lundi 26 octobre 2009

Conférence sur le muwashshah





Conférence donnée
A la bibliothèque Sainte Barbe
Université Paris 3
Le 28 octobre 2009
 
Introduction : la culture andalouse et le muwashshah
 
Notre sujet concerne une période historique et une contrée qui ont eu une grande importance dans la transmission de la culture et de la pensée orientales à l’Occident : l’Espagne musulmane, (al-Andalus en arabe) entre le début du 8e siècle et la fin du 15e siècle.
 
 
 
 
Les poètes andalous se sont distingués, entre autres, par la création de la strophe avec la multiplication des rimes et des mètres dans un genre appelé muwashshah . Cette innovation s’est produite sur une terre qui a réuni des ethnies différentes dont les principales sont les Ibères (juifs et chrétiens), les Arabes (musulmans) et les Berbères (nouvellement islamisés). 
 
 
 
Loin du pouvoir central abbaside installé à Bagdad, les Andalous se sont doté d’un califat autonome, le califat omeyyade (continuateur de la dynastie déchue de Damas). À La fin du 10e siècle et au début du 11e, la civilisation , le raffinement, le goût du luxe, la courtoisie amoureuse avaient pour patrie Al-Andalus ! Et le grand monarque qui occupait le trône le plus envié à l’époque était Abderrahmane III.
 
 


Cet émir qui a unifié le Royaume d’Occident a eu l’audace de se proclamer calife face aux Abbassides dont le déclin allait entraîner le morcellement de l’Empire en Orient. Sous son règne, les différentes ethnies ont connu une symbiose sociale comme il en a existé très peu dans l’histoire humaine.
Malgré les affrontements incessants entre le Sud de la Péninsule (musulman ou allié de l’Islam) et le Nord (se présentant comme le bras armé de la reconquête chrétienne), l’Espagne a écrit des pages magnifiques de coexistence enrichissante.
Après la chute du dernier royaume musulman à Grenade en 1492 puis l’expulsion des morisques en 1610, des actions furent entreprises le long des siècles pour effacer les traces de la présence musulmane dans la Péninsule ibérique. Mais le sol et le sous-sol espagnols et portugais gardent encore les traces de huit siècles de coéxistence arabo-ibéro-musulmane. De même, le Maghreb porte, chez une grande partie de sa population descendant d’anciens émigrants andalous les signes visibles de l’origine ibérique.
 
 


Aujourd’hui en Espagne surtout, un peu moins au Portugal, des millions de touristes se bousculent pour visiter les vestiges les plus visibles d’une aventure humaine exceptionnelle :
les magnifiques palais des Nasrides à Grenade et la grande mosquée de Cordoue, la Torre de Oro ou la Giralda à Séville.
À cet héritage architectural fabuleux, il faut ajouter le rôle joué par al-Andalus dans la transmission des savoirs antiques, chinois, indien, persan, mésopotamien et gréco-latin à l’Europe.
Enfin, tout un art de vivre et une vision nouvelle des rapports hommes/femmes ont vu le jour en terre d’al-Andalus. À partir du 12e siècle, Les troubadours chanteront la soumission à leurs dames , dans des poèmes inspirés en partie par leurs aînés cordouans ou sévillans.
 
 
 
 
1 " L'invention " du muwashshah
 
Les poètes andalous ont d’abord commencé à imiter les grands poètes orientaux de Damas et de Bagdad. Jusque là, " il fallait écrire comme al-Mutanabbî ou se taire". Mais après trois siècles d’histoire, les Andalous ont senti la nécessité de se libérer de cette tutelle. Ils ont alors inventé une forme originale de poésie exprimant les spécificités de leur identité particulière.
Rompant avec l’ancienne ode arabe qui date de la période préislamique, les poètes andalous vont opérer une véritable révolution dans un domaine auparavant intouchable : la poésie des Anciens. Ils mettent en place dès la fin du 10e siècle, une forme de poésie strophique appelée muwashshah (poésie 'embellie', 'enjolivée' en arabe). 
 
Ils abandonnent les poèmes monorimes bâtis sur un mètre unique et inventent l’alternance des rimes et des rythmes. Ils se détournent totalement des thèmes guerriers des pleurs sur les vestiges de la bien-aimée, ils envoient aux oubliettes les descriptions des déserts et développent une poésie conforme au « Paradis andalou ».
Le muwashshah consacré uniquement à la beauté de la nature, à l’amour et à l’ivresse devient ainsi le mode d’expression poétique approprié d’une société qui a réussi à établir une relative harmonie entre ses différentes composantes sociales et ethniques. L’art du tawshîh est incontestablement la signature originale d’une civilisation à l’image des diverses sensibilités qui se côtoyaient alors: ibère, arabe et berbère.
 
  2. Le muwashshah et la nawba maghrébo-andalouse:
 
 
 

2.1. Sources et repères historiques

 

Le plus ancien témoignage connu sur l’art du tawshîh consiste en une page et une seule dans la Dhakhîra d’Ibn Bassâm al-Shantarînî[1], une œuvre qui compte pourtant quatre volumes. Heureusement qu’Ibn Khaldoun et Al-Maqqarî ont recueilli des témoignages inestimables sur cet art. La Muqaddima, Nafh at-tîb et Azhâr ar-riyâd, contiennent de nombreux extraits de poèmes de la période “primitive“. Puisés dans des ouvrages aujourd'hui disparus , ces muwashshahât ont été sauvées grâce aux deux lettrés maghrébins.

 

Mais c’est à un homme de lettres égyptien du 13ème siècle, Ibn Sanâ’ al-Mulk[5], que nous devons la contribution la plus remarquable à la connaissance de l’art du tawshîh. Le Dâr al-Tirâz peut être considéré comme le traité poétique le plus complet sur le muwashshah. Il constitue une source d’information inestimable dont se sont inspirés tous les spécialistes du domaine jusqu’à nos jours.

 

Après une longue période de silence, on recommença, dans la deuxième moitié du 20e siècle, à s’intéresser au problème du muwashshah. Malheureusement la plupart des travaux dus à des orientalistes, n’abordèrent qu’un aspect de l’art du tawshîh. On s’intéressa en priorité aux vers finaux appelés khardjât. La plupart des travaux, surtout ceux des savants espagnols, visaient essentiellement à démontrer que :

1. les vers finaux en langue romane ne peuvent pas avoir été écrits par les poètes arabes ;

  1. le muwashshah obéit à une métrique syllabique romane et non aux règles prosodiques établies par al-Khalîl Ibn Ahmad.[6]

Laissons de côté l’aspect polémique concernant l’arabité ou non du muwashshah, et essayons  de mettre en relief les quelques repères concernant l’évolution de ce genre poétique.

 

Le muwashshah n’est certainement pas né, comme on l’a souvent affirmé, d’un seul jet, de la plume d’un unique créateur, mais des tentatives de nombreux poètes anonymes cherchant à s’émanciper des contraintes structurelles et rythmiques de l’antique qasîda.

C’est sous le règne des Mulûk al-Tawâ’if[7] que s’est produit le véritable développement du muwashshah. Lorsque le pouvoir central omeyyade de Cordoue affaibli par des querelles partisanes s’effondra, le Califat d’al-Andalus fut morcelé en de multiples principautés plus ou moins indépendantes. Celles-ci, par le biais du système du mécénat, permirent l’éclosion de talents dans les cours de Séville, de Badajoz ou de Saragosse. L’art poétique en Espagne obtint alors ses lettres de noblesse, tant dans le domaine de la qasîda, que dans al-shi’r al- muwashshah[8].

La plupart des poètes qui excellèrent dans cet art nouveau appartenaient aux classes sociales modestes. Leurs surnoms sont, de ce point de vue, très significatifs : Ibn al-Labbâna[9], « le fils de la crémière », al-Khabbâz, « le boulanger », al-Djazzâr[10] qui préféra retourner à son métier de « boucher » plutôt que de passer sa vie à encenser des aristocrates avares, Ibn Djâkh al-Ummî[11], « l’illettré » etc…Ce sont donc ces hommes du « petit peuple » qui fixèrent, dès le XIe siècle, les caractéristiques fondamentales du muwashshah.

 
 

Les deux dynasties « réformatrices » venues du Maghreb, celle des Almoravides, puis celle des Almohades, ont tenté d’imposer en vain aux Andalous leur rigorisme religieux. Mais elles  se heurtèrent au mode de vie et au raffinement culturel des  populations andalouses et les poèmes à la gloire de l’amour et de l’ivresse finirent par l’emporter sur les sermons rigoristes des fuqahâ’. Et lorsque le muwashshah aborda des thèmes spirituels, ce fut, lors du développement du mouvement soufi, pour exprimer des élans mystiques et la quête  passionnée de l’amour divin.

 

La popularité et l’authenticité du muwashshah triomphèrent de toutes les réticences des censeurs bornés ou des hommes de lettres timorés qui n’osaient pas imaginer un autre cadre à l’expression poétique que celui, immuable, de l’antique qasîda. Même les classes « supérieures » de la société qui avaient pris de haut une poésie ne respectant pas les règles sacro-saintes de la qasîda traditionnelle, finirent par composer dans le nouveau genre poétique, désormais adopté par la plupart des Andalous. Ce fut notamment, à l’époque nasride, le cas d’un souverain comme Yûsuf III ou d’Ibn al-Khatîb. Cet homme politique hors pair, auquel al-Maqqari consacra son ouvrage Nafh at-tîb fut un éminent lettré qui a marqué de son empreinte l’histoire du muwashshah. C’est à lui que l’on doit le célèbre muwashshah qui commence par « djâda-ka al-ghaythu idhâ al- ghaythu hamâ » qui appartient à la mémoire collective de tous les nostalgiques du paradis perdu andalou. Mais sa contribution la plus importante est due à son anthologie intitulée Djaysh al-tawshîh qui comporte plus d’une centaine de muwashshahât dont certaines ne se trouvent dans aucune autre source connue.

  

Le muwashshah, inventé dans la Péninsule ibérique, a commencé, dès le 12esiècle, à franchir le Détroit pour aller conquérir tant le Maghreb voisin que des contrées plus lointaines au Mashriq. Ceci fut permis par l’inversion du mouvement migratoire qui poussa des lettrés andalous à quitter al-Andalus pour partir à la quête du savoir, de la fortune ou de la divine vérité sur les chemins qui mènent de Ceuta à Marrakech, de Tlemcen à Bidjâya et de Tunis à Damas et à La Mecque. Quand il a quitté al-Andalus, le muwashshah était accompagné d’un genre très proche et plus populaire dans son expression : le zajal. Cette forme de poésie eut un  illustre représentant en la personne d’Ibn Quzmân qui fut l’auteur de pièces où s’exprima toute la sensibilité des Andalous de condition modeste : légèreté, joie de vivre et liberté de ton. Les muwashshahât furent d’autant plus facilement répandues qu’elles arrivèrent, dans ces nouvelles contrées, habillées le plus souvent des mélodies envoûtantes appartenant au système des nawbât mis au point par les musicologues andalous du 11e siècle comme le célèbre Ibn Bâdja.



[1]Al-Dhakhîra fî mahâsin ahl al-Djazîra, édition Ihsân ‘Abbâs, Dâr Sâder, Beyrouth, 2000.

[2] L’ouvrage perdu d’Abû ‘abd Allâh Muhammad al-Hidjârî, mort en 549/1155, s’intitule Kitâb al-Mushib fî gharâ’ib al-Maghrib.

[3] Il s’agit de Nuzhat al-anfus wa rawdat al-ta’annus fî tawshîh al-Andalus de Ibn Sa‘d al-Khayr al-Balansî, originaire de Valence et mort en 525/1135.

[4] Poète et historien né près de Grenade en 610/1213.

[5] Ibn Sanâ’ al-Mulk (550/1155-608/1211) est l’auteur de Dâr al-Tirâz fî ‘amal al-muwashshahât. Cf. l’édition de J. Rikabi, Damas, 1949.

[6] Al-Khalîl ibn Ahmad al-Farâhidî (718-791) grammairien arabe d’origine persane, est connu aussi pour avoir établi les règles de la prosodie. Il distingua 16 types de mètres spécifiquement nommés (tawîl, basît, madîd, kâmil, wâfir, radjaz, etc.), chacun relevant d’un vers au nombre fixe de pieds, à la rime unique et divisée en deux hémistiches.

[7] Les Mulûk al-Tawâ’if  (Reyes de taifas en espagnol ) sont des roitelets, chefs de factions, qui se sont partagé le royaume morcelé en une trentaine principautés entre 1009 et1094.

[8] Littéralement : « la poésie embellie, ornée, enjolivée, parée etc…»

[9] Ibn al-Labbâna, Abû Bakr Muhammad Ibn ‘Îsâ ad-Dânî est né à Dénia à une date inconnue. Il fréquenta la cour du fameux roi de Séville, Al-Mu’tamid Ibn ‘Abbâd et mourut à Majorque en 507/1113. Cf. H. Hadjadji, Ibn Al-labbana, le Poète d'al-Mu'tamid, prince de Séville, Paris,1997.

[10] Il s’agit de Abû Walîd Yûnis Ibn ‘Îsâ. On ne trouve sa biographie dans aucun ouvrage. Seul Ibn al-Khatîb qui a recueilli ses dix muwashshahât dans sa fameuse anthologie, le Djaysh al-Tawshîh, le présente comme un poète n’ayant eu aucun maître et le compare à un poète irakien de Basra, Al-Khubz Arzi (mort en 327/936).

[11] Ibn Djâkh al-Ummî as-Sabbâgh vécut à la cour d’Al-Mutawakkil Ibn Al-Aftas à Badajoz et à la cour d’Al-Mu’tamid.


 
3. Un nouvel art d’aimer
 
Malgré leur apparente simplicité, ces poèmes strophiques reflètent une conception très particulière des rapports amoureux. Les hommes (en tant qu’amants) sont invités à participer à l’élan vital de la nature et à la symphonie du cosmos.
Cette exhortation leur est adressée par les créatures animées et inanimées appartenant à tous les niveaux de la création. Tous les éléments naturels participent à l’univers amoureux et bachique.
  • Au plan terrestre : les parterres de fleurs, les canaux et cours d’eau, les arbres, les collines, les montagnes…
  • Au plan intermédiaire : les oiseaux, la brise, le vent, les nuages, la pluie….
  • Au plan céleste : le soleil, la lune, les étoiles…
Cependant c’est la femme qui est au cœur de cette symphonie cosmique: elle est celle qui réunit en elle toute la nature et même les créatures du Paradis :
 
Yaqûlûna fî l-bustâni husnun wa bahdjatun…
wa in shi’ta an talqâ al-mahâsina kulla-hâ
fa-fî wadjhi man tahwâ djamî‘u l-mahâsini
 
On dit que charme, beauté et joie de vivre
Se trouvent dans le jardin...
Mais, si tu désires profiter de toutes ces merveilles,
C’est dans le visage de celui que tu aimes,
Que tu les trouveras.
Sur son front ou son visage, tous les astres resplendissent : soleil, lune et étoiles.
Toi dont le charme est sans pareil :
Ô croissant de lune, par une nuit obscure,
Luisant au sein d’un nuage,
Tes rayons sont couleur d’or.[1]
 
La délicatesse de sa démarche et la beauté de ses yeux évoquent celles des gazelles :
Ô toi qui as le regard de gazelle, dis-moi
Es-tu un être humain ou bien un ange ?[2]
 
Sa taille élancée, fine et souple est comparée aux rameaux du saule ;
ses joues ont la couleur des roses ;
Ses yeux ont la noirceur envoûtante de ceux des houris ;
sa bouche recèle les perles les plus rares ;
Son haleine exhale les parfums les plus exquis ;
Sur ses lèvres, l’amant déguste un divin nectar;
Enfin sur sa poitrine poussent des pommes et des grenades aux formes parfaites.
Les poètes andalous et leurs successeurs ont ainsi concentré dans le corps de la femme un univers miniature avec ses minéraux, végétaux et animaux. Ils y ont uni aussi les plaisirs du monde terrestre aux délices du Paradis promis aux bienheureux dans l’au-delà.

4. L’amour : entre délices et souffrances

Les poètes andalous ont parlé de l’amour avec une délicatesse et ont déployé tous leurs talents pour en nommer les aspects les plus insoupçonnés.
 
Mais ils ont su leur imprimer leur propre sensibilité. Ils ont su trouver les mots qui expriment la couleur et le parfum de chaque état amoureux. (Cf. Le Collier de la Colombe d’Ibn Hazm)
Dans cette poésie, l’amour se décline sous ses deux aspects fondamentaux: il est dans l’union comme il est dans la séparation.
Le narrateur principal est très souvent un amant qui sait apprécier la douceur de l’amour comme son amertume ainsi que le proclame al-Kumayt ibn Zayd.
 
Al-hubbu fî-hi halâwat-un wa marârat-un
w-al-hubbu fî-hi shaqâwat-un wa na‘îmun.[3]
L’amour est douceur et amertume
L’amour est infortune et félicité.[4]
 
L’ingéniosité des poètes andalous réside dans leur capacité à présenter des variations infinies de situations à partir de canevas très simples :
- L'amant qui a connu le bonheur de l'union est ensuite séparé de sa bien-aimée ;
- L’amant qui a longtemps souffert de l’absence de l’être aimé, est finalement gratifié de la visite de celle qu’il désire;
- L’amant souffre de l’indifférence de celle qui l’a envoûté et qui ne daigne pas répondre à ses avances.
- L’amant, qui goûte aux délices de l’union, redoute au coeur même de son bonheur, les risques d’une séparation.
La séparation comme l’union ne se présente jamais sous le même aspect dans la bouche de l’amant qui en fait part. Elles sont aussi originales que peuvent l’être des expériences individuelles, toujours inédites, parfois presque indicibles. C’est la raison pour laquelle le poète a parfois recours à des métaphores excessives :
Al-bu‘du Djahîm wal-qurbu Djanna
L’éloignement est un enfer et l’union un paradis.
 
La souffrance due à la séparation mine totalement l’être de l’amant éperdu. Il perd le goût de la nourriture et le sommeil le fuit. Il dépérit, devient pâle et chétif. Véritable moribond, il veille, esseulé, avec les étoiles pour uniques compagnes. Son état révèle alors la passion que les règles de la courtoisie imposent pourtant de cacher. Et ce qui accroît sa peine, c’est la satisfaction des espions envieux, des cancaniers malveillants et des censeurs hypocrites.
Heureusement l’amant n’est pas toujours seul. L’amour a aussi ses alliés et défenseurs. C’est à eux que s’adresse la plainte de l’amoureux éploré. Commensaux, amis compréhensifs et personnes à l’esprit tolérant sont interpelés afin de lui prêter une oreille compréhensive :
Ami, je n’ai plus de patience
Et ma passion est toujours aussi intense.
Celle que j'aime me tourmente sans raison,
Et elle m’a banni de ses pensées.
Que Dieu me réunisse avec la lumière de mes yeux,
Au grand dépit des espions et des envieux ![5]
 
L’amant souffre, certes, mais n’est pas désespéré. Bien au contraire. Malgré les obstacles qu’il rencontre sur son chemin et qui le séparent encore de sa bien-aimée, il garde le ferme espoir de voir sa belle lui revenir ou céder à ses avances. Les atouts du « martyr » de l’amour sont une fidélité sans faille et une soumission totale aux caprices de la bien-aimée.
Je lui fais don de mon âme, qu’elle en soit heureuse !
Je suis à sa merci à chaque instant de ma vie !
 
Il est constamment déchiré entre l’envie d’avouer sa défaite et de se réfugier auprès de Dieu et sa persistance dans la voie du plaisir et du carpe diem
Yâ Allâh tawba !
Mon Dieu, je veux me repentir !
Lance t-il tantôt
Et tantôt
Man qalli tub wa anâ na‘shaq wa nashrab
Qui donc m’invite au repentir à l’heure d’aimer et de s’enivrer.
 
L’amant fidèle et soumis est souvent récompensé par le retour de la bien-aimée. Elle répond alors à ses avances et le comble d’une visite souvent nocturne.
La rencontre des amants après la longue absence est alors l’occasion de fêtes sublimes dont les poètes nous gratifient dans de nombreux poèmes andalous. Seuls ou en compagnie de convives de choix, les amants trinquent à leurs retrouvailles. Le vin est partagé et l’ivresse vient révéler à l’amant des aspects insoupçonnés de la beauté de sa bien-aimée. Le front est plus éclatant de clarté, les yeux plus envoûtants que celles des houris et la salive de l’aimée surpasse en douceur le nectar que l’on sert à la ronde.
Quelle joie ! La chance enfin me sourit :
Mon bien-aimé est ici en ma compagnie !
Je célèbre une fête en son honneur
Laissant nos ennemis dehors à leur douleur.[6]
Saadane Benbabaali
Paris le 28 Octobre 2009
Tous droit réservés.


[1]Yâ badî' al-housn 
[2] shabîh dayy al-hilâl
[3] Cité dans Al-Muwashshâ‚ al-Washshâ’, Dâr Sâder, p.102.
[4] Al-Washshâ’, Le Livre du brocart, trad. S. Bouhlal, Gallimard, 2004, pp.108-109.
[5] Yâ mouqâbil
[6] Yâ mouqâbil

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