Peinture: Kansoussi: http://www.kansoussi.com/index1.htm
http://www.musique-andalouse.com
Dans le cadre d'un débat nécessaire sur la La question de la transcription du répertoire musical andalou, voici une analyse intéressante de Moulay Ahmed BENKRIZI
Débat passionnant que celui qui traite de l’opportunité de transcrire ou non la musique classique andalouse sur partitions, tant il est vrai que les deux conceptions ont leurs fervents partisans et de farouches opposants avec autant d’éléments positifs que négatifs dans chacun des deux camps.
Il s’agit d’une question récurrente qui se pose depuis plus d’un siècle et qui a du mal à dégager une réponse satisfaisante sans se heurter à des obstacles naturels objectifs, que les quelques ébauches méritoires élaborées épisodiquement ne parviennent pas à faire unanimité sur le bien-fondé de leurs tentatives successives.
Les premières expériences sont à inscrire à l’actif du musicologue français Jules ROUANET, directeur de l’Ecole de Musique du Petit Athénée à Alger et collaborateur du journal « La Dépêche Algérienne ». Chargé en 1898 par les autorités coloniales d’effectuer des recherches sur la « musique arabe » à des fins encyclopédiques, il eut le bon flair de s’adresser au mâalem YAFIL (1) qui eut l’excellente idée de le remettre entre les mains de son maître le Cheikh Mohamed Ben Ali SFINDJA (2).
Par ailleurs, le compositeur français également bien connu Camille SAINT SAËNS (3), subjugué par la beauté envoûtante des modes andalous Sika, Mezmoum et Zidane entre autres, prit sur lui de s’inspirer fortement de ce dernier mode pour composer l’une de ses plus belles œuvres « La Bacchanale » de Samson et Dalila en reproduisant simplement le 4° passage de notre bonne vieille Touchia Zidane qui lui avait été soufflée par son ami YAFIL.
Ainsi, au chapitre des facteurs positifs dûment constatés et unanimement reconnus en faveur de la transcription, nous relèverons :
1°)- Une tendance indiscutable à l’uniformisation structurelle au niveau de l’exécution de la nouba andalouse non seulement par des orchestres différents à l’intérieur d’une même « Ecole » de rattachement –(Malouf de Constantine, Sanâa d’Alger, Gharnata de Tlemcen, Tarab el-Ala pour le Maroc)— mais encore, pourquoi pas par des formations étrangères de la planète (européenne, américaine ou asiatique) qui n’avaient jamais eu l’occasion auparavant de se frotter à cette musique savante, hautement élaborée.
2°)- Ensuite et surtout, une assurance imprescriptible contre toute défaillance de la mémoire et risque de déperdition d’un pan entier de notre patrimoine civilisationnel avec en prime, une préservation optimale d’un des plus grands et des plus beaux monuments culturels fortement menacé par une dénaturation involontaire ou délibérée.
http://www.musique-andalouse.com
Il est aisé de percevoir dès lors, tous les avantages considérables qui pourraient résulter d’une telle initiative, d’autant plus que sur les plans technique, artistique et intellectuel, aucune difficulté ne saurait entraver son exécution tant il est vrai que l’Algérie ainsi que les autres pays arabes concernés par ce problème sont parfaitement en mesure de disposer de tous les supports et compétences nécessaires à sa réalisation.
En effet des sommités de l’envergure des Maîtres Haroun Rachid, Mohamed Chérif Kortebi et Abdallah Kriou ou des regrettés Abdelwahab Slim et Boudjemia Merzak pour ne citer que ceux-la sont loin de faire défaut chez nos voisins et frères Maghrébins.
Malheureusement, au regard des aspects non négligeables de cette théorie qui n’est encore de nos jours, faut-il le rappeler, qu’au stade de ses premiers balbutiements, nous ne citerons qu’un seul argument dont la puissance et l’intensité ont incité plus d’un à réfléchir sérieusement sur l’opportunité de poursuivre l’expérience courageuse réalisée conjointement par l’orchestre symphonique de l’ex-RTA sous la direction du grand et talentueux Boudjemia Merzak , avec un accompagnement vocal tout aussi magistral du Maître Hadj Mohamed Khaznadji.
Au sujet de cette première réalisation du genre, il faut noter que la perfection de la transcription musicale et la maîtrise instrumentale affichée par un orchestre composé d’éminents musiciens n’ont pas réussi à restituer à la nouba « Dil » interprétée avec brio dans cette œuvre, toute l’émotion, toute la sensibilité qu’elle recèle aux yeux ou plutôt aux oreilles d’un auditoire habitué aux tendres caresses du quart de note et la magie envoûtante que seul un orchestre rompu aux techniques traditionnelles est en mesure de lui procurer avec ses « khanates », ses trilles et autres triolets qui ont la magie de faire vibrer les cœurs et chavirer les esprits au delà de toute mesure.
Sur ce point, il importe de souligner que ce quart de ton qu’on retrouve volontiers dans le manche des instruments propres aux musiques du Maghreb et du Machreq –(luth, kouitra, qanoun, rebeb, violon, violoncelle)—est malheureusement absent de l’échelle musicale d’une portée universelle et à fortiori des instruments à vent utilisés dans le monde occidental ; par contre seul l’Extrême-Orient pourrait être en mesure de restituer le quart, voire le huitième de note grâce à ses instruments spécifiques.
A ce sujet, il serait intéressant de consulter les spécialistes et les experts en la matière pour nous livrer un point de vue autorisé sur cette question très sensible de façon à nous permettre de prendre toute la mesure des difficultés et de l’importance qui s’y rattachent.
Pour Jawad FASLA, éminent musicien, chercheur et professeur de musique universelle, « l’écriture de la musique andalouse ne peut être qu’approximative en raison d’une morphologie carrée ; or, dit-il, la musique andalouse n’est pas une musique carrée, même si sa structure rythmique l’est. De ce fait, le contexte musical ne doit pas astreindre le musicien, mais laisser libre cours à ses improvisations ».
Sur ce dernier point, il est fait remarquer que les propos de ce chercheur peuvent paraître excessifs, ou en tout cas susceptibles d’être mal compris lorsqu’on sait que :
a)- la musique classique andalouse est fortement structurée depuis le 9° Siècle avec Yaâqûb AL-KINDY (796/874 après J.C.) lequel sera suivi par IBN-BADJA ou Avempace (1095/1138 après J.C.) dont les travaux ont abouti à la mise en forme définitive de la nouba andalouse que nous connaissons aujourd’hui ;
b)- et que la finalité des efforts déployés actuellement par tous les protagonistes vise précisément à la prémunir de toute déviation ou altération pour lui conserver son authenticité originelle.
Par conséquent il est nécessaire de relativiser le caractère péremptoire apparent de ce jugement en précisant simplement que les « improvisations « suggérées par ce maître chevronné ne visent en aucune manière la construction schématique de la nouba andalouse ou ses fondements historiques. Dans l’esprit de l’homme de terrain, il s’agit plutôt de modulations bien délimitées sur les « Istikhbars » et évidemment ces fameuses « khanates », trilles, triolets etc… que l’exécution traditionnelle a de tout temps confiés à l’inspiration créatrice de chaque musicien ou interprète. Aussi le terme « inspiration » serait à notre sens plus indiqué.
Plus pragmatique et réaliste à souhait, mais assurément moins soucieux des exigences d’une sensibilité spécifique prompte à vibrer aux charmes de l’inévitable quart de ton si cher à notre culture arabo-musulmane, le chercheur Djelloul YELLES, ancien directeur de l’I.N.M. d’Alger --(Institut National de Musique)—semble faire fi des arguments éminemment techniques et artistiques soulevés à juste titre par Jawad FASLA, pour accorder en fin de compte une prééminence absolue, sinon exclusive à la sauvegarde et à la préservation d’un patrimoine millénaire unique en son genre. Sa théorie est plus ambitieuse et va encore plus loin dans la mesure où il préconise très sérieusement de « reconstituer dans un stade futur, ce qui a été amputé par une transmission orale inefficace à un certain moment de notre histoire » ; ce en quoi il n’a pas tout à fait tort.
Alors, serait-ce la quadrature du cercle, un problème insoluble ou tout simplement un débat d’idées et des divergences d’opinions sur la façon de déterminer si les anges sont de sexe masculin ou féminin ?
Certainement pas. La question est on ne peut plus sérieuse et revêt une importance capitale pour l’avenir de cet art et de cette culture qui, quoi qu’en disent certains, n’ont pas révélé tous leurs secrets.
Il ne fait aucun doute que chacun des deux points de vue exprimés a ses avantages et ses inconvénients et il serait puéril voire dangereux de réfuter ou d’adhérer pleinement à l’un ou l’autre d’entre eux.
Certes la solution de facilité consisterait à rechercher un juste milieu, ce qui reviendrait à ménager le chou et la chèvre en évitant soigneusement de prendre position. Mais peut-on soutenir sérieusement que les demi-mesures ont-elles jamais réglé des problèmes de fond ayant un impact de cette importance ?
Pour ma part, je n’hésiterai pas à souscrire pleinement et simultanément à ces deux concepts qui nous sont proposés, mais en observant toutefois certaines réserves quant à la méthode et la façon de les mettre en application, compte tenu des objectifs que l’on veut se fixer.
Plus prosaïquement, je dirais que ma position personnelle vis-à-vis de l’enseignement du solfège ne souffre aucune ambiguïté tant il est vrai que ma conviction sur l’efficacité, voire le caractère indiscutable de cette science exacte au niveau de l’étude et de l’apprentissage de la nouba par les jeunes élèves est fondée sur une longue expérience au service de la pratique et de l’enseignement de la musique classique andalouse en milieu associatif.
Mais là s’arrête mon plaidoyer en faveur de l’écriture et de la transcription solfiée de cet art tel qu’il est préconisé par Djelloul YELLES.
Car au stade de l’exécution et de l’interprétation artistique proprement dite, je reste farouchement hostile à la méthode moderne qui consiste à traiter la nouba andalouse par voie de partition, pour reprendre l’expression du regretté Cheikh Sadeq EL-BIDJAOUI (4), et ceci en raison de la perte de sensibilité et de spontanéité accusée par des résultats somme toute non dépourvus d’un certain charme, mais privés tout de même de cette saveur exquise qui constitue en fait l’âme profonde de cette musique ancestrale.
En outre, et quels que soient la justesse et le bien-fondé des craintes exprimées très opportunément par YELLES sur l’avenir de ce art réellement en péril, je ne saurais me résoudre à partager objectivement son vœu de « voir un jour se réaliser la reconstitution de trésors enfouis hélas à jamais ».
Je ne voudrais même pas penser au réel danger qu’une telle entreprise ferait courir aux fondements mêmes de la musique andalouse, et cela pour une raison bien simple :
Si tant est qu’une initiative de cette nature fût utile ou souhaitable, quelles seraient les sources de références sur lesquelles les experts pourraient s’appuyer pour être en mesure de certifier la conformité et l’authenticité de ce travail de reconstitution par rapport à l’œuvre disparue ? En outre, les résultats obtenus qui pourraient se révéler sans doute d’une grande beauté sur les plans artistique et esthétique, n’en comporteraient pas moins les attributs d’une création nouvelle et originale n’ayant aucun point commun avec l’œuvre disparue qu’on voudrait ressusciter. Qui serait en mesure de garantir dans ce cas l’exactitude ou même seulement la ressemblance avec des noubas oubliées depuis plusieurs générations ?
Bien plus, il serait à craindre qu’une telle opération, même pratiquée par les plus grands spécialistes, ne soit de nature à faire courir des risques certains de dénaturation ou d’altération à l’ensemble d’un patrimoine culturel censé avoir été épargné jusque là. Ce serait évidemment la voie ouverte à toutes les dérives.
http://www.dafina.net/musique.htm
N’est-il pas plus sage de faire preuve de réalisme et d’être plus mesurés dans nos ambitions qui demeurent forcément très limitées dans ce domaine ? Ne serait-il pas plus judicieux d’appréhender ce problème sous l’angle de la « préservation de ce qui reste » - (et il est très vaste) - plutôt que de vouloir « reconstituer des trésors enfouis à jamais » ?
Bien entendu, cette doctrine ne s’oppose nullement à nos jeunes créateurs -- (et ils sont bien plus nombreux qu’on imagine) - d’exercer librement leurs talents en s’inspirant de la nouba andalouse pour composer des œuvres nouvelles et originales sans toutefois prétendre à l’appellation de « Nouba » qui, quoi qu’il en soit, demeure un label protégé par plus de dix siècles d’existence.
C’est donc un effort de sauvegarde et de préservation que nous sommes appelés à nous assigner en vue d’une transmission fidèle et sans déformation aux générations futures qui seraient bien en droit de nous demander des comptes.
C’est dans ce cas, et uniquement à cette fin que l’écriture de la musique andalouse peut se concevoir avec l’ambition de la voir un jour déborder de son lit pour s’imposer en tant que « musique universelle » dans toute l’acception du terme.
(Texte publié par "Le Quotidien d'Oran" n° 3683 du 30-1-2007)
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Il s’agit d’une question récurrente qui se pose depuis plus d’un siècle et qui a du mal à dégager une réponse satisfaisante sans se heurter à des obstacles naturels objectifs, que les quelques ébauches méritoires élaborées épisodiquement ne parviennent pas à faire unanimité sur le bien-fondé de leurs tentatives successives.
Les premières expériences sont à inscrire à l’actif du musicologue français Jules ROUANET, directeur de l’Ecole de Musique du Petit Athénée à Alger et collaborateur du journal « La Dépêche Algérienne ». Chargé en 1898 par les autorités coloniales d’effectuer des recherches sur la « musique arabe » à des fins encyclopédiques, il eut le bon flair de s’adresser au mâalem YAFIL (1) qui eut l’excellente idée de le remettre entre les mains de son maître le Cheikh Mohamed Ben Ali SFINDJA (2).
Par ailleurs, le compositeur français également bien connu Camille SAINT SAËNS (3), subjugué par la beauté envoûtante des modes andalous Sika, Mezmoum et Zidane entre autres, prit sur lui de s’inspirer fortement de ce dernier mode pour composer l’une de ses plus belles œuvres « La Bacchanale » de Samson et Dalila en reproduisant simplement le 4° passage de notre bonne vieille Touchia Zidane qui lui avait été soufflée par son ami YAFIL.
Ainsi, au chapitre des facteurs positifs dûment constatés et unanimement reconnus en faveur de la transcription, nous relèverons :
1°)- Une tendance indiscutable à l’uniformisation structurelle au niveau de l’exécution de la nouba andalouse non seulement par des orchestres différents à l’intérieur d’une même « Ecole » de rattachement –(Malouf de Constantine, Sanâa d’Alger, Gharnata de Tlemcen, Tarab el-Ala pour le Maroc)— mais encore, pourquoi pas par des formations étrangères de la planète (européenne, américaine ou asiatique) qui n’avaient jamais eu l’occasion auparavant de se frotter à cette musique savante, hautement élaborée.
2°)- Ensuite et surtout, une assurance imprescriptible contre toute défaillance de la mémoire et risque de déperdition d’un pan entier de notre patrimoine civilisationnel avec en prime, une préservation optimale d’un des plus grands et des plus beaux monuments culturels fortement menacé par une dénaturation involontaire ou délibérée.
http://www.musique-andalouse.com
Il est aisé de percevoir dès lors, tous les avantages considérables qui pourraient résulter d’une telle initiative, d’autant plus que sur les plans technique, artistique et intellectuel, aucune difficulté ne saurait entraver son exécution tant il est vrai que l’Algérie ainsi que les autres pays arabes concernés par ce problème sont parfaitement en mesure de disposer de tous les supports et compétences nécessaires à sa réalisation.
En effet des sommités de l’envergure des Maîtres Haroun Rachid, Mohamed Chérif Kortebi et Abdallah Kriou ou des regrettés Abdelwahab Slim et Boudjemia Merzak pour ne citer que ceux-la sont loin de faire défaut chez nos voisins et frères Maghrébins.
Malheureusement, au regard des aspects non négligeables de cette théorie qui n’est encore de nos jours, faut-il le rappeler, qu’au stade de ses premiers balbutiements, nous ne citerons qu’un seul argument dont la puissance et l’intensité ont incité plus d’un à réfléchir sérieusement sur l’opportunité de poursuivre l’expérience courageuse réalisée conjointement par l’orchestre symphonique de l’ex-RTA sous la direction du grand et talentueux Boudjemia Merzak , avec un accompagnement vocal tout aussi magistral du Maître Hadj Mohamed Khaznadji.
Au sujet de cette première réalisation du genre, il faut noter que la perfection de la transcription musicale et la maîtrise instrumentale affichée par un orchestre composé d’éminents musiciens n’ont pas réussi à restituer à la nouba « Dil » interprétée avec brio dans cette œuvre, toute l’émotion, toute la sensibilité qu’elle recèle aux yeux ou plutôt aux oreilles d’un auditoire habitué aux tendres caresses du quart de note et la magie envoûtante que seul un orchestre rompu aux techniques traditionnelles est en mesure de lui procurer avec ses « khanates », ses trilles et autres triolets qui ont la magie de faire vibrer les cœurs et chavirer les esprits au delà de toute mesure.
Sur ce point, il importe de souligner que ce quart de ton qu’on retrouve volontiers dans le manche des instruments propres aux musiques du Maghreb et du Machreq –(luth, kouitra, qanoun, rebeb, violon, violoncelle)—est malheureusement absent de l’échelle musicale d’une portée universelle et à fortiori des instruments à vent utilisés dans le monde occidental ; par contre seul l’Extrême-Orient pourrait être en mesure de restituer le quart, voire le huitième de note grâce à ses instruments spécifiques.
A ce sujet, il serait intéressant de consulter les spécialistes et les experts en la matière pour nous livrer un point de vue autorisé sur cette question très sensible de façon à nous permettre de prendre toute la mesure des difficultés et de l’importance qui s’y rattachent.
Pour Jawad FASLA, éminent musicien, chercheur et professeur de musique universelle, « l’écriture de la musique andalouse ne peut être qu’approximative en raison d’une morphologie carrée ; or, dit-il, la musique andalouse n’est pas une musique carrée, même si sa structure rythmique l’est. De ce fait, le contexte musical ne doit pas astreindre le musicien, mais laisser libre cours à ses improvisations ».
Sur ce dernier point, il est fait remarquer que les propos de ce chercheur peuvent paraître excessifs, ou en tout cas susceptibles d’être mal compris lorsqu’on sait que :
a)- la musique classique andalouse est fortement structurée depuis le 9° Siècle avec Yaâqûb AL-KINDY (796/874 après J.C.) lequel sera suivi par IBN-BADJA ou Avempace (1095/1138 après J.C.) dont les travaux ont abouti à la mise en forme définitive de la nouba andalouse que nous connaissons aujourd’hui ;
b)- et que la finalité des efforts déployés actuellement par tous les protagonistes vise précisément à la prémunir de toute déviation ou altération pour lui conserver son authenticité originelle.
Par conséquent il est nécessaire de relativiser le caractère péremptoire apparent de ce jugement en précisant simplement que les « improvisations « suggérées par ce maître chevronné ne visent en aucune manière la construction schématique de la nouba andalouse ou ses fondements historiques. Dans l’esprit de l’homme de terrain, il s’agit plutôt de modulations bien délimitées sur les « Istikhbars » et évidemment ces fameuses « khanates », trilles, triolets etc… que l’exécution traditionnelle a de tout temps confiés à l’inspiration créatrice de chaque musicien ou interprète. Aussi le terme « inspiration » serait à notre sens plus indiqué.
Plus pragmatique et réaliste à souhait, mais assurément moins soucieux des exigences d’une sensibilité spécifique prompte à vibrer aux charmes de l’inévitable quart de ton si cher à notre culture arabo-musulmane, le chercheur Djelloul YELLES, ancien directeur de l’I.N.M. d’Alger --(Institut National de Musique)—semble faire fi des arguments éminemment techniques et artistiques soulevés à juste titre par Jawad FASLA, pour accorder en fin de compte une prééminence absolue, sinon exclusive à la sauvegarde et à la préservation d’un patrimoine millénaire unique en son genre. Sa théorie est plus ambitieuse et va encore plus loin dans la mesure où il préconise très sérieusement de « reconstituer dans un stade futur, ce qui a été amputé par une transmission orale inefficace à un certain moment de notre histoire » ; ce en quoi il n’a pas tout à fait tort.
Alors, serait-ce la quadrature du cercle, un problème insoluble ou tout simplement un débat d’idées et des divergences d’opinions sur la façon de déterminer si les anges sont de sexe masculin ou féminin ?
Certainement pas. La question est on ne peut plus sérieuse et revêt une importance capitale pour l’avenir de cet art et de cette culture qui, quoi qu’en disent certains, n’ont pas révélé tous leurs secrets.
Il ne fait aucun doute que chacun des deux points de vue exprimés a ses avantages et ses inconvénients et il serait puéril voire dangereux de réfuter ou d’adhérer pleinement à l’un ou l’autre d’entre eux.
Certes la solution de facilité consisterait à rechercher un juste milieu, ce qui reviendrait à ménager le chou et la chèvre en évitant soigneusement de prendre position. Mais peut-on soutenir sérieusement que les demi-mesures ont-elles jamais réglé des problèmes de fond ayant un impact de cette importance ?
Pour ma part, je n’hésiterai pas à souscrire pleinement et simultanément à ces deux concepts qui nous sont proposés, mais en observant toutefois certaines réserves quant à la méthode et la façon de les mettre en application, compte tenu des objectifs que l’on veut se fixer.
Plus prosaïquement, je dirais que ma position personnelle vis-à-vis de l’enseignement du solfège ne souffre aucune ambiguïté tant il est vrai que ma conviction sur l’efficacité, voire le caractère indiscutable de cette science exacte au niveau de l’étude et de l’apprentissage de la nouba par les jeunes élèves est fondée sur une longue expérience au service de la pratique et de l’enseignement de la musique classique andalouse en milieu associatif.
Mais là s’arrête mon plaidoyer en faveur de l’écriture et de la transcription solfiée de cet art tel qu’il est préconisé par Djelloul YELLES.
Car au stade de l’exécution et de l’interprétation artistique proprement dite, je reste farouchement hostile à la méthode moderne qui consiste à traiter la nouba andalouse par voie de partition, pour reprendre l’expression du regretté Cheikh Sadeq EL-BIDJAOUI (4), et ceci en raison de la perte de sensibilité et de spontanéité accusée par des résultats somme toute non dépourvus d’un certain charme, mais privés tout de même de cette saveur exquise qui constitue en fait l’âme profonde de cette musique ancestrale.
En outre, et quels que soient la justesse et le bien-fondé des craintes exprimées très opportunément par YELLES sur l’avenir de ce art réellement en péril, je ne saurais me résoudre à partager objectivement son vœu de « voir un jour se réaliser la reconstitution de trésors enfouis hélas à jamais ».
Je ne voudrais même pas penser au réel danger qu’une telle entreprise ferait courir aux fondements mêmes de la musique andalouse, et cela pour une raison bien simple :
Si tant est qu’une initiative de cette nature fût utile ou souhaitable, quelles seraient les sources de références sur lesquelles les experts pourraient s’appuyer pour être en mesure de certifier la conformité et l’authenticité de ce travail de reconstitution par rapport à l’œuvre disparue ? En outre, les résultats obtenus qui pourraient se révéler sans doute d’une grande beauté sur les plans artistique et esthétique, n’en comporteraient pas moins les attributs d’une création nouvelle et originale n’ayant aucun point commun avec l’œuvre disparue qu’on voudrait ressusciter. Qui serait en mesure de garantir dans ce cas l’exactitude ou même seulement la ressemblance avec des noubas oubliées depuis plusieurs générations ?
Bien plus, il serait à craindre qu’une telle opération, même pratiquée par les plus grands spécialistes, ne soit de nature à faire courir des risques certains de dénaturation ou d’altération à l’ensemble d’un patrimoine culturel censé avoir été épargné jusque là. Ce serait évidemment la voie ouverte à toutes les dérives.
http://www.dafina.net/musique.htm
N’est-il pas plus sage de faire preuve de réalisme et d’être plus mesurés dans nos ambitions qui demeurent forcément très limitées dans ce domaine ? Ne serait-il pas plus judicieux d’appréhender ce problème sous l’angle de la « préservation de ce qui reste » - (et il est très vaste) - plutôt que de vouloir « reconstituer des trésors enfouis à jamais » ?
Bien entendu, cette doctrine ne s’oppose nullement à nos jeunes créateurs -- (et ils sont bien plus nombreux qu’on imagine) - d’exercer librement leurs talents en s’inspirant de la nouba andalouse pour composer des œuvres nouvelles et originales sans toutefois prétendre à l’appellation de « Nouba » qui, quoi qu’il en soit, demeure un label protégé par plus de dix siècles d’existence.
C’est donc un effort de sauvegarde et de préservation que nous sommes appelés à nous assigner en vue d’une transmission fidèle et sans déformation aux générations futures qui seraient bien en droit de nous demander des comptes.
C’est dans ce cas, et uniquement à cette fin que l’écriture de la musique andalouse peut se concevoir avec l’ambition de la voir un jour déborder de son lit pour s’imposer en tant que « musique universelle » dans toute l’acception du terme.
(Texte publié par "Le Quotidien d'Oran" n° 3683 du 30-1-2007)
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* Ancien Directeur des Finances
1) Edmond Nathan YAFIL (1877-1928) : Lettré en arabe et en français, ce Juif algérois n’est autre que le fondateur de l’association de musique andalouse « El-Moutribia » en 1911 et le maître du grand Mahieddine BACHETARZI. La musique andalouse lui sera reconnaissante d’avoir entrepris un travail remarquable de sauvegarde en réunissant tout ce qui restait encore des noubas dans un recueil appelé « Diwane » qui fera l’objet d’une seule et unique édition en 1904
2) SFINDJA (mort en 1908) : Disciple du maître Abderrahmane MNEMECH décédé en 1885 et maître des cheikh Mohamed BENTEFAHI, Mehieddine LAKEHAL et des Juifs Makhlouf BOUCHARA, MOUZINO Saül DURANT et YAFIL entre autres.
3) Saint Saëns : Décédé à Alger en 1921.
4) Cheikh Sadek Bédjaouï : (BOUYAHIA) Né le 17/12/1907 à Bejaia. Décédé le 07/01/1995.
1 commentaire:
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