Alf Layla wa-Layla
Article de l'Encyclopédie de l'islam
«Mille nuits et une nuit» est le titre du plus célèbre recueil arabe de contes merveilleux et d’autres histoires. On lit ou l’on entend souvent dire de nos jours «c’est un conte des Mille et une nuits», et, en effet, les contes merveilleux représentent la partie la plus frappante du recueil. Comme tous les Orientaux, les Arabes, depuis les temps les plus anciens, avaient plaisir à entendre des histoires fabuleuses; mais comme l’horizon intellectuel des vrais Arabes, dans les temps antérieurs à la naissance de l’Islam, était plutôt étroit, la matière de ces divertissements était empruntée surtout à l’extérieur, à la Perse et à l’Inde, comme nous l’apprennent les récits sur le rival du Prophète, le marchand al-Naḍr.
Par la suite, quand la civilisation arabe devint plus riche et plus variée, l’influence littéraire des autres pays fut naturellement beaucoup plus forte. Un lecteur attentif des «Nuits» ne manquera pas d’être surpris de la grande diversité de leur contenu: il ressemble en quelque sorte à une prairie orientale où quelques mauvaises herbes se mêleraient à un grand nombre de variétés de jolies fleurs. D’autre part, le lecteur observera que ces contes couvrent un très vaste domaine: il y a des histoires du Roi Salomon, des rois de l’ancienne Perse, d’Alexandre le Grand, des califes et des sultans d’un côté, et de l’autre, des contes où sont mentionnés les armes à feu, le café et le tabac.
L’ouvrage entier est enfermé dans un conte formant cadre; ce procédé était connu en Italie au moyen âge, et l’on peut en trouver des traces dans un roman de Giovanni Sercambi (1347/1424) et dans l’histoire d’Astolfo et Giocondo qui est contée dans le 28e chant de l’Orlando furioso de l’Arioste (début du XVIe s.); des voyageurs qui étaient allés en Orient peuvent avoir rapporté ce détail en Italie.
Mais l’ensemble des Mille et une nuits arriva en Europe au XVIIe et au XVIIIe siècles. Le savant et voyageur français Jean Antoine Galland (1646-1715) les publia pour la première fois. Voyageant dans le Proche-Orient, d’abord comme secrétaire de l’ambassadeur de France, puis pour rechercher des objets de musée, il avait connu le monde oriental, et son attention avait été attirée par le grand nombre d’histoires et de fables que l’on y racontait. Après son retour en France, il commença à publier en 1704 Les Mille et une nuits, contes arabes traduits en français; en 1706, sept volumes avaient paru; le volume VIII parut en 1709, les vol. IX et X en 1712, les vol. XI et XII en 1717, deux ans après la mort de Galland. Ce délai dans la publication des derniers volumes est significatif des difficultés qu’éprouvait Galland à se procurer la matière de ses contes, et aussi de son indifférence à l’égard de cet aspect de son œuvre scientifique. C’était un conteur né; il avait un flair particulier pour découvrir une bonne histoire et un certain talent pour la raconter. Il adapta ainsi sa traduction au goût de ses lecteurs européens, modifiant parfois l’expression du texte arabe et paraphrasant des détails qui étaient étrangers aux Européens; de là provient le grand succès de ses «Nuits». Mais il eut aussi la main heureuse. Il commença par la traduction de Sindbad le Marin d’après un ms. non identifié; puis il apprit que cela constituait une partie d’une grande collection de contes appelée «Les Cent et une nuits»; il eut ensuite l’heureuse fortune de recevoir de Syrie quatre vol. d’un ms. de cet ouvrage qui, à l’exception d’un court fragment découvert par Nabia Abbott, est le plus ancien connu et contient le meilleur texte qui ait survécu. Les trois premiers de ses vol. sont encore à la Bibliothèque Nationale, mais le quatrième est perdu. Dans les sept premiers volumes de sa traduction, il épuisa ses trois vol. de texte arabe que nous possédons encore, et il ajouta Sindbad et Camalzaman (Ḳamar al-zamān) d’après des mss. non identifiés. Puis, manquant de matière, il s’arrêta pendant trois ans, jusqu’à ce que son éditeur lui forçât la main en publiant, sans autorisation, le vol. VIII qui contient Ganem (G̲h̲ānim), traduit par Galland sur un ms. non identifié et deux contes, Zeyn Alasnam (Zayn al-aṣnām) et Codadad (Ḵh̲udādād), traduits par Pétis de la Croix et destinés à ses Mille et un jours. Galland resta à nouveau complètement démuni de matière et s’arrêta; il était aussi fatigué et dégoûté de toutes ces affaires. Mais en 1709, il rencontra un certain maronite d’Alep, Ḥannā, envoyé à Paris par le voyageur Paul Lucas, et reconnut aussitôt qu’il avait reçu une source orale de contes. Ḥannā lui raconta des histoires en arabe, et Galland inséra dans son Journal des extraits de quelques-unes d’entre elles; mais Ḥannā lui en donna aussi quelques-unes par écrit, de sorte que les quatre derniers vol. de la traduction de Galland furent remplis; son Journal donne de nombreux détails. Les contes transcrits par Ḥnnnā ont disparu, mais deux mss. arabes d’Aladin et un d’Ali Baba ont depuis été retrouvés; ce dernier est donc l’origine du livre qui fit connaître les «Nuits» en Europe et qui, dans le texte français et dans de nombreuses traductions du français est devenu, pour une multitude de lecteurs, les «Mille et une Nuits». Pour des détails, voir H. Zotenberg, Notice sur quelques manuscrits des Mille et une nuits et la traduction de Galland, Paris 1888. Cet ouvrage contient le texte arabe d’Aladin (ʿAlāʾ al-dīn) et une étude sur certains mss. des «Nuits» et sur les insertions dans le Journal de Galland. Voir aussi V. Chauvin, Bibliographie arabe, IVe partie, Liège 1900, et D. B. Macdonald, A bibliographical and literary study on the first appearànce of the Arabian Nights in Europe dans The Library Quarterly, II, no 4, oct. 1932, 387-420.
Pendant plus d’un siècle, la version française de Galland représenta pour l’Europe les «Nuits», et même deux de ses contes, dont le texte arabe original n’était pas connu, furent traduits en langues orientales. Mais pendant ce temps, d’autres mss. plus au moins en relation avec les «Nuits» furent ¶ retrouvés et servirent à la traduction et à la publication de divers suppléments à Galland. Comme les mss. des «Nuits» variaient eux-mêmes énormément quant aux histoires qu’ils contenaient, ces traducteurs étaient prêts à rattacher aux «Nuits» n’importe quel conte existant en arabe. Les suppléments suivants, en partie séparés et en partie rattachés aux éditions de Galland, présentent de l’importance en eux-mêmes et en tant que témoins des goûts de leur temps. Pour plus de détails sur eux tous, voir la Bibliographie de Chauvin, IVe partie, 82-120.
En 1788, parut comme supplément au Cabinet des Fées, vol. 38-41, une série de contes traduits de l’arabe par Denis Chavis. Il est significatif, pour l’intérêt porté à cette époque à tout le sujet des «Nuits», que, de ce supplément, parurent en 1792-94, trois traductions anglaises distinctes. En 1795, William Beloe publia dans le troisième volume de ses Miscellanies quelques contes arabes qui lui avaient été traduits oralement par Patrick Russel, l’auteur de The Natural History of Aleppo (1794). En 1800, Jonathan Scott traduisit dans ses Tales, Anecdotes and Letters quelques contes tirés du ms. des «Nuits» rapporté de l’Inde par James Anderson, et en 1811 il ajouta à son édition d’une version anglaise de Galland un volume de nouveaux contes tirés d’un autre ms., celui de Wortley Montague, maintenant à Oxford. En 1806, Caussin de Perceval avait déjà ajouté deux vol. de supplément à son édition de Galland. Mais Édouard Gauttier, dans sa prétendue édition de Galland (1822-25) alla beaucoup plus loin: en plus de deux vol. de nouveaux contes tirés de toutes sortes de sources, il en inséra librement d’autres dans les «Nuits» de Galland. Von Hammer, dans ses Die noch nicht übersetzten Erzāhlungen der Tausend und einen Nacht (Stuttgart 1823) eut une base beaucoup plus solide et se servit d’une recension réelle des «Nuits». Il avait acquis en Égypte un ms. de la recension maintenant connue sous le nom de «recension égyptienne de Zotenberg», qui, à travers de nombreuses éditions, est devenue la Vulgate des «Nuits»; voir les éditions, ci-dessous. La traduction française par Von Hammer d’un certain nombre d’histoires qui ne figuraient pas chez Galland est perdue, mais Zinserling (1823) la traduisit en allemand, et cette version fut mise en anglais par Lamb (1826) et en français par Trébutien (1828). En 1825, M. Habicht publia à Breslau 15 volumes qui prétendaient être une nouvelle traduction, mais qui en réalité contenaient Galland avec quelques suppléments tirés de Caussin, Gauttier et Scott, et une suite provenant d’un ms. dit tunisien; il commença aussi à publier un texte arabe. En partant de ce texte, puis aussi de Galland, du ms. de Gotha et d’un texte imprimé en Égypte, Weil publia sa traduction entre 1837 et 1867.
Les principales éditions du texte arabe d’alf Layla wa-layla sont les suivantes:
1. La première éd. de Calcutta: The Arabian Nights Entertainments; In the Original Arabic. Published under the Patronage of the College of Fort William; By Shuekh Uhmud bin Moohummud Shirwanee ul Yumunee. Calcutta, vol. 1, 1814; vol. II, 1818. Elle contient seulement les deux cents premières nuits et l’histoire de Sindbab le Marin.
2. La première éd. de Būlāḳ, éd. arabe complète, imprimée en 1251/1835 (d’après des mss. trouvés en Égypte) à l’imprimerie officielle fondée à Būlāḳ, près du Caire, par Muḥammad ʿAlī.
3. La deuxième éd. de Calcutta: The Alif Laila or the Book of the Thousand Nights and one Night, Commonly known as «The Arabian Nights Entertainments», ¶ now, for the first time, published complète in the original Arabic, from an Egyptian manuscript brought to India by the late Major Turner, editor of the Shah-Nameh. Edited by W. H. Macnaghten, Esq. In four volumes. Calcutta 1839-1842.
4. L’éd. de Breslau: Tausend und Eine Nacht Arabisch. Nach einer Handschrift aus Tunis herausgegeben von Dr. Maximilian Habicht, Professor an der Königlichen Universität zu Breslau (etc.), nach seinem Tode fortgesetzt von M. Heinrich Leberecht Fleischer, ordentlichem Prof, der morgenländischen Sprachen an der Universität Leipzig. Breslau 1825-1843. D. B. Macdonald, dans son article sur la recension de Habicht (JRAS, juillet 1909, 685-704) et dans A preliminary Classification of some MSS. of the Arabian Nights dans E. G. Browne Volume (Cambridge 1922, 304), discute la valeur de cette édition. Son opinion experte est que Habicht a créé volontairement un mythe littéraire et a énormément embrouillé l’histoire des «Nuits», car aucune recension tunisienne n’a jamais existé et, en dehors de beaucoup de contes tirés de nombreuses sources, il a fabriqué une nouvelle recension des «Nuits», de la même façon qu’il avait forgé sa traduction décrite plus haut. Cependant, Macdonald reconnaît que les textes de Habicht sont donnés mot pour mot sans aucun essai de correction et sont donc «vulgaires» dans le sens exact du terme, tandis que tous les autres textes ont été améliorés grammaticalement et lexicographiquement par des s̲h̲ayk̲h̲s savants.
5. Editions postérieures de Būlāḳ et du Caire. Dans la dernière moitié du XIXe siècle et au commencement du XXe, le texte complet de la première édition de Būlāḳ, identique pour le principal à la deuxième éd. de Calcutta, fut réimprimé à plusieurs reprises. Ces éd. représentent la «recension égyptienne de Zotenberg» qui est le résultat d’une compilation effectuée au XVIIIe siècle par un certain s̲h̲ayk̲h̲, selon une notice des Reisen durch Syrien, Palästina, Phönicien, die Tranjordanländer, Arabia Retraea und Unter-Aegypten de U. J. Seetzen, Berlin 1854-55, II, 188; le nom du s̲h̲ayk̲h̲ n’est pas connu, mais cette notice confirme l’hypothèse de Zotenberg. L’imprimerie catholique de Beyrouth a publié une éd. indépendante mais expurgée d’après un autre ms. de la même recension (1888-90).
C’est d’après la recension égyptienne qu’ont été faites toutes les traductions occidentales modernes. Celle de Lane, incomplète niais accompagnée d’un commentaire très complet et de valeur, commença à paraître par fascicules en 1839 et fut achevée en 1841; elle fut effectuée sur la première éd. de Būlāḳ. La traduction de Payne sur l’éd. de Macnaghten, complète et imprimée à titre privé, parut en neuf vol., 1882-84; trois vol. additionnels contenaient des contes de l’éd. de Breslau et de la première de Calcutta (1884), et un XIIIe vol. (1889) comprenait Aladin et Zayn al-aṣnām; depuis la mort de Payne en 1916, il y a eu un certain nombre de réimpressions complètes. La traduction de Sir Richard Burton, effectuée également sur l’éd. de Macnaghten, dépend très largement de celle de Payne qu’elle reproduit souvent mot pour mot (dix vol., 1885; six vol. de suppl., 1886-88); en plus de l’éd. de Smither (douze vol. 1894) et de celle de Lady Burton (six vol., 1886-88), elle a été plusieurs fois réimprimée entièrement. Sur l’étrange relation entre les versions de Payne et de Burton, voir Thomas Wright, Life of Sir Richard Burton (deux vol., Londres 1906) et Life of John Payne (Londres 1919), et pour un essai de jugement comparatif des traductions anglaises ci-dessus, voir Macdonald, On translating the Arabian ¶ Nights, dans The Nation, New York, 30 août et 6 sept. 1900. Dans la Reclam’s Universal-Bibliothek (1895-97), Max Henning a publié, en 24 petits vol., une traduction allemande qui est quelque peu expurgée et plutôt prosaïque et reproduit seulement la moitié des vers; les dix-sept premiers vol. donnent les «Nuits» d’après l’éd. de Būlāḳ, et les vol. 18-24 divers suppléments largement traduits de Burton. En 1899, J. C. Mardrus commença une traduction française des «Nuits», soi-disant d’après l’éd. de Būlāḳ de 1835; sa traduction, qui n’est pas très digne de confiance, comprend toutes sortes de contes tirés de collections autres que les «Nuits». De plus, il existe d’autres traductions des «Nuits» en espagnol, anglais, polonais, allemand, danois, russe, italien. La traduction espagnole est de Vincente Blasco Iban̄ez; l’anglaise de E. Powys Mathers; la polonaise est incomplète; l’allemande, par E. Littmann, a paru à Leipzig en six vol., 1921-28 (première réédition, Wiesbaden 1953, deuxième réédition, ibid. 1954); elle contient la traduction complète de la deuxième éd. de Calcutta et les contes suivants: Aladin et la lampe merveilleuse, d’après le ms. de Paris édité par Zotenberg; ʿAlī Baba et les quarante voleurs, d’après le ms. d’Oxford édité par Macdonald (JRAS, 1910, 221 sqq., 1913, 41 sqq.); le Prince Aḥmad et Parī Bānū, d’après Burton, c’est-à-dire une traduction anglaise d’une version hindoustanie dérivée de Galland; Abū l-Ḥasan ou le dormeur éveillé, d’après l’éd. de Breslau; La Ruse des femmes, d’après la première éd. de Calcutta; la fin du sixième voyage de Sindbad et son septième voyage, d’après la première éd. de Calcutta; supplément dans La ville d’airain; la fin de l’histoire de Sindbad et des sept vizirs; l’histoire d’al-Malik al-Ẓāhir Rukn al-dīn Baybars al-Bunduḳdārī et les seize gardiens, d’après l’éd. de Breslau; les Soeurs jalouses, d’après Burton-Galland; Zayn al-aṣnām, d’après un ms. de Paris édité par F. Groff; L’Aventure nocturne du calife, Ḵh̲udādād et ses frères, ʿAlī Ḵh̲awādja et le marchand de Bagdad, d’après Burton-Galland. La traduction danoise par J. Oestrup a été publiée à Copenhague en 1927. La traduction russe de I. Kračkovsky; a paru en 1934, l’italienne par F. Gabrieli, en 1949.
Lorsque les Mille et une nuits furent connues pour la première fois en Europe, elles servirent seulement au divertissement des lecteurs européens; mais au début du XIXe siècle, des savants occidentaux commencèrent à s’intéresser à la question de leur origine. Silvestre de Sacy, le fondateur de la philologie arabe moderne, traita de cette question dans plusieurs mémoires: Journal des savants, 1817, 678; Recherches sur l’origine du recueil de contes intitulés les Mille et une nuits, Paris 1829; dans les Mémoires de l’Acad. des Inscriptions et Belles-Lettres, X, 1833, 30. Il niait, avec raison, la possibilité de la rédaction par un seul auteur et pensait que le livre avait été écrit à une période très récente sans éléments persans ni indiens; c’est pourquoi il considérait comme apocryphe un passage des Murūd̲j̲ al-d̲h̲ahab d’al-Masʿūdī (écrit en 336/947 et repris en 346/957) qui fait état de ces éléments. Le passage en question, publié par Barbier de Meynard en arabe et en français (Les Prairies d’or, IV, 89) est le suivant: «Il en est de ces recueils [i.e. quelques histoires légendaires] comme des ouvrages qui nous sont parvenus et qui ont été traduits du persan, de l’hindou [un ms. a ici: pahlawī] et du grec. Nous avons dit comment ils ont été composés, tel le livre Hazār Afsāna, dont la traduction du persan donnerait en arabe «Alf Ḵh̲urāfa» (Les Mille contes), car on rend par k̲h̲urāfa le persan afsāna. Ce livre est ¶ généralement cité sous le titre de Alf Layla (Mille nuits) [deux mss. ont ici: Mille nuits et une nuit]. C’est l’histoire du roi, du vizir, de la fille du vizir et de l’esclave de celle-ci: S̲h̲īrazād et Dīnāzād [dans d’autres mss.: et sa nourrice; dans d’autres encore: et ses deux filles]».
Dans le Fihrist d’Ibn al-Nadīm (écrit en 377/987), I, 304, les Hazār afsān sont mentionnés et un résumé du conte qui forme le cadre de l’ouvrage est donné. Le Fihrist ajoute qu’Abū ʿAbd Allāh b. ʿAbdūs al-Ḏj̲ahs̲h̲iyārī (m. 331/942), l’auteur du Livre des Vizirs, entreprit la rédaction d’un livre dans lequel il avait choisi mille contes des Arabes, des Persans, des Grecs et d’autres peuples. Il en réunit quatre cent quatre-vingts, mais mourut avant d’avoir réalisé son dessein, c’est-à-dire d’avoir achevé les mille contes.
Contrairement à de Sacy, Joseph von Hammer (Wiener Jahrbücher, 1819, 236; J.A., 1re série, X, 3e série VIII; préface à ses Die noch nicht übersetzten Erzählungen (voir plus haut) soutint l’authenticité du passage d’al-Masʿūdī avec toutes ses conséquences. William Lane essaya de prouver que tout l’ouvrage était dû à un seul auteur et avait été écrit entre 1475 et 1525 (préface à The Arabian Nights Entertainments, Londres 1839-41).
La discussion a été résumée par De Goeje (De Arabische Nachivertellingen dans De Gids, 1886, III, 385, et The Thousand and One Nights dans l’Encycl. Britann., XXIII, 316). Comparant le passage du Fihrist (voir plus haut) où il est dit que les Hazār Afsān ont été écrits pour Humāy (var. Humānī), fille du roi Bahman, avec un passage d’al-Ṭabarī (IXe s.), I, 688, où le nom d’Esther est donné à la mère de Bahman et celui de S̲h̲ehrezād à Humāy, il essaya de montrer que le cadre des «Nuits» était en rapport avec le Livre d’Esther. August Müller semble avoir été le premier à adopter une attitude plus libre, dans ses Sendschreiben, adressés, sur ce sujet, à De Goeje (Bezzenbergers Beiträge, XIII, 222) et dans son article publié dans Die deutsche Rundschau, XIII, 10 juil. 1887, 77-96. Il distingua dans l’ouvrage plusieurs groupes, supposant que l’un d’eux avait été écrit à Bagdad, tandis qu’il assignait une origine égyptienne à un autre groupe plus important. L’idée de plusieurs groupes a été exploitée avec plus de précision par Th. Nöldeke (Zu den ägyptischen Märchen dans ZDMG, XLII, 68) qui définit approximativement les textes grâce auxquels chaque groupe est reconnaissable.
Le contenu des «Nuits» a été décrit et étudié par Nöldeke à plusieurs reprises. A cet égard, les Studier over 1001 Nat (Copenhague 1891) d’Oestrup ont une importance particulière; ils ont été traduits en russe par Krymski (Izsliedowanie 0 1001 noči, Moscou 1905, avec une longue introduction), et en allemand par O. Rescher, «Oestrups Studien über 1001 Nacht» aus dem Dänischen (nebst einigen Zusätzen), Stuttgart 1925, et un résumé en français avec des notes a été publié par Galtier (Caire 1912). D’autres discussions ingénieuses sur le sujet ont été données par Horovitz, principalement dans son article Die Entstehung von Tausendundeine Nacht dans The Review of Nations, n° 4, avril 1927. Voir aussi Littmann, Tausendundeine Nacht in der arabischen Literatur (Tubingen 1923) et Die Entstehung und Geschichte von Tausendundeiner Nacht dans l’appendice à sa traduction (mentionnée plus haut).
Le plus ancien témoignage de l’existence du livre des «Mille Nuits», après la mention de l’ouvrage par al-Masʿūdī et dans le Fihrist (voir plus haut), a été découvert par Nabia Abbott, A Ninth-Century Fragment of the «Thousand Nights». New Light on the ¶ Early History of the Arabian Nights dans Journal of Near Eastern Studies, III, n° 3, juil. 1949. Au XIIe s., un recueil de contes intitulé «Les Mille nuits et une nuit» était connu en Égypte, ainsi que nous l’apprend un certain al-Ḳurṭī qui écrivit une histoire de l’Égypte sous le dernier calife fāṭimide (1160-71), et al-G̲h̲uzūlī, qui mourut en 815/1412, a transmis dans son anthologie un conte des «Nuits», comme Torrey l’a reconnu (JAOS, 1894, 42 sq.). Un ms. découvert par H. Ritter à Istanbul, et qui date du XIIIe ou du XIVe s., contient quatre histoires qui existent dans la recension égyptienne. Ces contes ne sont pas considérés comme faisant partie des «Nuits»; ils seront publiés et traduits par H. Wehr sur la base des études préliminaires d’A. von Bulmerincq. Suivront ensuite le ms. de Galland et un certain nombre d’autres mss. des «Nuits» qui couvrent la période du XVe au XVIIIe s.
Nous savons donc que sous leur forme commune, les «Nuits» contiennent une partie bag̲h̲dādienne et une partie égyptienne. Oestrup a divisé les contes séparés en trois groupes dont le premier comprendrait les contes merveilleux tirés des Hazār Afsāna persans avec le cadre du livre, le deuxième contiendrait des contes venus de Bag̲h̲dād et le troisième ceux qui ont été ajoutés au corps de l’ouvrage; certains contes, comme le long roman de chevalerie de ʿUmar b. al-Nuʿmān, ont été insérés quand le nombre 1001 a été pris dans son sens littéral. Mais l’histoire de Sūl et S̲h̲umūl dans un ms. de Tübingen, qui est soidisant une partie des «Nuits» et qui a été éditée comme telle par Seybold, n’en a certainement jamais été partie intégrante, car on y voit un Musulman converti au christianisme; dans les «Nuits» authentiques, des Chrétiens, des Zoroastriens et des païens adoptent souvent l’Islam, mais un Musulman n’embrasse jamais une autre religion.
Les classes suivantes des «Nuits» ont été établies par Macdonald — étant entendu que chaque collection de contes entre dans le cadre que nous connaissons: I. Les Hazār Afsāna («Mille Contes») persans originaux; II. Une version arabe des Hazār Afsāna; III. Le conte formant le cadre des Hazār Afsāna, suivi de contes d’origine arabe; IV. Les «Nuits» de la dernière période fāṭimide; al-Ḳurṭī témoigne de leur popularité; V. La recension du ms. de Galland; des notes qu’il contient montrent que le ms. était à Tripoli de Syrie en 943/1536, à Alep en 1001/1592; il peut naturellement être plus ancien; mais il a été écrit en Égypte. Reste le problème, jusqu’à présent non résolu, des relations entre ce ms. et les autres mss. anciens et indépendants; d’après Macdonald, il y en a au moins six qui doivent être pris en considération.
Nabia Abbott (voir ci-dessus) a établi les six classes suivantes: I. Une traduction des Hazār Afsāna datant du VIIIe s.; selon son opinion, c’était très probablement une traduction complète et littérale, peut-être intitulée Alf Ḵh̲urāfa; II. Une version islamisée des Hazār Afsāna datant du VIIIe s. et intitulée Alf Layla; elle pourrait être soit partielle, soit complète; III. Un Alf Layla composite du IXe s. contenant à la fois des matériaux arabes et persans; alors que la plupart des plus anciens contes proviennent sans aucun doute des Hazār Afsāna, d’autres livres de contes usuels, surtout le Livre de Sindbād et le Livre de S̲h̲imās ne sont pas des sources improbables. Les matériaux arabes, comme Littmann l’a déjà noté, ne sont pas aussi insignifiants que Macdonald le pensait; IV. Les Alf Samar d’Ibn ʿAbdūs al-Ḏj̲ahs̲h̲iyārī datant du Xe s. On ne voit pas clairement si ce recueil était destiné à comprendre, ¶ prendre, avec d’autres matériaux, toutes les «Nuits» courantes et à les supplanter; V. Un recueil du XIIe s. enrichi de matériaux tirés de IV, ainsi que de contes asiatiques et égyptiens de composition égyptienne locale. Le changement de titre en Alf Layla wa-layla remonte, selon toute probabilité, à cette époque. VI. Les étapes finales du recueil qui s’accrut jusqu’au début du XVIe s. Des contes héroïques des contre-croisades islamiques figurent parmi les plus importantes additions. La Perse et le ʿIrāḳ peuvent avoir fourni quelques-uns des derniers contes extrême-orientaux à la suite de la conquête de ces pays par les Mongols au XIIIe s. La conquête finale de la Syrie et de l’Égypte mamlūkes par l’Ottoman Salīm Ier (1512-20) clot le premier chapitre de l’histoire des Mille et une nuits dans leur patrie orientale.
Le titre «Mille Contes» peut avoir été changé en «Mille Nuits» quand le conte qui forme le cadre et les autres histoires furent combinés avec des contes arabes. Cela ne peut pas avoir été effectué plus tard que le IXe s. A l’origine, «Mille Contes» désigne seulement un très grand nombre de contes; de la même façon, on dit de S̲h̲ehrezād qu’elle a réuni «mille livres». Pour un esprit simple, 100 est un nombre élevé, et «cent ans plus tôt» a le même sens, chez les historiens orientaux, que «il y a longtemps»; aussi le nombre 100 ne doit-il pas être pris dans son sens strict. Mais 1000 est presque synonyme d’innombrable. Et le «Livre des Mille Nuits» qui était connu à Bag̲h̲dād contenait à peine cent nuits distinctes. Mais pourquoi 1000 a-t-il été changé en 1001? Ce changement peut devoir en partie son origine à l’aversion superstitieuse qu’éprouvent communément les Arabes aussi bien que d’autres peuples, pour les chiffres ronds. Mais il est très probable qu’il a été aussi influencé par l’usage idiomatique turc de bin bir «mille et un» pour désigner un grand nombre: en Anatolie existe une ruine appelée Bin-bir-kilise «Mille et une églises» alors qu’il est évidemment loin d’y en avoir autant. A Istanbul, il y a une place nommée Bin-bir-direk «Mille et une colonnes», mais il n’y en a que quelques douzaines. L’allitération turque bin bir est à l’origine de l’expression persane hazār yak «1001» et du titre alf layla wa-layla. Depuis le XIe s., la Perse, la Mésopotamie, la Syrie et les autres pays de l’Orient musulman furent sous l’influence des Turcs. Ainsi le titre «1001 Nuits» ne désigne à l’origine qu’un grand nombre de nuits, mais par la suite le nombre fut pris dans son sens littéral, et il devint nécessaire d’ajouter de nombreux contes afin de compléter le nombre 1000.
Si donc l’Inde, la Perse, la Mésopotamie, l’Égypte et, en quelque mesure, les Turcs furent associés à l’origine des «Nuits», nous devons en conclure que les matériaux provenant de tous ces pays et de tous ces peuples peuvent y être retrouvés. Les premiers critères externes pourraient être les noms propres. Il y a des noms indiens comme Sindbad, turcs comme Ali Baba et Ḵh̲ātūn; S̲h̲ehrezād, Dīnāzād, S̲h̲ahzamān sont des noms persans qui apparaissent, comme De Goeje l’a montré, dans des légendes persanes; Bahrām. Rustam, Ardas̲h̲īr, S̲h̲āpūr et tant d’autres sont également persans. Cependant, la grande majorité des noms sont arabes, c’est-à-dire que ce sont de vieux noms arabes en usage chez les Bédouins arabes et ensuite dans l’Islam. Des noms grecs et européens apparaissent dans quelques cas, dans des contes traitant des relations entre Musulmans, Byzantins et Francs. Les noms égyptiens concernent des lieux et des mois sous leur forme copte. Parmi ¶ les noms hébreux, Salomon et David apparaissent surtout; tous deux jouent un rôle important dans la tradition islamique. A côte d’eux, Āṣaf, Barak̲h̲iyā, Bulūḳiyā et d’autres sont nommés. Mais comme dans de très nombreux cas les contes sont mis sous le nom d’autres personnes et que fréquemment les personnages sont anonymes, on ne doit pas insister sur la question des noms.
Cependant, le système du conte qui sert de cadre, très courant dans l’Inde, mais très rare dans les autres pays, est une preuve de l’origine indienne de certaines parties des «Mille et une Nuits». Dans les livres populaires indiens, on lit communément quelque chose comme ceci: «Tu ne dois pas faire telle ou telle chose, sinon il t’arrivera comme à un tel et un tel». — «Comment cela?» demande l’autre, et ensuite le moraliste commence son histoire.
Les éléments étrangers dans les «Nuits» ont été soigneusement étudiés par Oestrup. Une de ses observations les plus intéressantes est que dans les contes merveilleux iraniens, les démons ou les puissances surnaturelles agissent pour leur propre compte et d’une façon indépendante, tandis que dans les contes plus récents, particulièrement dans ceux qui viennent d’Égypte, ils sont toujours assujettis à quelque talisman ou objet magique; de là, c’est leur possesseur qui décide du développement de l’action, et non les d̲j̲inns ou les ʿifrīts eux-mêmes. On ne peut donner ici qu’une bref résumé des éléments étrangers dans les «Nuits».
Le conte qui forme le cadre est d’origine indienne. Emmanuel Cosquin a montré, dans Études folkloriques (Paris 1922, 265), qu’il comprend trois parties différentes constituant à l’origine des contes indépendants. Ces parties sont les suivantes: 1 - l’histoire d’un homme qui était torturé par une épouse infidèle, mais dont le chagrin fut apaisé quand il apprit qu’une haute personnalité subissait la même infortune. 2 - L’histoire d’un démon ou d’un géant que sa femme ou son esclave trompait avec beaucoup d’autres hommes, de la plus audacieuse façon. Elle est identique au conte rapporté par le septième vizir dans l’histoire de Sindbad le Sage. 3 - Le conte d’une habile jeune fille qui, par son adresse à raconter des histoires, détourne un malheur qui la menace, ou qui menace son père ou les deux à la fois. De ces trois parties, seule la troisième semble avoir appartenu au conte-cadre originel, ainsi que l’indiquent al-Masʿūdī et le Fihrist; dans ce conte, donc, seuls le roi cruel, la fille adroite du vizir et sa fidèle vieille nourrice sont connus. Il est probable que l’histoire de la fille adroite du vizir est venue, à une date ancienne, de l’Inde en Perse, où elle a été «nationalisée» et combinée avec les deux autres parties du conte qui sert de cadre. Un certain nombre de contes, dans les «Nuits», ont une origine indienne: ainsi les histoires d’hommes pieux qui rappellent les saints bouddhistes et djaïnes, les fables d’animaux, le cycle de contes de Sindbad le Sage et de Djaliʿād et S̲h̲imās. On peut trouver des motifs indiens dans différents passages des «Nuits»: par exemple l’histoire du Cheval magique; l’empoisonnement au moyen des pages d’un livre (par le médecin Dūbān), pratique qui ressortit à des coutumes indiennes (cp. Gildemeister, Scriptorum Arabum de rebus indicis loci et opuscula, Bonn 1838, fasc. primus, 89). Tout cela passa par les Persans avant d’atteindre les Arabes.
Un certain nombre de contes sont d’origine persane, particulièrement ces contes merveilleux dans lesquels les spectres et les fées agissent indépendamment (voir ci-dessus). Les contes que Oestrup énumère comme étant d’origine indo-persane son ¶ les suivants: 1) Le cheval magique; 2) Ḥasan de Baṣra; 3) Sayf al-Mulūk; 4) Ḳamar al-Zamān et la princesse Budūr; 5) Le prince Badr et la princesse Ḏj̲awhar de Samandal; 6) Ardas̲h̲īr et Ḥayāt al-Nufūs. Selon Oestrup, le rapport entre l’histoire de ʿAlī Shār et l’original persan — la première contenant maints détails qui apparaissent dans le récit probablement postérieur de Nūr al-dīn ʿAlī et la faiseuse de ceintures qui prend également place dans les «Nuits» — ne peut être établi avec certitude. Les histoires des Sœurs jalouses et d’Aḥmad et Parī Bānū, qui figurent seulement chez Galland, donnent fortement l’impression d’être d’origine persane, mais leurs prototypes persans ne sont pas connus jusqu’ici.
Bag̲h̲dād est située dans la région de l’ancienne Babylone: il est donc probable que les idéaux de l’ancienne Babylone y ont survécu jusqu’à l’époque islamique et se sont reflétés dans les «Nuits». Et même tout un conte, Ḥayḳār le Sage, qui se présente dans quelques mss. comme une partie des «Nuits», est originaire de l’ancienne Mésopotamie; il remonte probablement au VIIe s. de J.-C. et a trouvé son chemin vers la littérature arabe à travers les littératures juive et chrétienne. Ḵh̲iḍr l’éternellement jeune a un prototype babylonien; les voyages de Bulūḳiyā et l’eau de jouvence recherchée par le prince Aḥmad peuvent refléter des motifs de l’épopée babylonienne de Gilgames̲h̲. Mais Ḵh̲iḍr et la source de vie ont probablement été transmis aux Arabes par le «Roman d’Alexandre», et les voyages de Bulūḳiyā leur furent connus à travers la littérature juive. Par dessus tout, les fréquentes anecdotes relatives aux califes ʿabbāsides et à leur cour, de même que quelques anecdotes sur leurs sujets appartiennent à la recension de Bag̲h̲dād des «Nuits». L’histoire de Sindbad le Marin trouva probablement sa forme définitive à Bag̲h̲dād, le roman de ʿUmar b. al-Nuʿmān contient des éléments persans, mésopotamiens et syriens; le roman de ʿAd̲j̲īb et G̲h̲arīb se rapporte à la Mésopotamie et à la Perse; l’histoire de Tawaddud, la sage esclave, est originaire de Bag̲h̲dād et elle a été à certains égards refondue en Égypte. Les histoires de Bulūḳiyā, de Sindbad le Sage et de Ḏj̲aliʿād et Wird Ḵh̲ān étaient certainement connues à Bag̲h̲dād. Mais il n’y a pas de preuves certaines que ces contes fissent partie de la recension de Bag̲h̲dād. On doit en dire autant des quatre contes du ms. d’Istanbul trouvé par Ritter (voir ci-dessus); il contient quatre des contes de nos «Nuits», mais ne ressortit pas à Alf Layla wa-layla. Ces contes sont: 1) l’histoire des Six Hommes, c’est-à-dire des six frères du barbier de Bag̲h̲dād; 2) Djullanār la fille de la mer; 3) Budūr et ʿUmayr b. Ḏj̲ubayr; 4) Abū Muḥammad le Paresseux.
On peut attribuer une origine égyptienne aux contes dans lesquels sont relatées des ruses de voleurs habiles et de fripons, à ceux dans lesquels les spectres et les démons apparaissent comme les serviteurs de talismans et d’objets magiques, et à ceux qui pourraient être qualifiés de «romans bourgeois» et dont quelques-uns ressemblent aux modernes romans d’adultère. Tous ces contes datent naturellement, dans leur forme présente, de l’époque des sultans mamlūks et de la domination turque en Égypte. Mais un certain-nombre de motifs remontent à l’ancienne Égypte. L’adroit fripon ʿAlī al-Zaybaḳ et son compagnon Aḥmad al-Danaf ont leur prototype dans le hardi condottiere Amasis, et le trésor de Rhampsinit se trouve dans l’histoire de ʿAlī al-Zaybaḳ, ainsi que l’a montré Nöldeke. Le singe-scribe dans l’histoire des trois dames de Bag̲h̲dād peut avoir son prototype dans Thot, le scribe des ¶ dieux égyptiens qui est toujours représenté sous la forme d’un singe, ou dans Hanuman, le singe-chef du Ramayana indien. On a également suggéré de voir dans l’ancien conte de l’Égyptien naufragé un rapport avec les voyages de Sindbad, et dans l’histoire d’Ali Baba une reproduction de celle de la prise de Jaffa par des guerriers égyptiens cachés dans des sacs; mais ces rapports ne sont pas très probables; voir Littmann, Tausendundeine Nacht in der arabischen Literatur, 22.
Pour les influences grecques possibles sur les «Nuits», voir von Grunebaum, Medieval Islam, Chicago 1946, chap. IX, Greece in the Arabian Nights.
Il reste à donner un exposé sommaire des différentes sortes de littérature représentées dans les «Nuits»; il est évidemment impossible de mentionner ici chacune de toutes ces histoires, comme cela a été fait dans l’appendice à la traduction de Littmann. On distingue six groupes principaux: 1) contes merveilleux; 2) romans; 3) légendes; 4) contes didactiques; 5) contes humoristiques; 6) anecdotes. Quelques exemples de chaque groupe doivent suffire ici.
1. L’histoire qui forme le cadre contient trois contes merveilleux indiens. Les contes qui viennent en tête dans tous les mss. (le Marchand et le d̲j̲innī; le Pêcheur et le d̲j̲inni; le Portefaix, les trois calenders et les trois dames à Baghdād; le Bossu) appartiennent à cette catégorie; ils sont eux-mêmes des exemples du système et contiennent quelques traits qui nous rappellent les prototypes indiens et même quelques motifs qui ont des parallèles dans des histoires d’Extrême-Orient. Les plus connus des contes merveilleux sont Aladin et la lampe merveilleuse et Ali Baba. Autres exemples: Ḳamar al-zamān et Budūr, les Sœurs jalouses, le Prince Aḥmad et Parī-Bānū, Sayf al-Mulūk, Ḥasan al-Baṣrī, Zayn al-Aṣnām.
2. Le plus long roman est celui de ʿUmar b. al-Nuʿmān et ses fils; il a été étudié par Paret (Der Ritterroman von ʿUmar an-Nuʿmān, Tübingen 1927), et par D. Grégoire et R. Goossens (ZDMG, 1934, 213: Byzantinisches Epos und arabischer Ritterroman). L’histoire de ʿAd̲j̲īb et G̲h̲arīb est un modèle de roman populaire islamique. Le Portefaix et les trois dames, ʿAlāʾ al-dīn Abū l-S̲h̲āmāt, Nūr al-dīn et S̲h̲ams al-dīn, Nūr al-dīn et Maryam la faiseuse de ceintures pourraient être qualifiés de «romans bourgeois», de même que le conte d’Abū Ḳīr et Abū Ṣīr.
Les histoires d’amour peuvent être ajoutées ici. Il y en a un grand nombre dans les «Nuits» et elles comprennent trois groupes: a) vie arabe ancienne avant l’Islam; b) vie urbaine à Bag̲h̲dād et Baṣra, affaires d’amour avec des jeunes filles libres ou esclaves dans les villes ou dans le palais des califes; c) romans d’amour provenant du Caire, qui sont parfois frivoles et lascifs. Voir Paret, Früharabische Liebesgeschichten (Berne 1927).
On doit aussi mentionner ici les histoires de brigands et de marins. Pour ʿAlī al-Zaybaḳ, voir plus haut. Beaucoup de brèves histoires de gardiens sont racontées devant les dirigeants de l’Égypte. La célèbre histoire de Sindbad le Marin est basée sur un livre, les Merveilles de l’Inde, qui contenait des aventures et des contes de marins réunis à Baṣra, au Xe s., par un capitaine du Golfe Persique. La première partie de l’histoire d’Abū Muḥammad le Paresseux est composée de contes de marins et de motifs de contes merveilleux.
3. Quelques anciennes légendes arabes sont insérées dans les «Nuits»: Ḥātim al-Ṭāʾī, Iram la Cité aux colonnes, la Ville d’airain, la Ville de Lebta qui concerne la conquête du Nord-ouest de l’Afrique ¶ par les Arabes. D’autres légendes font état d’hommes et de femmes pieux, entre autres de pieux Israélites (mais elles ne sont pas nécessairement dues à des auteurs juifs); la légende du Prince Pieux qui était un fils de Hārūn al-Ras̲h̲īd et devint darwīs̲h̲, est une réminiscence de la célèbre légende d’Alexios.
4. Contes didactiques, fables et paraboles, particulièrement d’animaux, sont connus de maints peuples; ils ont trouvé leur chemin jusqu’aux «Nuits», où la plupart d’entre eux paraissent être originaires de l’Inde, comme par exemple les deux longs cycles de Sindbad le Sage (Syntipas) et de Ḏj̲aliʿād et Wird Ḵh̲ān, et nombre de fables d’animaux, mais elles furent parfois refondues sous une forme arabe. La longue histoire de Tawaddud, la sage esclave (en Espagne, la Doncella Teodor, en Abyssinie, Tauded) que Horovitz a très exactement étudiée avec son prototype grec, appartient à cette catégorie.
5. Parmi les contes humoristiques prennent place les histoires d’Abū l-Ḥasan ou le Dormeur éveillé, de Ḵh̲alīfa le Pêcheur, de Ḏj̲aʿfar le Barmakide et le vieux Bédouin, de ʿAlī le Persan; ce dernier est une typique histoire de mensonges. Dans les histoires de Maʿrūf le Savetier et du Bossu, il y a maints traits humoristiques.
6. Le groupe des anecdotes comprend ici toutes les histoires qui n’ont pas été classées dans les groupes précédents. Les histoires du Bossu, du Barbier et ses frères sont des collections d’anecdotes qui constituent une comédie de grand style. Les autres anecdotes sont à diviser en trois groupes: celles des gouvernants et de leur entourage, celles des hommes généreux, celles qui sont tirées de la vie humaine courante. Les premières commencent avec Alexandre le Grand et prennent fin avec les sultans mamlūks: un petit nombre d’entre elles concernent des rois persans, mais un très grand nombre se rapportent aux califes ʿabbāsides, surtout Hārūn al-Ras̲h̲īd qui est devenu le souverain idéal dans l’opinion des Musulmans postérieurs; quelques-unes de ces anecdotes ne seraient pas originaires de Bag̲h̲dād, mais d’Égypte où elles lui furent attribuées. Les hommes généreux dont parlent les «Nuits» sont principalement Ḥātim al-Ṭāʾī, Maʿn b. Zāʾida et les Barmakides. Les anecdotes tirées de la vie courante sont de plusieurs sortes: elles parlent du riche et du pauvre, du jeune et du vieux, d’anomalies sexuelles (Wardān, la femme et l’ours; la Princesse et le singe), de mauvais eunuques, de juges injustes et rusés, de maîtres d’école stupides (un type connu dans la littérature grecque et romaine, ainsi que dans les contes arabes de l’Égypte moderne). L’Aventure nocturne du calife transmise seulement par Galland, contient trois longues anecdotes racontées tout au long et mêlées de motifs provenant des contes merveilleux.
Il y a environ 1420 poèmes ou fragments de poésie dans la deuxième éd. de Calcutta, selon Horovitz; de ce nombre, 170 répétitions doivent être déduites, de sorte qu’il reste 1250 citations poétiques. Horovitz a pu prouver que les citations dont il a pu découvrir les auteurs doivent être datées du XIIe au XIVe s., c’est-à-dire de la période égyptienne de l’histoire des «Nuits». Ces poèmes et ces vers sont tels que la plupart d’entre eux pourraient être supprimés sans troubler le cours du texte en prose, et par conséquent, ils ont été ajoutés à une date postérieure.
Bibliography
Elle a été donnée dans le cours de l’article. On attirera spécialement l’attention ici sur les Studier d’Oestrup et leur traduction annotée par O. Rescher (voir plus haut), sur N. Elisséeff, Thèmes et motifs des Mille et une ¶ nuits, Beyrouth 1949, et sur l’abondante bibliographie donnée par Brockelmann, S II, 59-63.
(E. Littmann)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire