vendredi 26 août 2011

Existe-t-il réellement 24 noubate ?




Qutidien El Watan : 05 - 03 – 2009
Repères :
Saadane Benbabaali est l'un des meilleurs connaisseurs algériens de la poésie arabo-andalouse.
Il est l' auteur avec Beihdja Rahal de La Plume, la voix et le plectre : poèmes et chants d'Andalousie, paru aux éditions Barzakh, à Alger. Rencontré lundi après-midi, lors d'une séance-dédicace à l'Espace Noûn à Alger, il revient sur son travail de traducteur de poèmes andalous et de chercheur dans ce domaine. Il prépare actuellement un livre consacré à la jeune génération qui œuvre à la transmission du patrimoine musical andalou, Les Héritiers de Ziryab et une traduction en français des textes andalous chantés au Maghreb. Il a écrit plusieurs études et animé des conférences en Grande-Bretagne, en France, en Espagne, en Syrie et ailleurs sur l'art du tawchih. En 1993, il a publié à Paris Nous sommes tous des idolâtres, avec P. Levy et B. Ginisty. Maître de conférences à Paris 3 Sorbonne, il enseigne la littérature classique arabe.


Fayçal Métaoui :La Plume, la voix et le plectre ( poèmes et chants d'Andalousie) est une nouvelle expérience pour vous...
Ce livre est le résultat d’un projet à trois avec Beihdja Rahal et Nadji. L'idée était de continuer une collaboration qui était au départ limitée à une traduction des poèmes chantés par Beihdja Rahal dans les huit dernières noubate. Le livre est un moyen de visiter le monde du chant et des poèmes andalous à la fois d'une manière approfondie en abordant les questions les plus importantes, mais également d'une manière agréable puisqu'on a voulu d'un livre qui peut être lu avec plaisir. C'est un livre qui est accompagné d'un CD. Cela offre aux lecteurs la possibilité d'écouter les chants dont on parle.
C'est une première expérience. Nous sommes satisfaits, en partie, par la qualité du travail qui a été fait par les éditions Barzakh, par l'accueil du public et de la presse. Cela nous invite à continuer. Nous livrerons au public algérien un deuxième ouvrage dans les mois prochains.

Fayçal Métaoui : Vous avez développé dans ce livre une thèse sur la disparition des noubate du système Ziryâb. Qu'en est-il exactement ?

J'ai développé un point de vue à partir de discussions avec les praticiens de cette musique à qui j'ai posé la question. J'ai personnellement pratiqué cete musique en apprenant à jouer de la guitare et du oûd depuis plus de 20 ans. J'ai discuté avec les musiciens qui m'ont expliqué ce qu'il pensent de cette affaire. Par la pratique, j'ai pu me rendre compte que ce point de vue tient la route. Je pense que les 24 noubate sont une création mythique. Il faudra qu'on nous démontre le contraire avec des arguments solides. Cela dit, il est sûr qu'il y a eu plus que les douze noubate complètes que nous avons héritées. Cependant, qu'est-ce qui a bien pu se passer pour que disparaisse une partie de ce répertoire ? Soit certaines mélodies n'étaient plus chantées et ont donc été oubliées, soit des mélodies appartenaient à des noubate voisines et il s’est produit une espèce d'assimilation.

Fayçal Métaoui : La traduction des poèmes andalous en Algérie est plutôt rare. A quoi est due cette situation ? J’ai donné une première série de traductions dans les livrets qui ont accompagné les CD de Beihdja Rahal et au cours de mes rencontres avec les associations musicales andalouses en France. On me demandait à chaque fois de traduire les poèmes pour les interprètes qui ne comprenaient malheureusement pas toujours ce qu’ils chantaient. C'est ma spécialité puisque j'ai fait une thèse de doctorat sur les mouwachahate. Avec Beihdja Rahal, j’ai déjà traduit presque une centaine de poèmes.
Fayçal Métaoui : Qu'en est-il de la conservation de la musique andalouse. Quel est le meilleur moyen de transmettre l'héritage ?
Nous avons un double héritage andalou. L'héritage classique avec les mouwachahate et les azdjal, ces poèmes strophiques produits entre le Xe et le XVe siècles en Andalousie et dont une partie infime est chantée dans notre répertoire. Les Marocains chantent une partie plus importante que celle que nous connaissons en Algérie. Il y a un deuxième héritage qui est venu des poètes qui ont certainement écrit plus pour la musique andalouse que pour la poésie elle-même. Des poèmes composés, à mon avis, entre le XVIe et le XIX e siècles. Ce sont plus des azdjal utilisant une langue populaire que des mouwachahate. On peut dire que l'héritage classique andalous ancien comporte quelque chose comme 700 poèmes. L'héritage postérieur comporte de 500 à 600 poèmes. Les textes de la seconde partie se promènent dans le Maghreb grâce aux 500 à 600 mélodies du répertoire musical andalou.
Fayçal Métaoui : Au Maghreb, il y a plusieurs écoles, Rabat, Tunis et autres. En plus des poèmes, les rythmes et mélodies sont-ils identiques au Maghreb ?
Si on parle de poèmes, à ce moment-là on peut faire la comparaison pour s'apercevoir que les mêmes textes sont parfois chantés en Tunisie, en Algérie et au Maroc. Ou alors, on parle des mélodies, et l'on s'aperçoit que les Marocains, par exemple, ont des mélodies que nous n'avons pas et que nous avons des chants qu'ils n'ont pas.

Fayçal Métaoui : Existe-t-il un problème de communication entre ces écoles maghrébines ?

Il y a d’abord eu des rencontres, au début des années 1930, au Caire. A l'époque, Cheikh Larbi Bensari avait représenté l'Algérie. Mais il y a eu aussi l'organisation des Festivals de musique andalouse en Algérie à la fin des années soixante. Nous avons accueilli ici Cheikh Loukili, Hadj Abdelkrim Raïs, les orchestres de Tanger, de Fès et de Tetouan. Aujourd'hui, on le constate à travers des émissions comme « Chada Al Alhan » sur 2 M (deux chaînes de télévision publique marocaine), où l'on a invité des artistes algériens comme Nouredine Saoudi, Nassima, Beihdja Rahal. De même qu'on a invité en Algérie Ba Jeddoub qui a animé des concerts à Alger et à Médéa. Il y a bien une circulation qui n'est peut être pas suffisante, mais elle existe. Mais ce n'est pas parce qu'il y a circulation qu'il y aura homogénéité. Chaque école a un héritage marqué par l'empreinte de ses maîtres. Il est bon qu'il ait un héritage aussi varié.

Fayçal Métaoui : En Algérie, il y a l'école d'Alger, celles de Tlemcen et de Constantine. Existe-t-il des liens ? Ou chaque école est-elle jalouse de ce qu'elle a comme héritage ?

Voilà une question à poser à Beihdja Rahal qui connaît mieux la vie des associations en Algérie. J'ai une vue moins proche. A Paris, où je vis, il existe au moins cinq associations de musique andalouse, la plupart sont des transfuges d'ensembles algériens. Elle ont gardé le style de leur maîtres et leurs répertoires. Lorsqu'il y a un concert de l'une d'elles, toutes les associations viennent assister. Il existe une bonne communication.

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