4e Anniversaire
21 Octobre 2008: Ouverture du Blog
أدب وثقافة عربيّة/Littérature et culture arabes / Arabic literature and culture
21 Octobre 2012: déjà 4 années d'existence et 368 pages sur tous les sujets qui concernent le littérature et la culture arabe.
Sous des formes diverses:
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2. des vidéos exclusives : concerts de musiques, conférences, documentaires etc...
3. des photos, miniatures, dessins etc...
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Aujourd'hui, je continue à enrichir cet espace avec la suite de mon travail sur la notion de Carpe Diem chez les Andalous avec un chapitre consacré aux poètes de la Djahiliyya.
C'est au tour de Tarafa Ibn al-'Abd de nous livrer sa conception de "la vie ici et maintenant".
Je vous souhaite une bonne lecture et tous vos commentaires sont les bienvenus.
Tarafa Ibn al-’Abd, mort à la fleur de
l’âge[1],
nous a laissé une longue ode, très importante par rapport au sujet qui nous
préoccupe. Elle s’ouvre « sur la revendication du ludique et finit par
l’appréhension de la mort »[2].
Un hédonisme marqué et un penchant pour les plaisirs de la vie y sont
revendiqués par ce poète assassiné pour avoir osé exprimer haut et fort un
amour que les mœurs de l’époque recommandaient de maintenir sous le sceau du
secret.
Comme cela est de convention, dans ce
genre de poésie, le temps qui passe est évoqué avec la touche personnelle qui
permet de transfigurer le néant en un tableau d’une grande beauté :
Il ne reste de
Khawla sur les schistes de Thahmad
Que des vestiges
qui remontent comme un reste de tatouage
Sur le dos de la
main.
C’est là
qu’arrêtant sur moi leurs montures
mes compagnons
m’ont dit
- Ne vas pas de
chagrin mourir, mais t’endurcis »[3]
La suite du poème montrera que le
chagrin de l’absence ne peut durer face au souvenir vivant de moments vécus
avec ses compagnons: « Hommes libres et sans tache, brillants comme les
étoiles ». Ressuscitant alors les plaisirs intenses partagés avec les joyeux
commensaux, toutes les sensations vécues autrefois viennent de nouveau habiter
le présent et lui donner une autre couleur. À la solitude et au silence du
désert, vient se substituer l’atmosphère conviviale et chaleureuse d’un cabaret
où une qayna, cette hétaïre de la culture arabe, attise par ses
chants et sa tenue les désirs des compagnons :
Une chanteuse
vient nous voir le soir, esclave vêtue d’une robe safran,
D’une autre à rayures
À l’ample et
hospitalière échancrure ; douce est sa peau
Au toucher des
commensaux, molle rondeur sa nudité ;
Quand nous lui
disons : « Fais-nous entendre ta voix ! »,
Son chant pour
nous se déploie
Doucement,
lentement en une languide complainte »[4].
Puis, donnant les raisons qui ont fait
de lui un marginal que sa propre tribu a fini par condamner au bannissement,
Tarafa énonce clairement son crédo :
Toujours, je suis
à boire du vin, à prendre mon plaisir,
A vendre et à
dissiper l’acquis et l’héritage,
Tant est si bien
que toute la tribu a fini par m’éviter,
Et qu’on m’a
isolé comme un chameau galeux.[5]
Ne sommes-nous pas là avec un homme qui
a fait du carpe diem une règle de
vie ? Peu confiant dans l’avenir, et profondément sceptique quant à l’au-delà,
il préfère la réalité du présent à l’incertitude de l’éternité. À ses
détracteurs qui lui reprochent sa soif de vivre ici et maintenant parce qu’il a
conscience que la mort est inéluctable, il répond :
Toi qui me blâmes
d’être toujours au cœur de la mêlée,
D’assouvir mes
passions, est-ce toi qui m’assureras l’éternité ?
Et si tu ne peux
faire que je ne meure point,
Laisse-moi donc
brusquer ma mort, en dissipant mes biens !
(…)
Je vois la vie
comme un trésor qui diminue chaque soir,
Le temps s’épuiser
avec la diminution des jours.[6]
Puisque tout doit finir un jour et plus
vite qu’on ne le croit, semble nous dire Tarafa, alors il faudrait se hâter de
vivre et ne râter aucune occasion de jouir de l’instant présent. « Le
généreux, tant qu’il est en vie,proclame t-il, s’abreuve lui-même jusqu’à plus
soif ».
Pour ce faire, il ne connaît pas
d’autre moyen d’assurer son bonheur que de vivre selon des principes qui
relèvent à la fois de l’hédonisme et de la générosité légendaire des nomades du
désert. Trois choses préoccupent le brave au cours de son existence :
1. L’ivresse
« Devancer les
censeurs en avalant
une lampée d’un
vin rouge-brun qui mélangé à l’eau mousse aussitôt »
2. Le courage quand il faut porter
secours à un homme en danger
« Tourner
bride, sur un cheval (…), à l’appel d’un infortuné »
3. L’amour :
Écourter un jour
nuageux(…)
Dans une tente au
mât dressé avec une grâce beauté ».[7]
La conscience aigüe de la briéveté de
l’existence va de pair chez lui avec le sentiment tragique de la mort. La « faucheuse »
n’épargne personne et réunit dans un même destin celui qui a bien vécu et celui
qui s’est privé de tout et a passé sa vie à se lamenter :
« je vois la
tombe du pleure-misère avare de ses biens
pareille à celle
du fol oisif qui dissipe les biens.
Regarde !
Là ! Deux tas de terre et posées dessus
Des dalles
sourdes, pierres plates entassées ! »[8]
Nouvelle lecture de cette poésie
souvent réduite à n’être qu’un témoignage antique d’un état primitif de la
langue arabe ? Certes, mais pour y déceler ce qui n’a pas varié chez
l’être humain depuis la nuit des temps : ses tentatives inlassables, d’une
époque à une autre, de faire face à sa condition de mortel. Car la mort ne
l’emporte pas seulement lors du dernier souffle, mais à chaque instant qui nous
échappe et sombre dans le tombeau du passé. Et nous voici avec des poètes dits « archaïques » qui se
battent avec talent et énergie contre le dahr avec pour seules
armes : la poésie.
Dimanche 21 Octobre 2012
Tous droits réservés: Saadane Benbabaali
[1] Ibn Qutayba, dans son livre la Poésie et les poètes,
dit qu’il serait mort à l’âge de 20 ans, après avoir offensé ʿAmr b. Hind, le
roi d’al-H̩īra, par un vers désobligeant et, ajoute l’une des versions
rapportées par Ibn Qutayba, parce qu’il aurait prononcé des vers galants à
l’endroit de la sœur du roi.
[2] J. Berque, op. Cité, p. 148.
[3] Les Suspendues (al-Mu’allaqât), traduction et présentation de
Heidi Toelle, Paris, 2009, p. 101.
[4] Les Suspendues op. cité, p. 117.
[5] Idem, p.
117
[6] Idem, pp. 120
[7] Idem, p. 121
[8] Idem, p.
121
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