Origines
Abū l-Faḍl Aḥmad Ibn al-Ḥusayn Ibn Yaḥyā Ibn Sa‘īd al-Hamadānī(1) est un épistolier, poète et écrivain arabo-iranien du 4ème/10ème siècle (2). Il est également le précurseur d’un nouveau genre littéraire typiquement arabe dit « maqāma ». Il naquit en 968/357 à Hamadān, ville de l’Iran central (3). Cependant, il est incontestablement d’origine arabe par ses deux parents. Ces derniers habitaient la Perse comme beaucoup de familles arabes de l’époque qui s’étaient installées sur les terres de l’Islam récemment conquises. D’ailleurs, l’esprit d’al-Hamadānī est marqué par l’appartenance à la tradition arabe et ceci est visible dans ses épîtres (4), notamment celle envoyée à Abū l-Faḍl al-Isfarā’īnī (5) où il décline son identité et ses origines: « Innī ‘abdu l-šayh wa ismī Aḥmad wa Hamadān al-mawlid wa taġallaba al-mawrid wa Muḍar8 al-maḥtid / Je suis le serviteur du šayh (6), me prénomme Aḥmad, né à Hamadān, la source a primé et je suis originaire de Muḍar ». Par conséquent, al-Hamadānī hérite de mœurs arabes et vit avec en Perse. Il fut surnommé « Badī‘ al-Zamān /la merveille du temps » (7). Cette appellation est attestée chez son contemporain, al-Ta‘ālibī (961-1038/349-429) (8) qui le présente en disant : « huwa Aḥmad Ibn al-Ḥusayn badī‘ al-Zamān wa mu‘ğizat Hamadān / C’est Aḥmad Ibn al-Ḥusayn, la merveille du siècle et le miracle de Hamadān »(9). Ta‘ālibī est visiblement celui qui a attribué ce surnom à al-Hamadānī en se référant, non seulement à sa valeur en tant qu’homme de lettres, mais aussi en essayant de faire rimer « Badī‘ al-Zamān » avec « Hamadān » ce qui était une pratique stylistique fréquente à l’époque.
Le prodige de son temps:
Issu d’une famille modeste mais cultivée, al-Hamadānī entreprit de longues études motivées par la soif et la boulimie du savoir. Son premier maître fut Aḥmad Ibn Fāris Ibn Zakariyya Ibn Ḥabīb (915-1004/302-394), grand philologue et auteur d’un précis de grammaire et d’un dictionnaire fort estimés (10). Plusieurs surnoms lui ont été attribués, parmi lesquels al-Qazwīnī, al-Rāzī et al-Zahrāwī (11) en référence aux villes qu’il aurait parcourues car il vouait au voyage une passion immodérée (12). Ainsi, c’est par ce grand homme qu’al-Hamadānī a été formé durant ses premières années d’études. Très rapidement, il fit preuve d’une virtuosité étonnante non seulement en persan mais aussi en arabe. Il était d’une éloquence remarquable et d’une intelligence extraordinaire. Al-Ta‘ālibī témoige dans son anthologie de la capacité d’al-Hamadānī à jongler avec un poème en le traduisant de l’arabe au persan, et vice versa, instantanément tout en respectant la métrique et la rime (13). Edward G. Browne a déclaré quant à lui qu’al-Hamadānī était ce que la Perse avait produit de meilleur en tant qu’auteur (14).
Le voyageur:
Quant à la longue histoire d’al-Hamadānī avec le voyage, celle-ci commence en 990/379 à l’âge de vingt-deux ans15. D’une ville à l’autre, d’un pays à l’autre, il parcourt les provinces et les métropoles de l’Islam du 10ème/4ème siècle. Son but était d’abord de rencontrer les grands savants et les grands intellectuels afin d’obtenir un enseignement et d’élargir ses connaissances lors des assemblées qui réunissaient les plus grands hommes de lettres de son temps. Il voulait aussi se rapprocher des Rois, des Vizirs et des Sultans afin de profiter de leur protection et de leur générosité. De plus, al-Hamadānī possédait toutes les qualités pour être distingué dans les cours de Perse telles que l’élégance, la jovialité, l’éloquence ainsi que son enthousiasme pour les joutes oratoires. On pourrait résumer la quête d’al-Hamadānī en deux mots : savoir et avoir. Il se dirigea en premier lieu vers Ispahan16 où il se rapprocha du Vizir et homme de lettres, Ismā‘īl Ibn ‘Abbād, de la tribu de Buya. A cette époque, la ville grouillait d’hommes de lettres qui se rassemblaient afin d’organiser des joutes littéraires et où al-Hamadānī fut admis sans peine. Ensuite, il se dirigea vers Ğurğān17 - capitale de la dynastie des Ziyarides (928-981/ 315-370) - à la recherche de la perle rare. Il fut accueilli comme il se doit par une famille de notables, al-Ismā‘īliyya. Il y bénéficia également d’un savoir particulier. Al-Hamadānī fit aussi la rencontre d’Abū l-Ḥasan ‘Alī Ibn ‘Abd al-‘Azīz al-Ğurğānī, un homme de culture et auteur de « al-Wasā’iṭ bayna l-Mutanabbī wa huṣūmi-hi / » avec qui il eut des échanges culturels fort intéressants. Ne s’attardant pas à Ğurğān, il prit le chemin de Rayy 18 où l’ambiance intellectuelle lui paraissait favorable. Il fut pris sous la protection du vizir Būyide Ibn Abbād 19 qui était aussi un épistolier de talent. Ensuite, il gagna Nīsāpūr qui était, à l’époque, la ville la plus réputée de Khurasān et le lieu de transit des savants qui se déplaçaient entre l’Irak et l’Orient. Le monopole des commandements de cette ville était concédé à Abū Mīkāl, famille de notables dont ses membres portaient le titre d’émir. A la fin du 10ème/4ème siècle, Nīsāpūr dépassait en importance Rayy, Balkh, Ḥurāt et devenait la ville la plus active du monde musulman20. On raconta aussi, que dans cette même ville, al-Hamadānī entra en conflit avec l’épistolier Abū Bakr al-Hārizmī (934-993/322-382) et emporta la bataille, ce qui fit, semble-t-il, mourir de dépit ce dernier21. C’est à ce moment là que la réputation d’al-Hamadānī se fit et que ses voyages aussi passionnants les uns que les autres se multiplièrent. Il alla d’Ispahan à Hurasān, de Hurasān à Ġazna, de Ġazna à Zaranğ puis à Sistān, et dans bien d’autres pays du monde musulman du 10ème/4ème siècle, pour enfin s’installer définitivement à Herat22 où il fit un riche mariage qui lui permit de vivre très aisément jusqu’à la fin de ses jours. Ainsi, en 1008/398, à peine la quarantaine atteinte, al-Hamadānī rendit l’âme après avoir laissé pour héritage ses œuvres précieuses. On raconta aussi que peu de temps avant sa mort 23, il abandonna le chiisme se ralliant alors au sunnisme.
L'inventeur des Maqâmât:
De son vivant, al-Hamadānī s’était fait une certaine réputation en tant que poète et épistolier en prose rimée et rythmée dont la fonction était, entre autres, le panégyrique, la satire, la description, le sermon, la demande de pardon. Quant aux destinataires de ces épîtres, ce furent les Rois, la famille ou les maîtres. Cependant, ces écrits n’apportaient rien de nouveau à la littérature qu’elle ne possédait déjà. Ce sont surtout ses fameuses maqāmāt qui firent passer son nom à la postérité. On estime que la composition des premières maqāmāt commença vers 992/382 à Nīsāpūr. Il aurait dicté quatre cents maqāma environ 24, dont cinquante-deux seulement nous parvinrent.
Concernant la paternité de ce nouveau genre, des doutes existent sur le fait qu’al-Hamadānī en soit le concepteur. En effet, Les contemporains d’al-Hamadānī, ainsi que leurs successeurs, émirent différents points de vue sur le fait que les maqāmāt d’al-Hamadānī lui avaient été inspirées par un autre que lui alors que d’autres affirment que ce dernier est l’inventeur du genre. A cet effet, al-Ḥarīrī et al-Ta‘ālibī admettent qu’al- Hamadānī est le précurseur de ce genre nouveau. Ainsi, al-Ta‘ālibī affirme dans son anthologie « Yatīmat al-dahr fī šu‘arâ’ al-‘aṣr / » qu’al-Hamadānī aurait dicté, en 992/382 à Nīsāpūr, quatre cents maqāma qui avaient pour héros Abū l-Fatḥ al-Iskandarī et qui avaient pour thème, entre autres, la mendicité. Al-Harīrī était aussi du même avis. Il reconnaît humblement le fait que l’œuvre d’al-Hamadānī soit la première œuvre appartenant au genre maqāma. Il composera également un poème où il avoue que c’est grâce à Badī‘ al-Zamān qu’il a eu, lui-même, l’idée de rédiger à son tour des maqāmat. Il n’en aurait jamais écrit s’il n’avait pas eu pour exemple le grand précurseur Badī‘ al-Zamān al-Hamadānī25. Quant à Abū Isḥāq al-Ḥuṣrī al-Qayrawānī (m.1022/412) et Margoliouth (1923/1341), Ils font partie de ceux qui affirment qu’al-Hamadānī a, sans aucun doute, été influencé par ces prédécesseurs qui auraient écrit des textes ressemblant de loin ou de près à la maqāma. Parmi les prédécesseurs de ce dernier, nous retrouvons principalement Ibn Durayd (837-933), philologue et lexicographe arabe. Celui-ci aurait écrit « Arba‘īn ḥadīt / quarante récits », dans un style littéraire très soutenu visant essentiellement à décrire le peuple persan. Al-Ḥuṣrī affirme sans aucune contrainte, dans « Zahr al-’ādāb " (26), qu’al-Hamadānī s’était inspiré des quarante récits d’Ibn Durayd pour composer à son tour, quatre cents maqāma, c’est à dire dix fois plus. Ainsi, un grand mystère réside autour de la création de ce genre.
1 « Yatīmat al-dahr fī šu‘arā’ al-‘aṣr» d’al-Ta‘ālibī, 1947. Ed. Muḥammad Muḥyī l-Dīn ‘Abd al-Ḥamīd. Le Caire. Maktabat al-taḥsīn al-tiğāriyya. Vol. 4, p. 257. Désormais, cet ouvrage sera signalé par « Yatīmat
2 E.I2 « al-Hamadānī ».
3 Idem.
4 « Nawābiġ al-fikr al-‘arabi » D’al-Hamadānī. Ed. Mārūn ‘Abbūd. Egypte. Dār al-ma‘ārif. 1976. p. 46.
5 Vizir de Maḥmūd Ibn Sabaktakīn en 995/384.
6 Tribu arabe habitant près de l’Euphrate.
7 Il est question de son premier maître, Ibn Fāris, qui sera cité plus loin.
8 Selon la traduction de Blachère & Masnou dans leur « choix de maqāmāt » p.22, opposée à celle de C. Brockelman & Ch. Pellat dans leur article E.I2 : « Le prodige du siècle ». Désormais, l’ouvrage « choix de maqāmāt » sera signalé par « C.D.M ».
9 Anthologiste et critique arabe du 10ème/4ème siècle.
10 « Yatīmat» : Vol. 4, p. 257.
11 « C.D.M ». p. 23.
12 Provinces musulmanes du 10ème/4ème siècle.
13 « Al-maqāmāt min Ibn Fāris ilā Badī‘ al-Zamān al-Hamadānī». Al-Hamadānī. E.d Hādī Ḥasan Hammūdī. Beyrouth. Manšūrāt dār al-’āfāq al-ğadīda.1985. p.9.
14 « Yatīmat », Vol. 4, p. 256.
15 « Literary history of Persia » 1997. Vol. 2, p.112.
16 E.I2 « al-Hamadānī ».
17 La troisième plus grande ville d’Iran, se situant au sud de l’actuelle
18 Correspond aujourd’hui à Astarrabād. Voir dans (E.I2) sous «Djurdjān ».
19 Actuellement « Chahr-e-Rey /شهرري », quartier périphérique de Téhéran.
20 Nom donné à la dynastie musulmane qui a régné en Perse et en Irak aux 10ème/4ème siècle et 11ème/5ème siècles, de (945–1055/ 333-446).
21 « Yatīmat ». Vol. 4.p. 256.
22 E.I2 « al-Hamadānī ».
23 Ville de l'Ouest de l’Afghanistan proche des frontières de l'Iran et du Turkménistan. C’était également la route qui relie l’Orient à l’Irak.
24 E.I2 « al-Hamadānī ».
25 « Yatīmat ». Vol. 4, p. 256.
26 « Maqāmāt al-Harīrī », Al-Harīrī. Dār al-ṣādir. Beyrouth. 1980. p.13.
27 « Zahr al-ādāb ». al-Huṣrī. Ed. Zakī Mubārak et Muḥammad Muḥyi l-Dīn. Egypte. 1953. Vol.1. p. 261.
Toutes les sources bibliographiques ont été tirées de « Yatīmat al-dahr fī šu‘arâ’ al-‘aṣr», al-Ta‘ālibī, de l’article « al-Hamadānī » (EI2), de l’Introduction à « Choix de maqāmāt », Blachère et Masnou, de « Al-maqāmāt, min Ibn Fāris ilā Badī‘ al-Zamān al-Hamadānī», Hādī Ḥasan Hammūdī, de « Nawābiġ al-fikr al-‘arabi », Mārūn ‘Abbūd.
Photos: 1. Hamadhân, Iran
2. Hérat, Afghanistan
Extrait du Mémoire de Master de DANDAN Rayane (soutenu en 2007 sous la direction de S. Benbabaali)
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