lundi 23 mars 2009

Cheikh Hamza Shakkur : maître syrien du chant mystique



Cheikh Hamza Shakkur : maître syrien du chant mystique
par Suleman Taufiq
27 février 2009

Bonn – Cheikh Hamza Shakkur, célèbre interprète de chants traditionnels arabes, est mort à Damas le 4 février à l’âge de 65 ans.

La façon dont celui-ci parvenait à mettre son audience dans un état proche de la transe, rien que par la grâce de son chant, était incroyable. Il avait non seulement un don pour le chant, mais aussi une voix puissante, forte et envoûtante capable de remplir, à elle seule, tel un orchestre, une salle entière.

Son intuition musicale venait de sa force spirituelle, qui attirait ceux qui l’écoutaient vers la tradition mystique du soufisme. Sa voix de basse avec son timbre ample et chaud ont fait de lui un des interprètes les plus renommés du monde arabe.

Hamza Shakkur est né à Damas en 1944. Dès son plus jeune âge, il fut soumis à l’apprentissage approfondi de la récitation du Coran conformément à la tradition syrienne. Son père était muezzin à la mosquée du quartier ; c’est là que le jeune Shakkur apprit les bases de la récitation spirituelle. A l’âge de dix ans, il assuma cette fonction et devint ainsi le successeur de son père.

Bien qu’il n’ait jamais appris à lire la musique, il réussit, en mémorisant les paroles et les mélodies, à se doter d’un répertoire composé d’un millier de chants.

C’est au sein de la communauté soufie qu’il commença à apprendre les hymnes de l’amour mystique, forme d’expression très respectée dans la société arabe aujourd’hui encore. Ayant étudié tout le répertoire de chants spirituels que compte l’islam, il fut un interprète très demandé. Il fit également de nombreux enregistrements pour la radio.

Puis il devint chef de la chorale des munshiddin (groupe de fidèles qui récitent le Coran) à la Grande Mosquée de Damas, où il chantait à l’occasion de cérémonies religieuses officielles, ce qui lui valut un immense succès dans toute la Syrie. La Grande Mosquée de Damas est un des lieux les plus sacrés de l’islam.

Cheikh Hamza Shakkur appartenait à l’école de musique traditionnelle de Damas. Il se sentait très proche de la confrérie des mevlevis - les derviches tourneurs - et s’efforça de sauvegarder la continuité de leur répertoire. Cette communauté est connue pour son rituel de danse tournante, symbole par excellence du mysticisme oriental. Vêtus d’amples jupes blanches en forme de cloche et d’une haute coiffe conique en poil de chameau, les derviches tourneurs tournent au son de la musique et du chant classiques.

Selon la croyance soufie, la vie est un mouvement circulaire éternel qui commence à un certain point et finit à ce même point. Les tournoiements des derviches symbolisent la source spirituelle du mysticisme soufi. Si le danseur entre en transe, il se sent suspendu à la grâce divine, dans ce mouvement divin éternel.

Cette confrérie mystique se rencontrait dans des loges et sauvegardait les chants originaux, qui se divisaient en suites, en modes et en rythmes.

La Grande Mosquée des Omeyyades à Damas a son propre répertoire de chants dans lequel des suites sacrées sont appelées nawbat, terme utilisé à l’origine pour désigner les chants séculaires écrits dans l’Andalousie arabe, plus connus par la suite sous la dénomination de muwashahat.

Des récitants comme Hamza Shakkur, accompagnés généralement par un choeur, choisissaient, dans le répertoire de la mosquée, la mention des 99 noms de Dieu ainsi que le récit de la naissance du Prophète Mahomet, les déclamant d’une manière si expressive, mobilisant le rythme avec tant de rigueur pour accompagner leur chant, qu’ils réussissaient à mettre progressivement les personnes venues les écouter dans un état de transe ou de méditation.

En 1983, le maître syrien et le musicien français Julien Weiss fondèrent l’ensemble Al Kindi, qui fut le premier à introduire cette musique en Europe et en Amérique.

L’ensemble se spécialisa dans la musique arabo-andalouse, son répertoire comprenant aussi bien des musiques sacrées que profanes. Ses interprétations étaient très empreintes de la tradition. Weiss créa un ensemble musical arabe avec des instruments tels que le luth oriental ou oud, le ney, le kanun, ainsi que diverses percussions.

Hamza Shakkur choisissait des chants aux rythmes et aux mélodies très variés qui révélaient son impressionnant phrasé musical et son étonnant talent d’improvisation. Il tenait particulièrement à l’unité de la séquence des chants et de leur mode musical ainsi qu’à la façon de chanter traditionnelle.

C’était un homme pieux, jouissant d’un titre religieux. Cependant, il chantait aussi bien des chants profanes que liturgiques. Il suivit la tradition de la communauté soufie pour qui la musique fait partie intégrante des cérémonies religieuses tout en étant un moyen par lequel l’âme humaine se rapproche du divin.

Le maître préférait les improvisations vocales de la musique arabe. Il excellait dans le côté affectif de l’art du chant comme peu en sont capables et savait s’adapter intuitivement aux émotions de chaque public afin de le captiver et de le séduire.


* Suleman Taufiq est un journaliste indépendant.
Article abrégé, paru sur Qantara.de, distribué par le Service de Presse de Common Ground (CGNews), avec l’autorisation de Qantara.de. Texte intégral accessible sur www.qantara.de.

Source : Qantara.de, 17 février 2009, www.qantara.de
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