Fâtima de Nîshâpûr, maître de Dhû-l-Nûn
Sulamî a dit ceci : " Abû Yazîd al-Bistâmî, qui était alors d'un rang spirituel éminent, se rendit auprès d'elle, et il déclarait par la suite :... Lire la suite
" De toute ma vie je n'ai vu qu'un seul homme et qu'une seule femme (spirituellement parfais), et cette femme Fâtima de Nîshâpûr. Quelle que fût la station spirituelle dont je lui parlais, ce qu'elle m'en disait alors provenait d'une connaissance de visu (par vision intérieure : 'iyânan). "
Ibn Khalaf a dit ceci : "J'ai entendu Ibn Mulûk qui était un grand maître, raconter qu'il avait rencontré Dhû-l-Nûn l'Egyptien et qu'il lui avait demandé quel était l'être le plus éminent qu'il avait vu. Dhû-l-Nûn lui avait répondu :
"Je n'ai connu personne de plus éminent qu'une femme, qui s'appelle Fâtima de Nîshâpûr et que j'avais rencontré à la Mekke. Elle parlait de la compréhension du Coran, et elle me remplissait d'admiration ".
Questionné au sujet par Ibn Mulûk, Dhû-l-Nûn lui répondit :
" C'est une sainte (waliyya), du nombre des " Amis de Dieu ". C'est mon maître, et voici quelques-unes des paroles que j'ai recueillies de sa bouche :
" Celui qui n'a pas présent à l'esprit le souci de (la grandeur de) Dieu, s'aventure dans tous les domaines et disserte inconsidérément, tandis que celui qui l'a présent à l'esprit, est rendu muet, sauf lorsqu'il s'agit de proclamer la vérité, et Dieu le maintient dans le sentiment d'indignité et dans la sincérité totale "
" L'homme qui est loyal et qui s'est rapproché de Dieu, est plongé dans un océan dont les vagues le secouent, et il appelle son Seigneur comme quelqu'un qui se noie demande à Dieu de le tirer du danger et de le sauver"
" Celui qui oeuvre pour Dieu selon le regard intérieur (qu'il tourne vers Lui), est un " gnostique " ('ârif), et celui qui oeuvre selon le regard que Dieu tourne vers lui, est un " pur " (mukhlis) ".
Commentaire d'Ibn 'Arabî :
Ces paroles concernent la station spirituelle de la "perfection de l'agir " (ihsân), au sujet de laquelle Gabriel avait interrogé Muhammad– que la grâce et la paix soient sur lui . Quand il lui avait demandé ce qu'était la perfection de l'agir, le Prophète– que la grâce et la paix soient sur lui – avait répondu :
" C'est que tu adores Dieu comme si tu Le voyais, car si tu ne Le vois pas, Lui te voit."
La première partie de cette phrase se réfère à la station spirituelle de la contemplation (de Dieu en toutes choses) (muchâhada), au sens absolu car celui qui s'y trouve n'est pas conditionné par l'oeuvre puisqu'à ce moment (spirituel) il voit que les oeuvres proviennent de Lui dans l'actualisation de leur existence. La deuxième partie de la phrase se réfère à la station spirituelle des purs, de ceux qui vouent leurs oeuvres à Dieu avec une totale sincérité.
Dhû-l-Nûn l'interrogea sur de multiples sujets. Alors qu'ils se trouvaient à Jérusalem, il lui demanda une (ultime) instruction :
" Persiste dans la sincérité, lui dit-elle, et combats ton âme charnelle en tes oeuvres ! "
Elle séjournait par piété à la Mekke, et elle se rendait parfois à Jérusalem pour revenir ensuite à la Mekke ; c'est là que Fâtima mourut en l'an 223 de l'Hégire/ 838, sur le chemin des Lieux Saints .
P 236-237 La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l'Egyptien
Pour Fâtima et Chuqrân, c'est beaucoup plus net. La source des informations concernant Fâtima de Nîshâpur (al-Nîsâbûriyya) comme maître de Dhû-l-Nûn se trouve chez Sulamî, et elles ont été recueillies par Ibn al-Jawzî puis par Ibn 'Arabî. Le texte de Sulamî fait état de la grande admiration qu'avaient pour elle Dhû-l-Nûn et Abû Yazîd al-Bistâmî ; il précise que c'est à la Mekke que Dhûn-l-Nûn l'a connue et qu'elle est devenue son maître, il cite un certain nombre d'instructions spirituelles que Dhû-l-Nûn avait reçues d'elle, il mentionne qu'ils se sont à nouveau trouvé réunis à Jérusalem, et il indique la date de sa mort à la Mekke en 233/838.
Il nous est possible d'apporter quelques précisions suplémentaires, grâce aux regroupements que permettent de faire les paroles d'Abû Yazîd al-Bistâmî à l'endroit de Fâtima, rapportées par Sulamî. On les retrouve en effet chez Hujwîrî (Kashf al-mahjûb, p120) dans la bouche d'Abu Yazîd à l'adresse de Fâtima l'épouse d'Ahmad ibn Khidrûya al-Balkhî, bien connu comme maître de la futuwwa au Khurâsân (mort en 240/854), et Hjwîrî ajoute que Fâtima et Ibn Khidrûya s'étaient établis à Nîshâpur. Celle qui fut le maître de Dhû-l-Nûn et l'épouse d'Ibn Khidrûya ne seraient qu'une seule et même personne. Annemarie Schimmel, dans Mystical dimensions of Islam (p427), n'hésite pas à les identifier sans discussion.
Le rôle de Maître spirituel qu'elle a assumé est confirmé par des textes que l'on trouve chez Abû Nu'aym (Hilya,x, p42), Ibn al-Jawzî (Talbîs Iblîs, p339), et 'Attar (Le mémorial des saints, trad. Pavet de Courteille, p245).
Abû Yazîd allait jusqu'à dire à Ibn Khidrûya : "Apprends la futuwwa de ton épouse ! ", ce qui ne devait pas manquer de mortifier Ibn Khidrûya, réputé maître en la matière. On comprend l'importance de cette identification, car elle signifie que la spiritualité khurâsânienne de la futuwwa, virilité et héroïsme, chevalerie de la foi, a été transmise à Dhû-l-Nûn par Fâtima de Nîshâpûr. Les deux mots clefs de la futuwwa sont al-îthâr, le fait de donner la préférence à l'autre, et al-sidq, la sincérité courageuse et énergique, et il est remarquable que l'ultime instruction donnée par Fâtima à Dhû-l-Nûn a été :
" Persiste dans la sincérité, et combats ton âme charnelle en tes oeuvres ! "
Dhûn-l-Nûn n'oubliera pas la leçon, et c'est la définition que lui-même donnera de la sincérité qui passera à la postérité, que tout le monde répètera après lui, et qui deviendra proverbiale:
"La sincérité est le sabre de Dieu sur la terre ; où qu'elle soit appliquée, elle ne peut que trancher ".
P 21 et 22 "La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l'Egyptien" Ibn 'Arabî, traduit de l'arabe et présenté par Roger Deladrière.
Sulamî a dit ceci : " Abû Yazîd al-Bistâmî, qui était alors d'un rang spirituel éminent, se rendit auprès d'elle, et il déclarait par la suite :... Lire la suite
" De toute ma vie je n'ai vu qu'un seul homme et qu'une seule femme (spirituellement parfais), et cette femme Fâtima de Nîshâpûr. Quelle que fût la station spirituelle dont je lui parlais, ce qu'elle m'en disait alors provenait d'une connaissance de visu (par vision intérieure : 'iyânan). "
Ibn Khalaf a dit ceci : "J'ai entendu Ibn Mulûk qui était un grand maître, raconter qu'il avait rencontré Dhû-l-Nûn l'Egyptien et qu'il lui avait demandé quel était l'être le plus éminent qu'il avait vu. Dhû-l-Nûn lui avait répondu :
"Je n'ai connu personne de plus éminent qu'une femme, qui s'appelle Fâtima de Nîshâpûr et que j'avais rencontré à la Mekke. Elle parlait de la compréhension du Coran, et elle me remplissait d'admiration ".
Questionné au sujet par Ibn Mulûk, Dhû-l-Nûn lui répondit :
" C'est une sainte (waliyya), du nombre des " Amis de Dieu ". C'est mon maître, et voici quelques-unes des paroles que j'ai recueillies de sa bouche :
" Celui qui n'a pas présent à l'esprit le souci de (la grandeur de) Dieu, s'aventure dans tous les domaines et disserte inconsidérément, tandis que celui qui l'a présent à l'esprit, est rendu muet, sauf lorsqu'il s'agit de proclamer la vérité, et Dieu le maintient dans le sentiment d'indignité et dans la sincérité totale "
" L'homme qui est loyal et qui s'est rapproché de Dieu, est plongé dans un océan dont les vagues le secouent, et il appelle son Seigneur comme quelqu'un qui se noie demande à Dieu de le tirer du danger et de le sauver"
" Celui qui oeuvre pour Dieu selon le regard intérieur (qu'il tourne vers Lui), est un " gnostique " ('ârif), et celui qui oeuvre selon le regard que Dieu tourne vers lui, est un " pur " (mukhlis) ".
Commentaire d'Ibn 'Arabî :
Ces paroles concernent la station spirituelle de la "perfection de l'agir " (ihsân), au sujet de laquelle Gabriel avait interrogé Muhammad– que la grâce et la paix soient sur lui . Quand il lui avait demandé ce qu'était la perfection de l'agir, le Prophète– que la grâce et la paix soient sur lui – avait répondu :
" C'est que tu adores Dieu comme si tu Le voyais, car si tu ne Le vois pas, Lui te voit."
La première partie de cette phrase se réfère à la station spirituelle de la contemplation (de Dieu en toutes choses) (muchâhada), au sens absolu car celui qui s'y trouve n'est pas conditionné par l'oeuvre puisqu'à ce moment (spirituel) il voit que les oeuvres proviennent de Lui dans l'actualisation de leur existence. La deuxième partie de la phrase se réfère à la station spirituelle des purs, de ceux qui vouent leurs oeuvres à Dieu avec une totale sincérité.
Dhû-l-Nûn l'interrogea sur de multiples sujets. Alors qu'ils se trouvaient à Jérusalem, il lui demanda une (ultime) instruction :
" Persiste dans la sincérité, lui dit-elle, et combats ton âme charnelle en tes oeuvres ! "
Elle séjournait par piété à la Mekke, et elle se rendait parfois à Jérusalem pour revenir ensuite à la Mekke ; c'est là que Fâtima mourut en l'an 223 de l'Hégire/ 838, sur le chemin des Lieux Saints .
P 236-237 La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l'Egyptien
Pour Fâtima et Chuqrân, c'est beaucoup plus net. La source des informations concernant Fâtima de Nîshâpur (al-Nîsâbûriyya) comme maître de Dhû-l-Nûn se trouve chez Sulamî, et elles ont été recueillies par Ibn al-Jawzî puis par Ibn 'Arabî. Le texte de Sulamî fait état de la grande admiration qu'avaient pour elle Dhû-l-Nûn et Abû Yazîd al-Bistâmî ; il précise que c'est à la Mekke que Dhûn-l-Nûn l'a connue et qu'elle est devenue son maître, il cite un certain nombre d'instructions spirituelles que Dhû-l-Nûn avait reçues d'elle, il mentionne qu'ils se sont à nouveau trouvé réunis à Jérusalem, et il indique la date de sa mort à la Mekke en 233/838.
Il nous est possible d'apporter quelques précisions suplémentaires, grâce aux regroupements que permettent de faire les paroles d'Abû Yazîd al-Bistâmî à l'endroit de Fâtima, rapportées par Sulamî. On les retrouve en effet chez Hujwîrî (Kashf al-mahjûb, p120) dans la bouche d'Abu Yazîd à l'adresse de Fâtima l'épouse d'Ahmad ibn Khidrûya al-Balkhî, bien connu comme maître de la futuwwa au Khurâsân (mort en 240/854), et Hjwîrî ajoute que Fâtima et Ibn Khidrûya s'étaient établis à Nîshâpur. Celle qui fut le maître de Dhû-l-Nûn et l'épouse d'Ibn Khidrûya ne seraient qu'une seule et même personne. Annemarie Schimmel, dans Mystical dimensions of Islam (p427), n'hésite pas à les identifier sans discussion.
Le rôle de Maître spirituel qu'elle a assumé est confirmé par des textes que l'on trouve chez Abû Nu'aym (Hilya,x, p42), Ibn al-Jawzî (Talbîs Iblîs, p339), et 'Attar (Le mémorial des saints, trad. Pavet de Courteille, p245).
Abû Yazîd allait jusqu'à dire à Ibn Khidrûya : "Apprends la futuwwa de ton épouse ! ", ce qui ne devait pas manquer de mortifier Ibn Khidrûya, réputé maître en la matière. On comprend l'importance de cette identification, car elle signifie que la spiritualité khurâsânienne de la futuwwa, virilité et héroïsme, chevalerie de la foi, a été transmise à Dhû-l-Nûn par Fâtima de Nîshâpûr. Les deux mots clefs de la futuwwa sont al-îthâr, le fait de donner la préférence à l'autre, et al-sidq, la sincérité courageuse et énergique, et il est remarquable que l'ultime instruction donnée par Fâtima à Dhû-l-Nûn a été :
" Persiste dans la sincérité, et combats ton âme charnelle en tes oeuvres ! "
Dhûn-l-Nûn n'oubliera pas la leçon, et c'est la définition que lui-même donnera de la sincérité qui passera à la postérité, que tout le monde répètera après lui, et qui deviendra proverbiale:
"La sincérité est le sabre de Dieu sur la terre ; où qu'elle soit appliquée, elle ne peut que trancher ".
P 21 et 22 "La vie merveilleuse de Dhû-l-Nûn l'Egyptien" Ibn 'Arabî, traduit de l'arabe et présenté par Roger Deladrière.
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