale la futilité de la tâche : هذا من العفو
- pirouette argumentative en faveur de l’écriture de l’Epître : recours à des autorités morales: وإن كان القاضي حُمام بن أحمد
كان في رأي أبن حزم واحد عصره في البلاغة وسعة الرواية
à travers un isnad remontant à أبو الدّرداء

2° contenu de la réponse :
• ce dont il a été personnellement témoin,
• ce qu’il a appris de tierces personnes dignes de foi d’entre ses contemporains,
• discrétion sur l’identité des informateurs.

Le poème inséré
éloge d’une amitié par un poème inséré qui avait été écrit pour une autre personne : وفي ذلك…

sur la nature de la relation qui relie les deux personnes,
• la franchise : سَجِيّة
• une affection mutuelle véritable : أنا لك على أضعافه لا أبتغي
جزاءً إلا مُقابلته بمثله

analyse lexicale du poème :
- ودّ ليس فيه غضاضة
- نُصحٌ صريح
- يسكن الرّوح بلا مُنازع
- رجاء لاردّ من الصديق

parallélisme avec le texte en prose
analyse rhétorique
contenu : j’ai pour toi une affection sans égale, profonde, exclusive et ne désire rien d’autre que ton amitié en retour.

iBN HAZM (3) LA FEMME ANDALOUSE DANS LE "TAWQ AL-HAMÂMA



Dans son Préambule, Ibn Hazm définit les conditions qui régiront son discours sur l'amour et les amants : " il me faut relater ce dont j'ai été personnellement témoin, ce que j'ai appris de tierces personnes et ce que m'ont rapporté des hommes dignes de foi d'entre mes contemporains. Tu voudras donc bien me pardonner de ne point citer de noms. En effet, si je le faisais, je dévoilerais quelque turpitude qu'on n'a pas le droit de divulguer. Cette discrétion est également motivée par le désir de ménager quelque ami très cher ou quelque personnage illustre. Je me bornerai donc à nommer les gens quand il n'y a pas d'inconvénient à le faire et quand ni l'intéressé ni moi-même n'en saurions encourir un reproche, soit parce que les faits sont trop connus et qu'il ne servirait à rien de les dissimuler et de les laisser dans le vague, soit encore parce que l'intéressé considère sans importance la divulgation de son cas et ne désapprouve point qu'on en colporte la nouvelle."
Ce sont là de véritables règles de déontologie que l'auteur s'applique tout au long de son épître. Il en découle un certain nombre de conséquences pratiques.
1° Le "Tawq " , à la différence de prédécesseurs qui ont traité avant lui ce sujet, n'abordera pas les " amours éternelles et légendaires " qui constituent les principales références des ouvrages antérieurs.
2° Les " cas " abordés par Ibn Hazm sont tous issus de la réalité sociale andalouse à la fin du 4e-10ème siècle.
3° Les relations amoureuses traitées appartiennent donc à l'univers urbain et aux mœurs particulières que la société métissée d'al-Andalus a développés au cours de près de trois siècles d'histoire.





L’enfance et une partie de l’adolescence d’Ibn Hazm ont été profondément marquées par les femmes parmi lesquelles il a vécu. Ce sont elles qui lui ont enseigné le Coran et lui ont transmis une part importante du savoir poétique qui le caractérise. Témoin direct de leurs histoires qu’elles se racontaient en présence d’un enfant doué d’une excellente mémoire, l’auteur du Tawq connaît mieux que personne les qualités et les défauts des femmes. Ce sont ses observations et ses impressions sur l’univers féminin qui ont forgé un jugement parfois sévère qu’Ibn Hazm livre à ses lecteurs.
Les relations exclusives vécues dans le harem expliqueraient son caractère jaloux. Par ailleurs, sa sévérité à l’égard des femmes enlèverait, selon Ihsan Abbas, toute objectivité à son témoignage.
La femme andalouse et le Tawq

Les femmes dont ibn Hazm rapporte les aventures appartiennent à des catégories sociales différentes.
Les femmes libres vivaient relativement cloîtrées dans leurs foyers derrière « un épais voile » comme le souligne en plusieurs points Ibn Hazm. Cette situation n’épargnait ni les riches ni les modestes d’entre elles. Séparées des hommes, elles durent développer de grandes capacités d’imagination à partir seulement des voix masculines perçues derrière les rideaux. De là aussi le rôle très important du messager qui reste le seul moyen pour les amants de communiquer entre eux. Ce messager est lui-même le plus souvent de sexe féminin afin de tromper la vigilance de ceux qui veillent sur le harem.
En charge de l’entretien de leurs foyers, les hommes sont très souvent accaparés par leurs métiers ainsi que par différentes obligations qui les rendent moins aptes que les femmes à s’intéresser aux aventures amoureuses. Par contre les femmes sont disponibles et peuvent s’y consacrer beaucoup plus. C’est pour cela qu’elles apparaissent pleines d’initiatives dans le Tawq.
Ibn Hazm souligne cependant l’égalité des hommes et des femmes devant la force de la séduction. Les uns comme les autres sont capables aussi bien de succomber que de résister aux tentations .
Sur la beauté, l’auteur du Tawq fait une observation au sujet du caractère plus durable de la beauté des hommes (bab as-suluww). Il fait part de sa préférence des femmes blondes.

IBN HAZM (2) BIOGRAPHIE SOMMAIRE


IBN HAZM (994-1064)


Ibn Hazm, homme de l'An Mil et somptueux représentant du génie de l'Andalousie, est né en 994, à Cordoue, et mort en 1064.
Son non-conformisme exaspéré lui valut d'être plusieurs fois emprisonné, et la haine des « légistes » : on brûla ses livres !
D'une polyphonique culture, il fonde sa pensée sur une exigeante recherche du vrai. Nous laissant quelques grands traités, il lègue à la civilisation arabo-musulmane un modèle prestigieux pour affronter le changement redoutable des idées et des moeurs.


Famille
Abû Muhammad ‘Alî b. Ahmad B. Sa‘îd est né à Cordoue le 30 Ramadân 384/7 Nov. 994 et mort le 28 Sha‘bân 456/15 Août 1064 à Montija dans la province de Huelva. Poète, historien, juriste, philosophe et théologien andalou, il est l’un des plus grands esprits de la civilisation arabo-musulmane.
De souche andalouse convertie à l'islam, Ibn Hazm fut autant homme d'action qu'homme d'étude. Le Collier de la colombe est l'œuvre d'un poète d'une psychologie raffinée qui n'est pas sans affinités avec l'amour courtois ; cependant, ses ouvrages doctrinaux semblent l'emporter. Historien, juriste, théologien, il composa une critique des religions qui embrasse également les sectes islamiques et consacra plusieurs ouvrages au droit zahirite. Plutôt méfiant à l'égard de l'humaine nature, il aspirait à revivre la foi et la Loi avec la rigueur qu'elles avaient au temps du Prophète et de ses compagnons. Cette optique le rendait aussi insensible aux notions d'évolution et d'adaptation que vigoureusement rebelle au formalisme que sécrète toute sclérose .

Ibn Hazm se prétendait issu d’ascendants persans , mais le plus probable est qu’il est d’une famille de muwallads . Le père de l’auteur du Tawq, Abu ‘Amr Ahmad Ibn Sa’id Ibn Hazm ( m. en 402/1012), est le premier à avoir été évoqué dans une biographie des personnalités andalouses. Il fut ministre du hâdjib al-Mansûr C’est un homme d’une grande qualité morale, connu pour sa sagesse et ses qualités de gestionnaire. Il était très cultivé et se distinguait autant par ses talents de prosateur que de poète.

Ibn Hazm naquit Il passa toute son enfance au palais de Cordoue, dans le harem de son père. Jusqu’à 14 ans , il connut la vie facile et reçut une éducation mondaine très raffinée .
Par la suite, il vécut durant une période de trouble où al-Andalus connut des moments tragiques. Son père mourut en 1012 après avoir connu une longue disgrâce et subi le contre-coup de revers de fortunes politiques des Banu ‘Amir qu’il servait. Ibn Hazm vécut à cause de cela des jours difficiles.

Muhammad ‘Ali b. Ahmad b. Sa‘id Ibn Hazm naquit à Cordoue en 994 (384 de l'hégire). Son père fut un haut fonctionnaire touchant de très près aux sphères du pouvoir qui était alors exercé, non par le calife umayyade, mais par un « maire du palais » (le hadjib). C'est à Cordoue qu'Ibn Hazm passa son enfance, jusqu'à la chute des ‘Amirides en 1009.
L’Exil
En 1013, il dut quitter le palais de Madinat az-Zahira et Cordoue dont les habitants avaient été chassés par les Berbères. Il se réfugie à Alméria. Mais sa tranquillité y fut de courte durée car en 1016, le gouverneur de cette ville le fit jeter en prison avant de le bannir à cause de ses sympathies omeyyades. C’est alors le chemin de l’exil vers Valence où il se mit au service du prince omeyyade ‘Abd al-Rahmân IV .

Vie politique mouvementée
Mais à la suite de la défaite décisive subie par ces princes en 1018 devant les murs de Grenade, Ibn Hazm fut de nouveau emprisonné et ce n’est qu’au printemps de 1019 qu’il put rentrer à Cordoue, sa ville natale.
Quelques années plus tard, en 1023/24, il fait une brève apparition sur la scène politique. Il sera le ministre de ‘Abd al-Rahmân V d’être proclamé calife. Mais à peine monté sur le trône, ce prince fut assassiné et Ibn Hazm jeté en prison.

L’écrivain et penseur zahirite
En 1027, nous le retrouvons à Jativa où il composa son Tawq qui contient de nombreux passages autobiographiques où sont relatés plusieurs faits relatifs aux évènements vécus précédemment.
Par la suite, il s’adonnera à la science religieuse, c’est-à-dire au droit et à la théologie. Il devient le champion de l’école zahirite. Ses écrits polémiques et son engagement politique furent la cause d’une existence agitée et de persécutions dont il souffrit durement.
il fut banni de province en province ;
il se vit interdire de professer dans la Grande Mosquée de Cordoue ;
ses livres furent publiquement brûlés à Séville.

Les dernières années
Pendant quelques temps, il trouva refuge dans l’île de Majorque où il réussit à avoir un petit nombre de disciples. Mais un de ses adversaires finit par l’en chasser. Accablé, il alla finir ses jours dans un domaine rural de sa famille non loin de Badajoz. Il mourut le 16 Août 1064 (30 sha’bân 456) à 71 ans.

IBN HAZM (1) L'OEUVRE: TAWQ AL-HAMÂMA

INTRODUCTION



1- LE TEXTE
Il existe un seul manuscrit, celui de l’Université de Leyde.
Assez mauvais, car il n’est malheureusement pas la reproduction intégrale de l’original ; le copiste a supprimé bien des passages, tant dans la prose que dans la poésie.
Mais des corrections ont été apportées au texte par des orientalistes comme Goldziher, Brockelmann et surtout W. Marçais.
C’est Dozy qui est le premier savant orientaliste à s’être intéressé au texte. Il en a traduit tout un chapitre dans son « Histoire des Musulmans d’Espagne ».
Ce n’est qu’en 1914 que le Professeur Petrof, de l’Université de St Pétersbourg, en publia une édition chez Brill, à Leyde.
Plus tard, en 1931, l’Imprimerie ‘Arfa, à Damas, en donna une édition sans aucun changement par rapport à celle de Petrof.

2- LES TRADUCTIONS
En 1931, en anglais par A.R. Nyckl.
En 1933, en russe par A. Salie.
En 1944, en allemand par Max Weisweiler
En 1949, en italien par Francisco Gabrieli.
En 1949, en français par Léon Bercher.
En 1952, en espagnol par E.G. Gomez.

3- LES ÉTUDES
a) L. Bercher : A propos du texte de « Tawq al-hamama » ; in Mélanges William Marçais, 1950, pp. 29-36 ;
b) Bulletin d’2tudes arabes, n°7, 1947, pp. 3-6 ;
c) E. Levy-Provençal :En relisant le « Collier de la colombe », in revue Al-Andalus, n° 15, 1950, pp 335-375 ;
d) W. Marçais : Textes à la mémoire d’Henri Basset II, 1928, pp. 59-88.




LE SUJET

Le sujet que traite Ibn Hazm n’est pas nouveau dans la littérature arabe. Plus d’un siècle avant lui, al-Djahiz avait déjà composé un petit traité sur l’amour: Fi l-‘ishq wa-nisà.
Au 10ème siècle, Ikhwan as-Safà et al-Mas’ùdì dans Murùdj adh-dhahab
Après Ibn Hazm :
Au 11ème siècle, al-Ghazali dans Mìzàn al’amal, sur l’amour mystique.
Au 14ème siècle, le hanbalite Ibn Qayyim al-Djawziyya répondait à la question : « comment guérir du mal d’amour ? » dans son Al-Djawàb al-kàfì li-man sa`ala ‘an al-dawà al-shàfì.
Au 16ème siècle, le médecin aveugle Dàwùd Ibn ‘Umar al-Antàkì reprend et remanie complètement le traité composé au siècle précédent par Ibràhìm al-Biqà’ì suos le titre Aswàq al-ashwàq, dans un ouvrage intitulé : Tazyìn al-aswàq bi-tafsìl ashwàq al ‘ushshàq..

Kitàb az-zahrà de Ibn Dàwùd : l’ouvrage a été introduit en Espagne au début du4ème/10ème siecle. Ahmad Ibn Faraj al-Djayyani a publié à sa suite un
ouvrage semblable intitulé Kitab al-hada’iq . Ibn Hazm connaissait les deux livres (voir I. Abbas p. 28 et suiv.)


PARTICULARITÉS du TAWQ

Léon Bercher (p.11) pense que de toutes les productions littéraires traitant de l’amour, le Tawq est la meilleure et la plus intéressante.
Elle se distingue entre autres par :
1°- son caractère vivant et original, personnel et actuel pour l’époque de l’auteur. Il n’y est point question des amours célèbres des temps passés (Majnùn et Laylà, Jamìl et Buthayna, Kuthayyir et ‘Azza) et tous les autres types classiques de couples amoureux sont bannis du Tawq. L’auteur ne parle dans son ouvrage que de ce qu’il a vécu et éprouvé lui-même ou de ce qu’ont vécu des gens qu’il a connus et fréquentés (princes, ministres, savants, étudiants…).
2° - une poésie personnelle : sauf de rares exceptions, les poésie qu’il donne ont été composées par lui.
3° - une prose particulière : elle reflète sa fine psychologie, une justesse d’observation et elle offre un choix heureux d’anecdotes qui viennent illustrer au bon moment un exposé abstrait et distraire le lecteur.

PLAN GÉNÉRAL DE L’OUVRAGE

C’est à la demande d’un ami d’enfance d’Alméria, venu lui rendre visite dans sa résidence de Jativa(province de Valence) qu’Ibn Hazm composa ce petit traité. Il y aborde les circonstances dans les quelles naît l’amour, les vicissitudes qu’il traverse et le comportement qu’il impose aux amants.

L’auteur y parle d’abord de l’amour du point de vue philosophique et des différentes causes qui le font naître. Il réserve à chacune de ses causes un chapitre spécial.

Puis il traite des joies et des peines de l’amour et des qualités propres à certains amants. Dans son exposé, il respecte autant que possible le processus naturel du développement du sentiment amoureux, tout en opposant les unes aux autres les qualités contraires (discrétion/divulgation, soumission/insoumission, fidélité/infidélité…).
Il poursuite ensuite par l’oubli et la mort des amants.
Il clôt son ouvrage par deux chapitres moraux sur l’abomination du péché et sur les hauts mérites de l’abstinence. là, il montre toutes ses qualités d’éminent juriste et de futur polémiste :
- citation de hadiths selon la technique de l’isnad dont la chaîne part des informateurs immédiats pour remonter jusqu’au Prophète ;
- véritable cours de droit quand il traite du châtiment réservé par la loi divine à l’adultère.

CONCLUSION

I – Une œuvre qui continue une tradition d’épîtres sur l’amour ;

II- Un traité qui porte les marques d’une époque ;

III- L’œuvre d’un destin personnel ;

IV- Analyse psychologique, philosophique et sociale ;

V- Un art de la narration et de l’illustration poétique.