lundi 3 août 2009

STRUCTURE DE LA BALAGHA de Ahmed ISMAILI


Voici un article fort intéressant sur la Balagha arabe tiré de
"RHETORIQUE GRECQUE ET LA BALAGHA" de Ahmed ISMAILI. Nous en publions la IIIe partie.




La rhétorique arabe se répartit en trois composantes
dont
chacune se divise en plusieurs éléments. On distingue :
1. Le Bayan (littéralement : « clarté ») composé de cinq grandes
figures :
1.1. Le tachbih (comparaison)
1.2. L’iti'âra (métaphore).
1.3. Le majaz mursal (métonymie)
1.4 .Le majaz 'aqli (constitue dans bien des cas des figures qui
n’ont pas d’équivalent en rhétorique européenne.)
1. 5. La kinaya (périphrase )
2. ' Ilm al ma' âni (littéralement : « science des idées »), porte sur
les phénomènes suivants où il s’agit de syntaxe et de pragmatique :
2.1. Le khabar (ou énoncé constatif) où l’on peut juger de
l’authenticité de l’affirmation du sujet parlant en vertu de sa
conformité ou non conformité au réel.
Ex : Il pleut.
2.2 Al incha' (ou énoncé performatif) : on ne peut certifier de
l’authenticité ou de la fausseté des assertions de l’interlocuteur. Ex :
Debout ! Crie de toutes forces le nom de Layla
Vante sa beauté
Oublie les moeurs et la pudeur.
Cela prend donc l’aspect d’un conseil, d’un ordre, etc.
On relève d’autres phénomènes analysés au niveau des ma' âni :
l’interrogation, le souhait, le vocatif, la restriction, la conjonction, la
disjonction, la concision, le pléonasme et l’harmonisme.
3. 'ilm al badi' (Sciences des ornements) : étudie les
embellissements. Elles se répartissent en figures de pensées et en
figures de mots.

3.1. Figures de pensée :
3.1.1. La tawriyya (ou syllepse oratoire) : employer un mot à
double sens, l’un direct et évident, l’autre éloigné et voilé :
Lillahi inna chahda ba’da firaqihimu /Ma ladda li, fassabru kayfa
yatibu ?
(Grand Dieu, le nectar n’a certes plus de goût pour moi après notre
séparation ; comment pourrais-je prendre goût à l’endurance ?)
On a affaire ici à un jeu de mots. En effet, le terme sabr a deux
sens : « endurance » et « suc d’une plante amère ». L’allusion à ce
dernier sens est indiquée dans cet exemple par opposition au mot
chahd.
2.3.1.2 La muqabala (ou parallèle) :
Tu les aurais cru éveillés alors qu’ils dormaient (Coran,
XVIII, 17/18)
2.3.1.3. Husn atta'lil : figure qui consiste à expliquer un
phénomène donné en faisant appel volontairement à des
interprétations sans lien avec les causes évidentes de ce phénomène.
Ex :
Tantôt la lune se dévoile
Tantôt la lune se voile
Intimidée par ton visage
Elle se drape dans les nuages
2.3.1.4. Ta'kid al madh bima yuchbihu addam (Astéisme) :
on vante ou on encense une personne en faisant semblant de la
désavouer.
2.3.1.5. Ta' kid addam bima yuchbihu al madh (Ironie)
2.3.1.6. 'Uslub al hakim (littéralement : " le procédé du
sage") : cela consiste à entamer un sujet auquel le
destinataire ne s’attendait pas, autrement dit à
répondre à une question qui n’a pas été posée ; ou à
donner au discours de l’interlocuteur un sens
différent de celui qu’il visait. On essaie ainsi de lui
faire comprendre qu’il aurait dû poser telle question
ou exprimer telle idée.
Ex : Un vieillard répond à un jeune homme qui voulait savoir quel
était son âge : « Je me porte à merveille ! »


2.3.2. Figures de mots :
2.3.2.1. Le Jinas (ou antanaclase) : On utilise deux mots
phonétiquement similaires, mais sémantiquement différents :
paronymie, homonymie, homophonie. Ex :
Ammâ lyatima falâ taqhar, oua ammâ sâ’ila falâ tanhar
L’orphelin, ne le brime donc pas ! Le mendiant, ne le
repousse donc pas ! (Le Coran, XCIII, 9/10)
2.3.2.2. L’Iqtibas : On introduit dans un énoncé un passage
du Coran ou du hadith (parole du Prophète) sans en préciser
l’origine.
2.3.2.3. Le saj' (ou assonance) : On reproduit
continuellement certains sons en fin de phrases.
On s’aperçoit ainsi que la balâgha a une forme beaucoup
moins tentaculaire que la rhétorique européenne. Elle s’avère en
conformité avec une partie de l’élocution. En effet, rien dans la
balâgha ne correspond aux genres judiciaire et délibératif, ni aux
quatre parties : invention, disposition, mémorisation et action.
D’ailleurs, par opposition aux rhétoriciens occidentaux comme
Démosthène qui affirmait : « La première qualité de l’orateur est
l’action, la seconde est l’action et la troisième est l’action », de
nombreux théoriciens arabes, tels que al Jahiz par exemple,
considèrent qu’un bon orateur ne fait jamais appel aux gestes pour
manifester sa pensée et ses sentiments.
En définitive, ce qui demeure relativement semblable, ce sont
les figures. La divergence entre les deux systèmes se situe ainsi sur
le plan du cadre théorique, mais également celui des finalités. Cela
ne manque pas de refléter l’univers où les deux traditions ont
évolué.
Néanmoins, les rhétoriciens arabes ont pu forger un outil
d’analyse d’une grande finesse. Ils attirent l’attention en particulier
sur la pluralité des significations d’un même énoncé, et notamment
les significations implicites.

IV. L’IMPORTANCE DU CONTEXTE

En guise de conclusion, nous dirons que la seconde partie de
la rhétorique arabe, 'ilm al mâ'ani, constitue une composante
originale à mettre en relation avec la pragmatique dans le sens
moderne du terme. C’est une méditation qui porte sur le langage et
son fonctionnement.
En vertu du contexte extralinguistique, une phrase de
structure interrogative peut servir à donner un ordre, exprimer un
désir ou un reproche. Ainsi, pour les rhétoriciens arabes, l’analyse
grammaticale est imparfaite puisqu’elle elle se borne à décrire les
aspects formels de la phrase. Plus encore, la balâgha se fixe
comme objectif d'examiner le lien qui s’établit entre la structure de
l’énoncé et la stratégie discursive du sujet parlant. Elle met en
lumière l’adéquation du discours à la situation d’énonciation et tient
compte de la nature des relations existant entre le locuteur et le
destinataire. Elle prend en considération les éléments situationnels
liés à l’énoncé. Ce qu’on pourrait appeler « dimension
pragmatique » bénéficie ainsi d’une place centrale dans la réflexion
rhétorique arabe.
La balâgha constitue donc une linguistique d’énoncés et non
une grammaire de phrases. Elle vise à prendre en charge l’énoncé
transphrastique. En effet, le texte coranique que les premiers
rhétoriciens arabes s’efforcent d’interpréter, est examiné dans son
intégralité. Les diverses parties de ce message entretiennent entre
eux des rapports fort variés : thématiques, structurels, etc.

Ahmed ISMAILI
Meknès (Maroc
BIBLIOGRAPHIE:
AL JAHIZ, Al bayâne wa attabyine, Beyrouth, 1968.
AL HACHIMI, M., Jawâhir al balâgha, Le Caire, 1960.
BENCHEIKH, Jamal Eddine, Poétique arabe, Ed. Anthropos, Paris,1975.
DAYF, Chawqi, Al balâgha, tatawwur wa târikh (Histoire de la
rhétorique arabe), Le Caire, 1977.
EL OUALI, Mohamed, Al ‘isti’âra fi mahattât yûnâniyya wa
‘arabiyya wa gharbiyya, Dar al Aman, Rabat, 2005.

Et aussi une manière poétique originale de parler de toutes ces figures:

Rhétorique bilingue du désir en 7 questions
Où l’on voit le Grammairien et le vieux maître soufi esquisser une rhétorique du désir.

- Dis-moi le Grammairien comment nommes-tu le cas où l’on ne sait
Si amour veut dire amour ou Amour ?
- Antanaclase ou ce que les livres arabes nomment « Tardid »
- Comment dit-on lorsqu’amour veut dire plutôt
Amour qu’amour ?
- Syllepse, ce que les livres arabes nomment « Tawria »
- Dis-moi le Grammairien comment dit-on
D’un désir qui prête son nom à un autre qui n’en a pas ?
- Catachrèse, ou la « kinaya » arabe, un de ses cas probables
- Et lorsque par un cheveu on entend chevelure ?
- Synecdoque ou un cas du « majaz » arabe
Qui est bien plus que métonymie, souvent trope
- Et lorsque par la chevelure on entend un cheveu ?
- Synecdoque ou un des cas du « majaz » arabe aussi
- Comment dit-on d’un amour qui se souvient d’un autre ?
- Analepse qui pourrait aussi être un cas de « majaz » temporel
- Comment nommes-tu le cas où l’on ne peut
Dire tout son amour ?
- Aposiopèse, ou un cas de « hadhf » dit le Grammairien
Mais revois ce mot « désir »
Il a rarement éveillé mes désirs
Je lui préfère de loin celui de « chawq »
Qui porte tous les accents de la nostalgie
Qui porte la poussière de l’errance
Qui suggère le bain de l’arrivée
Qui a la peau de l’agneau,
La flûte du berger
Les crocs du loup
Et il nous manque les traits et les couleurs
Pour tout dire de la houle et du silence.
Poème de Jalel el Gharbi

origine de ce texte: http://jalelelgharbipoesie.blogspot.com

Le regretté Guerrouabi: Al-Warqa



Voici un essai de traduction de cette belle chanson d'amour:

Ô missive, j'écris en pleurant
et mes larmes coulent comme des rivières
ô missive, je viens l'implorer
pour avoir le bonheur de la rencontrer.

Ô messagère de mon âme,
Va à l'adresse indiquée
verse pour moi les larmes qu'il faut
gémis et raconte ce que j'endure.

Ô colombe, vole bien haut!
Ton voyage est si long!
Sous sa porte, dépose mon esprit
Afin que ma requête soit agréée.

Ah si mon message parvenait
aux mains de la belle
et que ma douce vierge
sur l'heure me répondait !

J'attends son rendez-vous
et chaque jour est aussi long qu'une année;
Quand elle se souviendra de moi,
Ma belle ne pensera plus à rien d'autre!

J'ai bu à l'eau de la source
et j'ai coupé les bouquets de roses!
J'ai écrit ma missive
et notre amour est resté
éternellement vivant!

Ô missive, j'écris en pleurant
avec mes larmes qui sont mon encre.
ô missive, je viens implorer
pour avoir le bonheur de la rencontrer.

La mer et les Arabes, par Salah Stétie


Les Arabes, gens du désert, ont pour la mer de l'aversion. Une aversion
qui n'exclut pas la fascination. De cette fascination, j'en veux pour preuve
le fait, si étrange pour des continentaux affirmés, de s'identifier par
rapport à elle, en fonction d'elle. Ne se définissent-ils pas couramment
comme les ressortissants d'un monde — le monde arabe — qui va, disent-
ils, du Golfe à l'Océan. Cet Océan qui est l'Atlantique, ce Golfe dont ils
ont âprement disputé la dénomination au voisin iranien : de Golfe
persique pour l'Iran, Golfe arabique pour les Arabes, il est devenu, à la
suite d'une véritable négociation diplomatique, Golfe arabo-persique.
Et pourtant, dis-je, chez eux, quel désamour séculaire de la mer, quel
effroi ! Le Coran, qui jette un beau et grand regard sur la totalité des
éléments, ne pouvait manquer de l'évoquer. Il le fait sobrement,
brièvement, pour en dire essentiellement ceci :
« Il [Dieu] a fait confluer les deux mers pour qu'elles se rencontrent ;
mais elles ne dépassent pas une barrière située entre elles.
» (LV, 19-20)
« Les perles et le corail proviennent de ces deux mers. » (LV, 22)
« Les vaisseaux, élevés sur la mer comme des montagnes, sont à lui. »
(LV, 24)
La leçon à tirer de cela est formulée de façon récurrente :
« Quel est donc celui des bienfaits de votre Seigneur que, tous deux,
vous nierez ?
» (LV, 21, 23, 25)


La mer, autrement dit l'eau d'abondance est, mystérieusement et par le
fait de la grâce d'Allah, coupée en deux : d'une part l'eau amère ou salée,
d'autre part, l'eau douce. Or, l'une est séparée de l'autre par une barrière
infranchissable, ce qui permet à l'homme, toujours par la grâce divine, de
profiter tour à tour des bienfaits de celle-ci ou de celle-là. Boire ici, se
désaltérer là, cueillir au fond de l'« onde amère » la richesse cachée —
perles ou corail —, naviguer à bord de grands vaisseaux, œuvres
apparentes de l'homme mais en réalité propriété d'Allah qui, seul, est à
même de dominer et de maîtriser l'élément redoutable et redouté. On le
voit par cette sobriété même, qui se retrouve, plus incisive encore, en
d'autres versets (XVIII, 60-61; XXV, 53 ; XXVII, 61 ; XXXV, 12).





Le Coran n'est pas orienté par la mer : il est continental. Sur lui passe,
remarque banale ici riche de signification, l'intensité brûlante du désert.
Cette élimination ou, du moins, relative occultation de la mer au plan
de la présence physique — disons, de l'ontologie géographique — va
fournir l'occasion de sa récupération au plan symbolique. La mer, en sa
dimension cachée, témoigne à sa façon de l'incommensurable, de
l'inidentifiable, de l'innomé, de l'innominé. Elle se prête donc aisément à
l'une des projections possibles de la divinité en son mystère insondable.
La poésie et la mystique soufies exploiteront régulièrement ce symbole.
« Quelle est cette mer dont le silence est le rivage? », s'interroge
Mahmoud Shabestari au XIVème siècle. La mer est donc le lieu du caché,
de l'ésotérique. Elle est, aussi bien, le lieu mille fois désiré de certain
naufrage : il faut consentir, tous les poètes soufis l'affirment, à la
submersion, si l'on veut découvrir cette perle profonde dont l'océan est
comptable et qu'il convient de rechercher là où elle se trouve, au pli et au
repli le plus secret de l'océan de tous les périls. Aussi bien faudrait-il
rappeler ici, outre Ibn Arabi, bien des poèmes de Djelâl Eddine Roûmi,
dont le thème est précisément la perle de la mer, perle douce et ronde,
nécessairement définie, par laquelle tout passe, témoin symbolique de
l'unité, voire de l'unicité de l'infini.
Car l'infini, pour être accessible, doit passer par le témoignage et le
dépassement du fini
: la mer, ainsi signifiée, doit s'écarter et s'ouvrir
comme un voile sur l'incendie dévorant. Laissons chanter Yunus Emré au
XIIIème siècle :
« O Ami, dans l'océan de ton amour
Je veux me jeter, m'y noyer et passer outre
Des deux mondes, je veux faire un bien de fêtes,
Je veux les parcourir, je veux m'y réjouir, et passer outre.
Je veux me jeter dans l'océan, et m'y noyer,
Je ne veux plus être ni “a”, ni “d”, ni “m”1
Je veux être rossignol dans le jardin de l'Ami
Y cueillir les roses; et passer outre
2. »
Et Roûmi, dans les Odes mystiques :
« [...] Comme les oiseaux de mer, les hommes viennent de l'océan —
l'océan de l'âme,
Comment, né de cette mer, l'oiseau ne ferait-il pas ici-bas sa demeure?
Non, nous sommes des perles au sein de cette mer, c'est là que nous
demeurons tous:
Sinon, pourquoi la vague succède-t-elle à la vague qui vient de la mer
de l'âme?
La vague de: “Ne suis-je pas” est venue, elle a brisé le vaisseau du
corps;
Et quand le vaisseau est brisé, la vision revient et l'union avec lui.
C'est le temps de l'amour et de la vision, c'est le temps de la
résurrection et de l'éternité ;
C'est le temps de la grâce et de la faveur, c'est l'océan de la pureté
parfaite.
Le trésor des dons est advenu, l'éclat de la mer s'est manifesté,
L'aurore de la bénédiction s'est levée. L'aurore? Non, la lumière de
Dieu.
3 »
M'objecterait-on de ces poèmes qu'ils ne sont pas arabes? Je
répondrais que tout ce qui est musulman est, d'une certaine façon,
immanquablement arabe.
Quoi qu'il en soit, il me semble que tout est dit dans cette dernière et
admirable citation, et que le réseau des symboles interactifs dresse à la
perfection le théâtre de la représentation spirituelle dans la splendeur —
ambiguë — de ses connotations marines.


Pour en revenir aux Arabes « tels qu'en eux-mêmes, enfin » —
j'entends au quotidien —, c'est précisément parce que ce sont des gens du
désert que la mer les déconcertera longtemps au plan de l'inconscient
social. L'homme du désert centre l'espace et le rythme. Il le centre par le
point d'eau, par l'oasis, il le rythme par tous les repères dont il dispose.
Plus tard, avec la naissance de l'Islam, c'est la totalité de l'espace et du
temps qui trouveront leur point d'ancrage décisif: à La Mecque, cœur de
l'Islam, et à partir de la Ka'aba, le « cube », cœur de La Mecque, espace et
temps se réfléchiront au sens où le miroir réfléchit, ils restitueront selon
leur divergence les directions initialement convergentes ; convergence et
divergence — où plus exactement réfraction — constituant une sorte
d'aller et retour perpétuel du même au même. C'est là aussi, dans la figure
spatio-intemporelle du cube, que le temps vient se ressourcer à l'éternité.
Par le cercle concentrique de la prière cinq fois quotidiennement
renouvelée, avec pour centre le cube de la Ka'aba, l'Islam est parvenu à
réaliser, mentalement et spirituellement parlant, la quadrature du cercle ;
opération aussi improbable que, par exemple, l'imagination du zéro —
dont les Arabes seront, on le sait, les introducteurs dans l'algèbre. De cette
centration ontologique de l'espace-temps, on retrouve la trace, autrement
énoncée, dans la géographie. J'ai évoqué les repères qui modulent et
modèlent, dans la mesure du possible, la distance désertique et la chargent
de signes. C'est autour de ces signes que le désert prend tout son sens, au
propre comme au figuré. Mais il y a plus : le territoire identifié tout entier
tire son nom du point qui est en son centre. Tunis, en arabe, signifie toute
la Tunisie, Alger, toute l'Algérie ; longtemps, il en fut ainsi pour
Marrakech et le Maroc.

La mer est liquide, et n'admet pas ce type d'enracinement. Elle est le
lieu de toutes les errances, celles d'Ulysse sans doute, mais aussi, pour la
conscience arabe, celles — souvent terrifiantes et terrifiées — de Sindbad
le marin.
La mer, c'est non seulement le risque pris, mais aussi le lieu d'où vient
l'agression. Agression morale puisque, pendant des siècles, cette mer fut
celle du polythéisme triomphant qui laissera tant de traces écrites dans le
paysage. Par la suite, du fait de Byzance et de Rome, la Méditerranée sera
pour les Arabes, jusqu'au sein de l'Andalousie qu'ils s'approprieront, le
lieu de la Divinité trinitaire qu'ils récusent.
Le Coran ne fait mention qu'une seule fois des Romains, les Rûms
(sourate XXX), autrement dit les Byzantins ; cette unique mention est
faite à l'occasion d'une défaite militaire de ces puissants voisins, admirés et
redoutés des Arabes de la Jahiliya, qui semblent devoir bientôt laisservacant, devant la montée en puissance de l'Islam, le théâtre de l'Histoire.
Bien qu'un doute soit permis pour quelque temps encore, que le sort
des armes entre Rûms et Persans, commandés par Kosroès, n'ait pas
encore été définitivement scellé, et que d'autres batailles entre Byzance et
Perse soient prévisibles, Dieu, cependant, semble déjà prendre date:
« Alif, Lam, Mim
Les Romains ont été vaincus
Dans le pays voisin
Mais après leur défaite,
Ils seront vainqueurs
Dans quelques années.
» (1-4)
Tel est, de la sourate XXX déjà citée, le coup d'archet initial. La suite :
« Le commandement appartient à Dieu,
Avant comme après cela.
» (4)
La victoire d'Allah est inéluctable :
« Ce jour-là, les croyants se réjouiront de la victoire
Il donne la victoire à qui il veut ;
Il est le Puissant, le Miséricordieux.
» (4-5)
La mer, la Méditerranée précisément, sera ensuite, et à bien des reprises
dans la séquence historique, le lieu de confrontation des Arabes, puis des
Turcs, avec les hommes venus de l'Occident. C'est elle qui amène les
croisés en Orient, puis, par poussées successives, le colonisateur européen.
L'un des symboles ultimes de cette agression venue de la mer, en est, en
1956, après la proclamation par Nasser de la nationalisation du canal de
Suez, l'expédition (dite de Suez) qui vit s'allier deux puissances ex-
coloniales et un Etat considéré par les Arabes comme une excroissance
du néocolonialisme — à savoir la France, l'Angleterre et Israël.
Si la Méditerranée est donc ressentie comme hostile par la plupart des
Arabes, il reste que certains d'entre eux — groupes plus ou moins
minoritaires depuis toujours liés à l'Occident par affinité culturelle ou
religieuse, ou plus simplement par refus de l'arabité dans sa dimension
islamique, ou de l'islam dans sa projection arabe — feront de la
dimension méditerranéenne un cheval de bataille contre l'hégémonie
arabo-musulmane, dont ils refusent d'être partie prenante. C'est le cas des
minorités chrétiennes de Syrie, du Liban et d'Egypte et, sous l'influence et
avec l'encouragement du pouvoir colonial, des Kabyles et des Berbères
d'Afrique du Nord.
De même que les chrétiens du Liban et de Syrie avaient revendiqué,
dans le cadre de la Nahdha, leur arabité linguistique et culturelle
spécifique contre la prédominance ottomane, on verra ces mêmes
chrétiens, un siècle plus tard, avec l'instauration du mandat français, se
vouloir « méditerranéens », c'est-à-dire, d'une certaine manière, « chrétiens
d'Orient » liés à l'Europe occidentale et chrétienne, en opposition à la
profondeur islamique de la région ; ils se proclameront de souche
« phénicienne » contre l'appartenance arabe de la veille. C'est ainsi que
l'on voit se constituer à Beyrouth, dans les années 1930, autour de Charles Corm,
Michel Chiha et quelques autres, l'équipe de la Revue phénicienne
qui, forte de sa phénicianité prétendue, pensera et écrira en français — et
en français seulement — excitant par là, inévitablement, l'exaspération de
la partie musulmane, laquelle dénoncera dans la prétention
méditerranéenne une machination de la puissance mandataire et, à la
limite, un encouragement au séparatisme. L'adoption de l'alphabet latin
en place de l'arabe par Ataturk et la laïcisation de la Turquie ne sera pas
faite pour arranger les choses : les « Phéniciens » y verront une chance
supplémentaire d'aller plus loin dans leurs stipulations anti-arabes et anti-
islamiques, les musulmans, une nouvelle agression insupportable et la
marque d'une humiliation supplémentaire à eux imposée par l'Europe,
c'est-à-dire par l'autre côté de cette Méditerranée honnie.
Le conflit latent, l'exaspération réciproque ne prendront pas fin, au
Liban du moins, avec l'indépendance, puisqu'un parti politique
considérable, le Parti populaire syrien — destiné à terme à disparaître plus
ou moins des scènes libanaise et syrienne — se réclamera, bien que
nationaliste et laïc, d'une idéologie liée à la Méditerranée dans son rêve de
créer un Etat régional unique et fort englobant, outre le Liban, la Syrie,
l'Irak et la Palestine, l'île de Chypre, étoile de ce croissant fertile. Autre
avatar remarquable de cette poussée de fièvre méditerranéenne anti-arabe
et, bien évidemment, anti-islamique, la publication en 1961 par Saïd Ayl,
important poète libanais d'expression arabe, d'un recueil de poésie
dialectale — prenant donc déjà ses distances avec la logha, la langue —
en caractères latins. Yara avait, à l'époque, provoqué une vaste polémique
et soulevé dans les milieux littéraires, au plan politique, bien des passions.
Aujourd'hui, on veut espérer que cette situation se soit un peu calmée.
Il est bon qu'il en soit ainsi. Il est nécessaire que les Arabes intègrent leur
dimension méditerranéenne à leur profondeur historique et religieuse.
Pour ce faire, la Méditerranée ne doit pas être dressée contre eux comme
une machine de guerre — elle ne doit pas, en somme, devenir un nouveau
cheval de Troie. Si les Arabes apprivoisent la Méditerranée, leur dialogue
avec l'Europe, dont ils partagent, ne fût-ce qu'au plan de l'Histoire et des
projections culturelles, tant de valeurs, en sera incontestablement facilité.
De la sorte, l'Europe, forte de l'appui arabe, pourra mieux se réaliser
par le Sud. Ce sera là tout bénéfice pour les Arabes, pour l'Europe et pour
tous nos Suds.

Salah Stétie, N° 14 Printemps 1995

Notes
1 Consonnes formant la racine trinitaire d'Adam, le premier
homme, l'Homme.
2 Traduit du turc par Pertev Boratov.
3 Traduit du persan par Eva de Vitray-Meyerovitch.

La langue arabe




L’arabe (العربية, al ʿarabīya en transcription traditionnelle) est la langue parlée à l'origine par les Arabes. C'est une langue sémitique (comme l'akkadien, l'hébreu, le syriaque, le phénicien et l'araméen) et flexionnelle dont l'alphabet est un abjad. L'arabe s'écrit de droite à gauche.
Du fait de l'expansion territoriale au Moyen Âge et par la diffusion du Coran, cette langue, devenue langue liturgique, s'est répandue dans toute l'Afrique du Nord et en Asie mineure.
On fait remonter l'origine de la langue arabe au IIe siècle. La tradition orale considère cependant qu'il s'agit d'une langue révélée directement à Ismaël, fils d'Abraham, dans une forme assez proche de l'arabe classique actuel. La tradition donne par moments des origines bien antérieures : la reine de Saba, l'ancien Yémen ainsi que des tribus disparues auraient parlé l'arabe dans une forme plus ancienne. Les premières traces de l'écriture arabe, telle qu'on la connaît de nos jours, remontent au IIIe siècle comme l'ont attesté Healey et Smith par les Inscriptions de Raqush (Jaussen-Savignac 17): Les plus anciennes inscriptions Arabes Préislamiques (date 267).

Origines de l'écriture arabe:

Des inscriptions en langue arabe sont conservées depuis la fin du Ier siècle de notre ère, mais l’écriture arabe elle-même n’est attestée que trois siècles plus tard. En effet, les Arabes ont d’abord utilisé les systèmes d’écritures d’autres langues employées depuis la péninsule Arabique jusqu’au Nord de la Mésopotamie, comme le sud-arabique et le nabatéen.
Bien que l'écriture arabe ait un aspect très différent des graphies sud-arabiques, tous les spécialistes s’accordent à lui reconnaître une lointaine origine araméenne. Mais les uns font l’hypothèse d’un développement à partir de l’écriture nabatéenne, les autres à partir de l’écriture syriaque.

L’hypothèse de l’origine nabatéenne

Proposée d’abord par Theodor Nöldeke en 1865, l’origine nabatéenne a trouvé un grand écho chez des chercheurs qui s’appuient sur la comparaison entre les formes des caractères pris individuellement. Leur hypothèse est celle d’un développement à partir d’une écriture nabatéenne cursive, développement favorisé par le fait que, depuis la destruction de Pétra en 106, l’écriture n’était plus contrôlée officiellement par une chancellerie. Les modifications menant à l’alphabet arabe auraient affecté les ligatures entre les lettres, la constitution d’une ligne de base, la distinction par des signes diacritiques de lettres ayant le même tracé, les variations de forme des lettres en fonction de leur position initiale, médiane ou finale. Généralement, les tenants de l’origine nabatéenne reconnaissent aussi une influence de l’écriture syriaque dans la structure de l’écriture arabe.

L’hypothèse de l’origine syriaque

Inversement, les tenants de l’origine syriaque ne nient pas l’influence de l’écriture nabatéenne sur la forme des signes, mais considèrent comme déterminante la structure de l’écriture. Les ligatures se font en bas pour le syriaque et les lettres sont appuyées sur une ligne de base. Il en est de même en arabe tandis qu’en nabatéen les lettres sont alignées par le haut, comme suspendues, et les ligatures se font à des endroits différents selon les lettres. En nabatéen, les lettres sont plus hautes que larges ; en syriaque, comme en arabe, elles sont plus larges que hautes. Autre argument en faveur de cette hypothèse : les plus anciennes inscriptions arabes sont datées d’une période où l’écriture syriaque, grâce à la diffusion du christianisme, connaît un grand développement alors même que l’écriture nabatéenne tombe en désuétude.
Ce sont probablement des raisons de prestige et d’autres, certainement liées au commerce, qui ont fait préférer une écriture araméenne aux écritures sud-arabiques, pourtant mieux adaptées à la transcription de la langue arabe.


L'arabe, une écriture commune à l'ensemble de l'Islam

Rendue obligatoire par l’administration omeyyade dès la fin du VIIe siècle, l'écriture arabe connaît une extraordinaire diffusion au Proche-Orient et au Maghreb grâce à l'expansion géographique de l'islam et au développement de sa civilisation. Langue liturgique de populations nouvellement converties, l’arabe devient alors le principal instrument de communication de l’empire islamique naissant ainsi que l’outil principal de transmission du savoir et de l’administration. L'écriture arabe s'impose pour des raisons culturelles : copie du Coran et production textuelle due à la constitution des sciences religieuses islamiques, plus tard traductions des textes scientifiques et philosophiques et leur appropriation par la majorité des chrétiens du Proche-Orient. L’écriture arabe prend place au cœur de la civilisation arabo-musulmane et assume très vite une triple fonction, à la fois religieuse, utilitaire et ornementale., Cette écriture transcrira également les langues de l’Empire ottoman jusqu’au début du XXe siècle. Ses caractères sont utilisés aujourd’hui pour écrire le persan, l’urdu et de nombreuses langues d’Afrique.

L'alphabet arabe

L’arabe appartient au groupe sémitique, comme l'hébreu ou le syriaque. Depuis son origine, il utilise un alphabet consonantique et s’écrit de droite à gauche. À la notation des vingt-six consonnes s’ajoute celle de trois voyelles longues. Les difficultés de lecture dues à la confusion entre les consonnes de même tracé (un même signe peut représenter plusieurs lettres) et à l’absence de notation des voyelles brèves ont entraîné l’invention de signes facilitant la lecture. On a d'abord indiqué les voyelles par l’adjonction de points de couleurs, placés au-dessus ou en dessous des lettres. Cet usage s'est modifié et aboutit à la pratique actuelle consistant à noter les voyelles par de petits signes sur ou sous les caractères. Cette différenciation des consonnes par des signes diacritiques existait déjà dans les plus anciens corans sous forme de traits fins ou parfois de points.
Avant l'islam, l’écriture était très peu pratiquée, servant principalement à noter transactions commerciales ou contrats. Révélée oralement au Prophète à partir de 610 et ses transcriptions rassemblées en 653 par 'Uthmân, la parole divine insuffle un formidable élan à l’écriture. La nécessité de magnifier la parole sacrée s’impose alors et la calligraphie, dès les premiers corans, constitue une composante essentielle de l’art arabo-musulman.

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