De nawr « fleur », terme qui, comme zahriyya, désigne les poèmes consacrés à la description de fleurs ; il est pratiquement impossible de les séparer, en tant que genre, de rawdiyya ou rabî‘iyya (description des jardins ou du printemps respectivement.
Au milieu du 5e / 11e siècle, Abû al-Walîd al-Himyârî (m. 440/1048) présente déjà ces genres ensemble : il divise Al-Badi' fi Wasf Ar-Rabi' en :
1. Poèmes sur le printemps sans description de fleurs ;
2. Vers où l’on décrit deux fleurs ou davantage ;
3. Poèmes sur une fleur en particulier.
L’apparition de ce type de poèmes est étroitement liée au contact avec l’ancienne Perse et « l’urbanisation » progressive des Arabes à la suite des conquêtes.
Le processus est déjà perceptible à l’époque préislamique (chez les poètes de la cour d’al-Hîra), mais il n’atteint pas le statut de genre propre avant l’époque abbaside. Au début, les poètes de l’époque abbasside, poursuivent dans la qasîda la tradition préislamique consistant à décrire la décoration florale des tavernes dans les scènes bachiques, mais dans les khamriyyât indépendantes, on commence à décrire les jardins où se tiennent les banquets.
Abû Nuwâs insère généralement ces descriptions à la suite du thème des atlâl, lieu commun initial de ses khamriyyât ; décrit un nombre limité de fleurs, qu’il compare à des parties du corps (rose= joue, narcisse= yeux) ou à des pierres précieuses, qui seront les images les plus fréquentées de la poésie postérieure.
Abû Tammâm fut le premier à remplacer, dans un poème, le nasîb par une description du printemps et de ses fleurs, comme reflet imparfait du mamdûh, qui connut un succès extraordinaire, non seulement parmi les panégyristes arabes, mais parmi les Persans, les Turcs et les Hébreux.
Chez Ibn al-Rûmî, la description des fleurs et des jardins devient un poème indépendant. Il y a deux types de nawriyyât dans le dîwân de ce poète :
• Descriptions du printemps ou d’un jardin, où la nature est un être animé qui loue Dieu par sa beauté ;
• Ou description d’une ou deux fleurs (narcisse et rose), qui, dans un célèbre poème, sont l’objet d’une munâzara juge en faveur du narcisse ( et qui donna lieu au début du 5e/11e siècle, à une série de répliques des littérateurs d’al-Andalus, en prose et en vers recueillis par al- Himyarî).
Jusqu’à al-Sanawbarî, (m. en 334/945), on n’a pas conscience de la poésie florale comme genre en dehors du wasf. Ce poète est considéré comme le représentant principal et même le créateur de ce genre, par l’abondance de nawriyyât de son dîwân qui revêtent la forme de courts poèmes (qit‘a) aussi bien que de longues qasîdas et parce que ses descriptions de la nature sont présentes dans tous les genres poétiques.
Photo: duvalmickael50.Flickr
En al-Andalus, ce genre est particulièrement apprécié, de sorte qu’on identifie pratiquement toute la poésie andalouse à la poésie florale. Les raisons que l’on donne pour justifier cette nette préférence (nature exubérante, abondance et variété de fleurs en al-Andalus) semblent ignorer le caractère fragmentaire du corpus poétique d’al-Andalus. Déjà dans l’œuvre d’al-Himyarî, la plupart des qita‘ sont des fragments du prélude floral de panégyriques, à la manière d’Abû Tammâm. Les poètes les plus remarquables sont Ibn Khafâdja surnommé al-Djannân et son neveu Ibn al-Zaqqâq.
Les descriptions de fleurs se prête à l’utilisation d’un langage recherché et à la poursuite de concetti, ce qui fait que les nawriyyât entrent très tôt dans les livres de ma‘ânî et de comparaisons (tashbîhât), ainsi que dans les anthologies en général.
Source: Article de Teresa Garulo, in Encyclopédie de l'Islam.
Deux exemples de poèmes floraux chantés dans la tradition arabo-andalouse:
1. Extrait de Wahd al-ghuzayyal
Fiq yâ mudallal unzur li-r-riyâd azhar
Az-zahru kallal wa wardun badî‘ ahmar
Amlâ wa nâwil min khamrin ‘atîq ahmar (…)
Wa narghabu Allâh in narâk bi-‘aynî astaghfir Allâh
Hâdhî sâ ‘a haniyya wa-l-hamdu li-l-Lâh (167-168)
Lève-toi, belle coquette, regarde comme le jardin est en fleurs ;
Les fleurs ouvrent leurs couronnes, et les roses rouges sont sublimes !
Remplis les coupes et sers donc à boire de ce vin vieux et vermeille !
Pourquoi me livres-tu à la pitié de mes ennemis ?
Je promets que lorsque mes yeux te verront, je me repentirai
Et je proclamerai : quel instant de bonheur, que le Seigneur soit remercié !
2. ‘Abbaqat fi r-riyâd al-azhâr
‘Abbaqat fi r-riyâd al-azhâr ‘an qurbi n-nahâr asbah ka-anna-hu ‘attâr
qad sâhati l-atyâr min fawqi th-thimâr arkhâti l-ghusûn astâr
al-bulbul bi-sawt fasîh yunshid bi-l-barîh mâ bayna awtâr wa tawshîh
mâ amlaha diyâ at-tasbîh nawâ‘ir tasîh al-mâ’ fî madjrâ-h waqîh
Unzur li-l-ghusûn tamîh ma‘a kulli rîh djamî‘ mâ tarâh malîh
Qum ‘âyin al-bustân wa t-tayru fî tahrîdj
al-mâ’ ka-mâ th-thu‘bân yansal min as-sahrîdj
bayna l-ghurûs bân ka-‘anna-hu husâm bahîdj
al-khabûr sha’nu-h yasfâr mâ bayna l-‘anwâr wa r-rawdu l-badî‘ yakhdâr
dja mî‘ mâ tarâh anwâr mithla l-djullinâr al-khîlî ma‘a l-azhâr
nasîm al-‘arîsh ‘abbaq bi-l-yâs wa-l-habaq banafsadj raqîq azraq
wa qatr an-nadâ tafarraq fî kufûfi l-waraq lâ yubâ’ wa lâ yusraq
al-‘ûdu wa r-rabâb yantaq yasbî man ya‘shaq at-târ wa z-zunûdj takhfaq
qum yâ nadîm qâyam tarâ l-fadjra zayyaq
tarâ l-mudâm ‘âyam fî-l-ka’s yatarawnaq
qum nabbih an-nâyam min an-nu‘âs fayyiq
qum nabbih al-khunnâr shu‘â‘un li-n-nahâr nadjmu s-subhi wa l-ghurar
tasma‘ lughat manyâr djâwbu-h l-hazâr amlâ fî qatî‘ ballâr
Les fleurs, dans le jardin, exhalent leurs senteurs à l’approche du jour,
Ce matin , le jardin est tel un parfumeur;
Les oiseaux lancent leurs chants par-dessus les branches chargées de bourgeons;
Les rameaux, défont les cordons et se dévoilent.
Le rossignol, si éloquent, chante haut et clair
Et mêle ses mélodies aux cordes (du luth) et aux chansons !
Agréable est la lumière du matin, criardes sont les norias
Et, dans les canaux, l’eau est si effrontée!
admire les branches qui se balancent à chaque brise qui passe,
Tout ce que tu vois n’est que charme et beauté.
Lève-toi et admire le jardin pendant que les oiseaux chantent à tue–tête.
L’eau, comme un serpent, s’échappe des bassins
Et luit parmi les plantes comme un sabre étincelant ;
Le sureau, parmi les tapis de fleurs, prend sa couleur d’or
Et le jardin charmant est tout revêtu de vert
Tout est épanoui comme les fleurs du grenadier
Autant les fleurs d’oranger que les giroflées.
De la tonnelle, la brise apporte les parfums du myrte, du basilic
et de la violette si raffinée
Sur les paumes des feuilles, la rosée a répandu des perles
Qui ne se vendent ni ne se laissent voler.
Le luth et le rabab se font entendre et charment les amants,
Tandis que frétillent tambourin et cymbalettes ;
Lève-toi commensal, debout ! Regarde l’aube qui point !
Vois comme le vin inonde les coupes qui jettent leur éclat !
Réveille celui qui dort, réveille-le de son sommeil !
Réveille aussi la belle, rayon du jour
Étoile du matin, et front de lumière !
Écoute comme le rossignol répond à l’ortolan
Et remplis la coupe de cristal !
Traduction en français: Saadane Benbabaali
Bibliographie :
H. Pérès: La poésie andalouse en arabe classique au XIe siecle, Paris 1953, pp. 161-201;
G. Schoeler: Arabische Naturdichtung. Die zahriyyât, rabî‘iyât und rawdiyat von ihren Anfangen bis As-Sanawbarî, Beyrouth 1974.
Miqdâd Rahîm, al-Nawriyyât fî al-shi‘r al-andalusî, Beyrouth, 1986
lien photo: http://www.flickr.com/photos/
3 commentaires:
Le corpus delicti de la Munazara de Ibn-Rumi, comparant les joues aux roses et les yeux aux narcisses, il dit:
أينَ الخُدودُ من العيونِ نفاسةً***و رِياسَةً لولا القياسُ الفاسِدُ؟
Dans d´autres vers, c´est la satire ouverte de la rose:
و قائلِ لم هجوتَ الوردَ معتمداً *** فقلتُ من قبحه عندي و من سخطهْ
يا مادح الورد لا ينفكُّ عن غلطه *** ألست تبصُرهُ في كفِّ ملتقِطِهْ
كأنّه سُرمُ بغلِ حين يحرجهُ *** عند الرِّياثِ و باقي الرَّوثِ في وسطهْ
Al-Himyari, l´un des rares partisans andalou de la supériorité du narcisse sur la rose écrit:
و قبيح الخبر من تقديم الورد على البهار على أنّه ملك الأنوار
Merci mon ami pour ce commentaire très instructif.
Dommage que vous n’ayez pas écrit les poèmes en lettres arabes, la lecture en lettres latines casse complètement le charme car on doit déchiffrer le texte au lieu de le lire de manière fluide et dans la symphonie du bel agencement des mots.🙂
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