MODE NARRATIF
L’écriture d’un texte implique des choix techniques qui engendreront un résultat particulier quant à la représentation verbale de l’histoire. C’est ainsi que le récit met en œuvre, entre autres, des effets de distance afin de créer un mode narratif précis, qui gère la « régulation de l’information narrative » fournie au lecteur (1972 : 184). Selon le théoricien, tout récit est obligatoirement diégésis (raconter), dans la mesure où il ne peut atteindre qu’une illusion de mimésis (imiter) en rendant l’histoire réelle et vivante. De sorte, tout récit suppose un narrateur.
Pour Genette, donc, un récit ne peut véritablement imiter la réalité ; il se veut toujours un acte fictif de langage, aussi réaliste soit-il, provenant d’une instance narrative. « Le récit ne “ représente ” pas une histoire (réelle ou fictive), il la raconte, c’est-à-dire qu’il la signifie par le moyen du langage […]. Il n’y a pas de place pour l’imitation dans le récit […]. » (1983 : 29) Ainsi, entre les deux grands modes narratifs traditionnels que sont la diégésis et la mimésis, le narratologue préconise différents degrés de diégésis, faisant en sorte que le narrateur est plus ou moins impliqué dans son récit, et que ce dernier laisse peu ou beaucoup de place à l’acte narratif. Mais, insiste-t-il, en aucun cas ce narrateur est totalement absent.
LA DISTANCE
L’étude du mode narratif implique l’observation de la distance entre le narrateur et l’histoire. La distance permet de connaître le degré de précision du récit et l’exactitude des informations véhiculées. Que le texte soit récit d’événements (on raconte ce que fait le personnage) ou récit de paroles (on raconte ce que dit ou pense le personnage), il y a quatre types de discours qui révèlent progressivement la distance du narrateur vis-à-vis le texte (1972 : 191) :
1. Le discours narrativisé : Les paroles ou les actions du personnage sont intégrées à la narration et sont traitées comme tout autre événement (- distant).
Exemple : Il s’est confié à son ami ; il lui a appris le décès de sa mère.
2. Le discours transposé, style indirect : Les paroles ou les actions du personnage sont rapportées par le narrateur, qui les présente selon son interprétation (- + distant).
Exemple : Il s’est confié à son ami ; il lui a dit que sa mère était décédée.
3. Le discours transposé, style indirect libre : Les paroles ou les actions du personnage sont rapportées par le narrateur, mais sans l’utilisation d’une conjonction de subordination (+ - distant).
Exemple : Il s’est confié à son ami : sa mère est décédée.
4. Le discours rapporté : Les paroles du personnage sont citées littéralement par le narrateur (+ distant).
Exemple : Il s’est confié à son ami. Il lui a dit : « Ma mère est décédée. »
FONCTIONS DU NARRATEUR
À partir de la notion de distance narrative, Genette expose les fonctions du narrateur en tant que telles (1972 : 261). En effet, il répertorie cinq fonctions qui exposent également le degré d’intervention du narrateur au sein de son récit, selon l’impersonnalité ou l’implication voulue.
1. La fonction narrative : La fonction narrative est une fonction de base. Dès qu’il y a un récit, le narrateur, présent ou non dans le texte, assume ce rôle (impersonnalité).
2. La fonction de régie : Le narrateur exerce une fonction de régie lorsqu’il commente l’organisation et l’articulation de son texte, en intervenant au sein de l’histoire (implication).
3. La fonction de communication : Le narrateur s’adresse directement au narrataire, c’est-à-dire au lecteur potentiel du texte, afin d’établir ou de maintenir le contact avec lui (implication).
4. La fonction testimoniale : Le narrateur atteste la vérité de son histoire, le degré de précision de sa narration, sa certitude vis-à-vis les événements, ses sources d’informations, etc. Cette fonction apparaît également lorsque le narrateur exprime ses émotions par rapport à l’histoire, la relation affective qu’il entretient avec elle (implication).
5. La fonction idéologique : Le narrateur interrompt son histoire pour apporter un propos didactique, un savoir général qui concerne son récit (implication).
Le mode narratif de la diégésis s’exprime donc à différents degrés, selon l’effacement ou la représentation perceptible du narrateur au sein de son récit. Ces effets de distance entre la narration et l’histoire, notamment, permettent au narrataire d’évaluer l’information narrative apportée, « comme la vision que j’ai d’un tableau dépend, en précision, de la distance qui m’en sépare […]. » (1972 : 184)
L’INSTANCE NARRATIVE
L’instance narrative se veut l’articulation entre (1) la voix narrative (qui parle ?), (2) le temps de la narration (quand raconte-t-on, par rapport à l’histoire ?) et (3) la perspective narrative (par qui perçoit-on ?). Comme pour le mode narratif, l’étude de l’instance narrative permet de mieux comprendre les relations entre le narrateur et l’histoire à l’intérieur d’un récit donné.
LA VOIX NARRATIVE
Si le narrateur laisse paraître des traces relatives de sa présence dans le récit qu’il raconte, il peut également acquérir un statut particulier, selon la façon privilégiée pour rendre compte de l’histoire. « On distinguera donc ici deux types de récits : l’un à narrateur absent de l’histoire qu’il raconte […], l’autre à narrateur présent comme personnage dans l’histoire qu’il raconte […]. Je nomme le premier type, pour des raisons évidentes, hétérodiégétique, et le second homodiégétique.» (1972 : 252)
En outre, si ce narrateur homodiégétique agit comme le héros de l’histoire, il sera appelé autodiégétique.
LE TEMPS DE LA NARRATION
Le narrateur est toujours dans une position temporelle particulière par rapport à l’histoire qu’il raconte. Genette présente quatre types de narration :
1. La narration ultérieure : Il s’agit de la position temporelle la plus fréquente. Le narrateur raconte ce qui est arrivé dans un passé plus ou moins éloigné.
2. La narration antérieure : Le narrateur raconte ce qui va arriver dans un futur plus ou moins éloigné. Ces narrations prennent souvent la forme de rêves ou de prophéties.
3. La narration simultanée : Le narrateur raconte son histoire au moment même où elle se produit.
4. La narration intercalée : Ce type complexe de narration allie la narration ultérieure et la narration simultanée. Par exemple, un narrateur raconte, après-coup, ce qu’il a vécu dans la journée, et en même temps, insère ses impressions du moment sur ces mêmes événements.
LA PERSPECTIVE NARRATIVE
Une distinction s’impose entre la voix et la perspective narratives, cette dernière étant le point de vue adopté par le narrateur, ce que Genette appelle la focalisation. « Par focalisation, j’entends donc bien une restriction de “ champ ”, c’est-à-dire en fait une sélection de l’information narrative par rapport à ce que la tradition nommait l’omniscience […]. » (1983 : 49) Il s’agit d’une question de perceptions : celui qui perçoit n’est pas nécessairement celui qui raconte, et inversement.
Le narratologue distingue trois types de focalisations :
1. La focalisation zéro : Le narrateur en sait plus que les personnages. Il peut connaître les pensées, les faits et les gestes de tous les protagonistes. C’est le traditionnel « narrateur-Dieu ».
2. La focalisation interne : Le narrateur en sait autant que le personnage focalisateur. Ce dernier filtre les informations qui sont fournies au lecteur. Il ne peut pas rapporter les pensées des autres personnages.
3. La focalisation externe : Le narrateur en sait moins que les personnages. Il agit un peu comme l’œil d’une caméra, suivant les faits et gestes des protagonistes de l’extérieur, mais incapable de deviner leurs pensées.
L'approfondissement des caractéristiques propres à l’instance narrative, autant que celles du mode narratif, permet de clarifier les mécanismes de l’acte de narration et d’identifier précisément les choix méthodologiques effectués par l’auteur pour rendre compte de son histoire. L’utilisation de l’un ou l’autre de ces procédés narratologiques contribue à créer un effet différent chez le lecteur. Par exemple, la mise en scène d’un héros-narrateur (autodiégétique), utilisant une narration simultanée et une focalisation interne, et dont les propos seraient fréquemment présentés en discours rapportés, contribuerait sans aucun doute à produire une forte illusion de réalisme et de vraisemblance.
Extrait du cours de narratologie
par Lucie Guillemette
Université du Québec à Trois-Rivières
L’écriture d’un texte implique des choix techniques qui engendreront un résultat particulier quant à la représentation verbale de l’histoire. C’est ainsi que le récit met en œuvre, entre autres, des effets de distance afin de créer un mode narratif précis, qui gère la « régulation de l’information narrative » fournie au lecteur (1972 : 184). Selon le théoricien, tout récit est obligatoirement diégésis (raconter), dans la mesure où il ne peut atteindre qu’une illusion de mimésis (imiter) en rendant l’histoire réelle et vivante. De sorte, tout récit suppose un narrateur.
Pour Genette, donc, un récit ne peut véritablement imiter la réalité ; il se veut toujours un acte fictif de langage, aussi réaliste soit-il, provenant d’une instance narrative. « Le récit ne “ représente ” pas une histoire (réelle ou fictive), il la raconte, c’est-à-dire qu’il la signifie par le moyen du langage […]. Il n’y a pas de place pour l’imitation dans le récit […]. » (1983 : 29) Ainsi, entre les deux grands modes narratifs traditionnels que sont la diégésis et la mimésis, le narratologue préconise différents degrés de diégésis, faisant en sorte que le narrateur est plus ou moins impliqué dans son récit, et que ce dernier laisse peu ou beaucoup de place à l’acte narratif. Mais, insiste-t-il, en aucun cas ce narrateur est totalement absent.
LA DISTANCE
L’étude du mode narratif implique l’observation de la distance entre le narrateur et l’histoire. La distance permet de connaître le degré de précision du récit et l’exactitude des informations véhiculées. Que le texte soit récit d’événements (on raconte ce que fait le personnage) ou récit de paroles (on raconte ce que dit ou pense le personnage), il y a quatre types de discours qui révèlent progressivement la distance du narrateur vis-à-vis le texte (1972 : 191) :
1. Le discours narrativisé : Les paroles ou les actions du personnage sont intégrées à la narration et sont traitées comme tout autre événement (- distant).
Exemple : Il s’est confié à son ami ; il lui a appris le décès de sa mère.
2. Le discours transposé, style indirect : Les paroles ou les actions du personnage sont rapportées par le narrateur, qui les présente selon son interprétation (- + distant).
Exemple : Il s’est confié à son ami ; il lui a dit que sa mère était décédée.
3. Le discours transposé, style indirect libre : Les paroles ou les actions du personnage sont rapportées par le narrateur, mais sans l’utilisation d’une conjonction de subordination (+ - distant).
Exemple : Il s’est confié à son ami : sa mère est décédée.
4. Le discours rapporté : Les paroles du personnage sont citées littéralement par le narrateur (+ distant).
Exemple : Il s’est confié à son ami. Il lui a dit : « Ma mère est décédée. »
FONCTIONS DU NARRATEUR
À partir de la notion de distance narrative, Genette expose les fonctions du narrateur en tant que telles (1972 : 261). En effet, il répertorie cinq fonctions qui exposent également le degré d’intervention du narrateur au sein de son récit, selon l’impersonnalité ou l’implication voulue.
1. La fonction narrative : La fonction narrative est une fonction de base. Dès qu’il y a un récit, le narrateur, présent ou non dans le texte, assume ce rôle (impersonnalité).
2. La fonction de régie : Le narrateur exerce une fonction de régie lorsqu’il commente l’organisation et l’articulation de son texte, en intervenant au sein de l’histoire (implication).
3. La fonction de communication : Le narrateur s’adresse directement au narrataire, c’est-à-dire au lecteur potentiel du texte, afin d’établir ou de maintenir le contact avec lui (implication).
4. La fonction testimoniale : Le narrateur atteste la vérité de son histoire, le degré de précision de sa narration, sa certitude vis-à-vis les événements, ses sources d’informations, etc. Cette fonction apparaît également lorsque le narrateur exprime ses émotions par rapport à l’histoire, la relation affective qu’il entretient avec elle (implication).
5. La fonction idéologique : Le narrateur interrompt son histoire pour apporter un propos didactique, un savoir général qui concerne son récit (implication).
Le mode narratif de la diégésis s’exprime donc à différents degrés, selon l’effacement ou la représentation perceptible du narrateur au sein de son récit. Ces effets de distance entre la narration et l’histoire, notamment, permettent au narrataire d’évaluer l’information narrative apportée, « comme la vision que j’ai d’un tableau dépend, en précision, de la distance qui m’en sépare […]. » (1972 : 184)
L’INSTANCE NARRATIVE
L’instance narrative se veut l’articulation entre (1) la voix narrative (qui parle ?), (2) le temps de la narration (quand raconte-t-on, par rapport à l’histoire ?) et (3) la perspective narrative (par qui perçoit-on ?). Comme pour le mode narratif, l’étude de l’instance narrative permet de mieux comprendre les relations entre le narrateur et l’histoire à l’intérieur d’un récit donné.
LA VOIX NARRATIVE
Si le narrateur laisse paraître des traces relatives de sa présence dans le récit qu’il raconte, il peut également acquérir un statut particulier, selon la façon privilégiée pour rendre compte de l’histoire. « On distinguera donc ici deux types de récits : l’un à narrateur absent de l’histoire qu’il raconte […], l’autre à narrateur présent comme personnage dans l’histoire qu’il raconte […]. Je nomme le premier type, pour des raisons évidentes, hétérodiégétique, et le second homodiégétique.» (1972 : 252)
En outre, si ce narrateur homodiégétique agit comme le héros de l’histoire, il sera appelé autodiégétique.
LE TEMPS DE LA NARRATION
Le narrateur est toujours dans une position temporelle particulière par rapport à l’histoire qu’il raconte. Genette présente quatre types de narration :
1. La narration ultérieure : Il s’agit de la position temporelle la plus fréquente. Le narrateur raconte ce qui est arrivé dans un passé plus ou moins éloigné.
2. La narration antérieure : Le narrateur raconte ce qui va arriver dans un futur plus ou moins éloigné. Ces narrations prennent souvent la forme de rêves ou de prophéties.
3. La narration simultanée : Le narrateur raconte son histoire au moment même où elle se produit.
4. La narration intercalée : Ce type complexe de narration allie la narration ultérieure et la narration simultanée. Par exemple, un narrateur raconte, après-coup, ce qu’il a vécu dans la journée, et en même temps, insère ses impressions du moment sur ces mêmes événements.
LA PERSPECTIVE NARRATIVE
Une distinction s’impose entre la voix et la perspective narratives, cette dernière étant le point de vue adopté par le narrateur, ce que Genette appelle la focalisation. « Par focalisation, j’entends donc bien une restriction de “ champ ”, c’est-à-dire en fait une sélection de l’information narrative par rapport à ce que la tradition nommait l’omniscience […]. » (1983 : 49) Il s’agit d’une question de perceptions : celui qui perçoit n’est pas nécessairement celui qui raconte, et inversement.
Le narratologue distingue trois types de focalisations :
1. La focalisation zéro : Le narrateur en sait plus que les personnages. Il peut connaître les pensées, les faits et les gestes de tous les protagonistes. C’est le traditionnel « narrateur-Dieu ».
2. La focalisation interne : Le narrateur en sait autant que le personnage focalisateur. Ce dernier filtre les informations qui sont fournies au lecteur. Il ne peut pas rapporter les pensées des autres personnages.
3. La focalisation externe : Le narrateur en sait moins que les personnages. Il agit un peu comme l’œil d’une caméra, suivant les faits et gestes des protagonistes de l’extérieur, mais incapable de deviner leurs pensées.
L'approfondissement des caractéristiques propres à l’instance narrative, autant que celles du mode narratif, permet de clarifier les mécanismes de l’acte de narration et d’identifier précisément les choix méthodologiques effectués par l’auteur pour rendre compte de son histoire. L’utilisation de l’un ou l’autre de ces procédés narratologiques contribue à créer un effet différent chez le lecteur. Par exemple, la mise en scène d’un héros-narrateur (autodiégétique), utilisant une narration simultanée et une focalisation interne, et dont les propos seraient fréquemment présentés en discours rapportés, contribuerait sans aucun doute à produire une forte illusion de réalisme et de vraisemblance.
Extrait du cours de narratologie
par Lucie Guillemette
Université du Québec à Trois-Rivières
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