Le monde arabe n’est pas qu’une expression géographique commode pour désigner un vaste espace majoritairement peuplé d’arabophones. A l’évoquer on prend donc un risque : n’oublions pas qu’au cours de la première moitié du XXème siècle, le monde arabe (al-‘alam al-‘arabi) fit alors son entrée dans le vocabulaire comme sur la scène politique. L’expression est un produit de la renaissance culturelle du XIXème siècle, à travers laquelle le mot arabe a pris un nouveau sens. L’Arabe n’est plus seulement le nomade ou celui qui peut faire remonter sa généalogie à une tribu de la péninsule arabique, mais il est aussi celui qui parle et écrit l’arabe. Ainsi, l’on décide alors d’identifier une nouvelle communauté de locuteurs de la langue arabe : celle-ci devient la nation arabe (al-umma al-‘arabiyya). Aussitôt l’on y rattache un territoire, c’est le monde arabe qui s’étend de l’océan Atlantique au golfe Persique (min al-muhit ilà al-halig), pour reprendre une délimitation popularisée à l’époque de Nasser.
Grâce à ce livre, véritable bible, vous aurez un compte-rendu détaillé de l’évolution et de l’extraordinaire foisonnement d’une littérature qui renaît au moment où l’Empire ottoman amorce son déclin, puis s’épanouit au cours du XIXème et du XXème siècle, en ranimant un patrimoine littéraire prestigieux, vieux de plus d’un millénaire, et en intégrant parallèlement, tout en les transformant, les genres et les modes d’écriture à l’occidentale.
Cette bible est à rapprocher de l’étude de Kadhim Jihad Hassan, Le Roman arabe (1834-2004), publiée dans la même collection, chez Sindbad, en avril 2006.
Le premier tome de cette aventure intellectuelle balaye la période qui va du début du XIXème siècle à la fin de la Deuxième guerre mondiale. Il comprend deux grandes parties, l’une couvrant le XIXème siècle, l’autre la première moitié du XXème. Dans chacun des chapitres traitant de l’évolution d’un genre ou d’un courant littéraire, le lecteur trouvera, en outre, des icônes lui permettant de prendre connaissance de la biographie des auteurs les plus prestigieux. Enfin, l’ensemble est enrichi de deux index ainsi que d’une bibliographie (en français et en langue arabe).
L’évolution de la littérature arabe moderne a connu quatre phases : ihya’, iqtibàs, refondation et enfin épanouissement. Le premier de ces quatre temps culmine vers 1850, le second vers 1870, le troisième dans les deux premières décennies du XXème siècle et le quatrième à partir de 1930. Tel est, d’ailleurs, le schéma suivi dans cet ouvrage, mais ici il tentera plutôt d’afficher une tendance plus qu’un fil rouge. En effet, ihya’ et iqtibàs, parce qu’ils procèdent d’une même dynamique de rénovation, seront inextricablement mêlés l’un par l’autre dans la diachronie, créant un mouvement qui n’exclut ni synchronie ni anticipation … Il en est de même pour la poésie néo-classique : classique et novatrice à la fois.
De même, on découvrira ici que la campagne d’Egypte de Bonaparte (1798-1801), réputée comme le déclencheur – à elle toute seule ! – du processus de la renaissance des lettres arabes, n’aura, en réalité, qu’un impact mineur, mais jouera plutôt un rôle de déclencheur car le société arabe, et plus particulièrement son élite – musulmane et chrétienne – était d’ores et déjà prête à amorcer son entrée dans le monde moderne.
En effet, tout au long du XIXème siècle, renforcée par des éléments exogènes, la dynamique interne des sociétés arabes aboutit à la création de nouvelles infrastructures institutionnelles et culturelles. Une intelligentsia d’obédience musulmane réformatrice ou nettement laïque, animée au premier chef par un projet sociétal, prend en charge la production symbolique, laquelle agit en retour sur les institutions en vigueur comme sur l’imaginaire social. Plus qu’une mise au monde, on assiste bien à une renaissance de l’histoire : la Nahda se présente de ce fait, non pas comme un retour aux sources religieuses, mais comme la réappropriation d’une dynamique culturelle et civilisationnelle à même de rattraper le retard accumulé, voire de replacer les Arabes aux avant-postes du progrès universel.
En un siècle et demi à peine, la littérature arabe aura donc réalisé une métamorphose étonnante. Elle impulse une nouvelle critique qui ne pourra se réaliser pleinement qu’en remettant à plat tous les concepts de la critique ancienne, et en procédant à une nouvelle lecture du patrimoine, d’autant plus que celui-ci continue à jouer un rôle important dans l’élaboration littéraire actuelle.
Elle donne aussi, et pour la première fois, une légitimité à la littérature dite populaire, longtemps mise à distance, voire méprisée. Ainsi, la littérature arabe moderne aura joué un rôle de tout premier plan dans la transformation sociale, à partir de son lieu symbolique. En cela, elle apparaîtra comme la seule réalisation vraiment aboutie d’un monde arabe qui, pour des raisons en partie endogènes, peine encore à trouver sa voie.
Liste des auteurs
Nadia Al-Baghdadi (International University, Budapest, Hongrie), Georgine Ayoub (inalco), Houda Ayoub (ens-Ulm), Saadane Benbabaali (Paris-III), Sobhi Boustany (inalco), Fayçal Darraj (critique littéraire, Palestine), Luc Deheuvels (inalco), Anne-Laure Dupont (Aix-Marseille), Yves Gonzalez-Quijano (Lyon-II), Jean-Patrick Guillaume (Paris-III), Boutros Hallaq (Paris-III), Kadhim Jihad Hassan (inalco), Richard Jacquemont (Aix-Marseille), Frédéric Lagrange (Paris-IV), Farouk Mardam-Bey (éditeur, conseiller du président de l’Institut du monde arabe à Paris), Monica Ruocco (université de Lecce, Italie), Randa Sabry (université du Caire, Ain-Chams), Heidi Toelle (Paris-III).
Sous la direction de Boutros Hallaq et Heidi Toelle, Histoire de la littérature arabe moderne – tome I, 1800-1945, coll. "La bibliothèque arabe", Sindbad/Actes Sud, septembre 2007, 784 p. – 38,00 €
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