vendredi 16 janvier 2009

Ibn Arabi: Chapitre sur la connaissance de la station de l'Amour













Tombeau d'Ibn Arabi à Damas

En prélude au cours de 3e année de licence sur Ibn Arabi qui commencera le 28 janvier , voici les premiers poèmes préliminaires qui ouvrent le chapitre des Futuhat al-Makkiyya intitulé
Fî ma'rifat maqâm al mahabba. Une traduction de ces extraits sera donnée prochaînement sur ce site. Bonne préparation!

الباب الثامن والسبعون ومائة في معرفة مقام المحبة

الحب ينسب للانسان واللّه بنسبة ليس يدرى علمنا ما هى
الحب ذوق ولا تدرى حقيقته أليس ذا عجب واللّه واللّه
لوازم الحب تكسونى هويتها ثوب النقيضين مثل الحاضر الساهى
بالحب صح وجوب الحق حيث يرى فينا وفيه ولسنا عين أشباه
استغفر اللّه مما قلت فيه وقد أقول من جهة الشكر للّه

ومما يتضمن هذا الباب أيضا قولنا
أحببت ذاتى حب الواحد الثانى والحب منه طبيعى وروحانى
والحب منه الهى أتتك به ألفاظ نور هدى في نص قرآن
وقد سألت وما أدرى سؤالكم عن أى حب ولا عن أى ميزان
فكل حب له بدء يحققه علمى سوى حب رب ما له ثانى
وكل حب له بدء وليس له نهاية غير حب الطبع واثنان
لا يوصفان اذا حققت شأنهما وما هما بنهايات ونقصان
فغاية الحب في الانسان وصلته روحا بروح وجثمانا بجثمان
وغاية الوصل بالرحمن زندقة فان احسانه جزء احسان
ان لم أصوره لم تعلم بمن كلفت نفسى وتصويره رد لبرهان

ومما يتضمنه هذا الباب أيضا قولنا
أنا محبوب الهوى لو تعلموا والهوى محبوبنا لو تفهموا
فاذا أنتم فهمتم غرضى فاحمدوا اللّه تعالى واعلموا
ما لقومى عن كلامى أعرضوا ابهم عن درك لفظى صمم
ما لقومى عن عيان ما بدى من حبيبى في وجودى قد عموا
لست أهوى أحدا من خلقه لا ولا غير وجودى فافهموا
مذ تألهت رجعت مظهرا وكذا كنت فبى فاعتصموا
أنا حبل اللّه في كونكم فالزموا الباب عبيدا واخدموا
واذا قلت هويت زينبا أو نظاما أو عنانا فاحكموا
انه رمز بديع حسن تحته ثوب رفيع معلم
وأنا الثوب على لابسه والذى يلبسه ما يعلم
ليس في الجبة شئ غير ما قاله الحلاج يوما فانعموا
وحياة الحب لو أشهده لاعترانى لشهودى بكم
ما يرى عين وجود الحق من أصله في كل حال عدم


Voici, par ailleurs, ce qu'on peut lire dans un article intitulé Universalité et actualité du message d’Ibn ‘Arabî publié par Tayeb Chouiret



Mosquée où est enterré Ibn Arabi à Damas (1)

Pour Ibn ‘Arabî, la voie spirituelle est essentiellement une voie d’amour. Il en est ainsi parce que Dieu est essentiellement miséricorde. D’après un hadith qudsî[12] : « Certes, Dieu le Très-Haut écrivit pour Lui-même, lorsqu’Il créa le monde : ‘‘En vérité, Ma miséricorde l’emporte sur Ma colère.’’ »[13]

A l’inverse, lorsque l’amour est absent des cœurs, un juridisme vide et desséchant tient alors lieu de ferveur et de zèle. Ibn ‘Arabî a toujours dénoncé les dérives de certains juristes, comme il le rappelle lui-même : « Que Dieu te garde, mon frère, des pensées mauvaises en t’imaginant que je blâme les juristes en tant que tels ou pour leur travail de jurisprudence, car une telle attitude n’est pas permise à un Musulman et la noblesse du fiqh n’est pas à mettre en doute. Toutefois, je blâme cette sorte de juristes qui, avides des biens de ce monde, étudient le fiqh par vanité, pour qu’on les remarque et que l’on parle d’eux, et qui se complaisent dans les arguties et les controverses stériles. Ce sont de telles gens qui s’attaquent aux hommes de l’Au-delà, à ceux qui craignent Dieu et reçoivent une science de chez Lui (min ladunHu). Ces juristes cherchent à réfuter une science qu’ils ne connaissent pas et dont ils ignorent les fondements. »[14]


Mosquée où est enterré Ibn Arabi à Damas (2)

Dans le chapitre 178 des Futuhât qu’Ibn ‘Arabî consacre à l’amour, il distingue trois types d’amour : l’amour naturel (tabî‘î) ou élémentaire (‘unçûrî), l’amour spirituel (rûhânî) et l’amour divin (ilâhî). L’amour naturel se caractérise par l’égocentrisme et la possessivité : « L’origine de l’amour naturel n’est autre que le bien-être (in‘âm) et le bienfait (ihsân) procurés par l’être aimé, car le naturel de l’être n’est jamais capable d’aimer l’autre pour lui, c’est uniquement pour soi qu’il aime les choses en désirant s’y unir ou s’en rapprocher, comme cela a lieu chez l’animal ou l’homme pour l’animalité qui est en lui. » [15]
L’amour spirituel, quant à lui, présuppose un dépassement de l’égocentrisme, et confère donc une certaine sagesse : « Sache que dans l’amour spirituel, l’amant verra son intellect et sa science illuminées par la sagesse : il sera sage par son intellect et par sa sagesse, il sera savant… C’est dire qu’il saura ce qu’est l’amour, quelle en est la signification et quelle en est la réalité… »[16]
L’amour divin, enfin, désigne l’amour que Dieu porte à Ses créatures. Pour Ibn ‘Arabî, cet amour est notamment prouvé par la générosité de Dieu qui accorde toutes sortes de bienfaits sans mérite préalable des créatures et sans reconnaissance de leur part en retour. Parmi ces bienfaits se trouvent l’existence puis la conscience et l’intelligence de l’Homme : « Quant à l’amour que Dieu nous porte pour nous-mêmes, Il s’exprime par le fait que Dieu nous a fait connaître ce qu’est notre bien en cette vie et dans l’autre. Il nous a prodigué les preuves de Sa science pour que nous Le connaissions et que nous ne soyons pas enfermés dans l’ignorance. De plus, Il nous accorde la subsistance et nous comble de faveurs bien que nous y soyons inattentifs… »[17]
Ajoutons encore quelques précisions sur le lien existant entre l’amour et la connaissance, lesquels sont toujours liés dans la voie spirituelle : « La connaissance de Dieu engendre toujours l’amour, et l’amour présuppose une connaissance – au moins indirecte et par reflet – de l’objet aimé. L’amour spirituel a pour objet la Beauté divine, qui est un aspect de l’Infinité ; par cet objet, le désir devient lucide… C’est par son objet, la Beauté, que l’amour coïncide virtuellement avec la connaissance. »[18]
Comme aime à la souligner Ibn ‘Arabî, l’amour est la raison même de la création du monde : « Dans le Coran, l’amour se trouve mentionné à maints endroits et il existe de nombreux hadiths sur l’amour tels les suivants : Le Prophète – sur lui la grâce et la paix – a dit de la part de Dieu : ‘‘J’étais un Trésor caché ; Je n’étais pas connu. Or, J’ai aimé être connu. Je créai donc les créatures et Je Me fis connaître à elles de sorte qu’elles Me connurent.’’ Il résulte de ce contexte que Dieu nous a créé [par amour] pour Lui seul… Le Prophète – sur lui la grâce et la paix – a dit : ‘‘Dieu déclare : Mon serviteur ne saurait se rapprocher de Moi par rien qui Me soit plus agréable que l’accomplissement de ce que Je lui ai prescrit. Mon serviteur ne cessera de se rapprocher de Moi par des œuvres surérogatoires jusqu’à ce que Je l’aime.
Et lorsque Je l’aime, Je suis son ouïe par laquelle il entend, son regard par lequel il voit, sa main par laquelle il saisit, et son pied avec lequel il marche ; s’il Me demande une chose, Je la lui accorderai, et s’il cherche auprès de Moi asile, assurément, Je le lui offrirai.’’[…]Un autre hadith affirme : ‘‘Dieu est Beau et Il aime la Beauté.’’… Les hadiths sont nombreux à ce sujet. Sache que la station spirituelle de l’amour est une distinction élevée et que l’amour est le principe (açl) de l’Existence universelle (wujûd). »[19]
En guise de conclusion, nous laisserons l’ultime parole à Ibn ‘Arabî et à sa poésie inspirée. Ce grand maître de sagesse a su exprimer de manière inégalée les vérités les plus subtiles par des vers d’une grande beauté :
De l’amour nous sommes issus.
Selon l’amour nous sommes faits.
Vers l’amour nous tendons.
A l’amour nous nous adonnons.
[20]



Mosquée où est enterré Ibn Arabi à Damas (3)

[12] Parole divine rapportée par le Prophète mais sans que cela fasse partie du Coran.
[13] Cité par Tirmidhî. Hadith reconnu authentique (sahîh).
[14] Les Soufis d’Andalousie, éd. Actes Sud, 1995, p.95. (Trad. fr. : R. W. J. Austin – G. Leconte)
[15] Futuhât al-Makkiyya., II, p.334. Une traduction de ce chapitre des Futuhât a été réalisée par Maurice Gloton : Traité de l’amour, éd. Albin Michel, 1986.
[16] Fut., II, p.332.
[17] Fut., II, p.328.
[18] Titus Burckhardt, Introduction aux doctrines ésotériques de l’Islam, éd. Dervy, 1985, pp.43-44.
[19] Fut. II, p.322-323.
[20] Fut. II, p.323. Traduction de Maurice Gloton.


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