dimanche 7 juillet 2019

Traduire le mouwachah et le zajal : pourquoi ?


Traduire les mouwachahates et azdjal : pourquoi ?



La traduction vers d'autres langues du mouwachah, poésie  arabo-andalouse chantée dans la nawba, revêt une importance vitale dans sa transmission  à un public de culture différente. La bonne compréhension du texte par l'artiste  permet une plus grande sincérité lors son interprétation.
 Le mouwachah, connu en Occident sous la dénomination de "poésie strophique",  a constitué une innovation littéraire dans l'Espagne musulmane et une sorte  de rupture avec la poésie arabe classique, dont une grande partie a été traduite  en espagnol, anglais ou français. En effet la poésie arabe est connue depuis les travaux des orientalistes du 19e  et 20e siècles. La majeure partie de la poésie ancienne qu'on appelle  la poésie d'Al-Djahiliya et celle des époques omeyyades et abbassides a été  traduite vers d'autres langues. Mais la poésie andalouse n'est pas encore traduite dans son intégralité. C’est le cas surtout du mouwachah et de son équivalent en langue dialectale « le zadjal »  qui sont souvent chantés dans le Maghreb par des interprètes de musique andalouse ( « âla » marocaine, « San3a » tlemcénienne et algéroise et « malouf » constantinois et également tunisien et lybien).  Le rôle du traducteur de ce genre de poésie consiste à transmettre un patrimoine culturel maghrébo-andalou à un public amoureux de cette culture et surtout de ce répertoire musical millénaire mais qui ne maitrise pas la  langue arabe. Les traductions l’aident  à connaître les thèmes dominants traités par les poètes (la plupart anonymes), leur manière  d’exprimer la joie de vivre, les relations amoureuses, et la beauté de la nature.
Traduire les poèmes appartenant au répertoire dit « andalou » est une lourde tâche car nous disposons de plus de huit cent pièces poétiques. La traduction et surtout l’étude poétique comme j’ai commencé à le faire dans mes conférences et dans mon livre « La joie des âmes » ( ANEP, Alger, 2008) ne vise pas uniquement  le public occidental, pour qu'il puisse accéder à ces poèmes et les comprendre. Elles s'adressent également au public maghrébin qui n'est pas suffisamment instruit  dans le domaine de la littérature andalouse.
( Contenu d'une interview donnée à la presse le 01-01-2011 et développement des idées principales))

Voici un poème (‘Abbaqat fi r-riyâd al-azhâr) chanté en Insrâf rasd-eddîl en Algérie  et qui fera partie du prochain ouvrage en préparation : « La magie du chant et l’éternité du présent : un art de vivre andalou ». Je le publie accompagné des notes qui servent à en saisir le sens :

1. LE POÈME
‘Abbaqat fi r-riyâd al-azhâr 
 عبقت في الرياض الازهار

TRANSCRIPTION
‘Abbaqat fi r-riyâd al-azhâr     ‘an   qurbi   n-nahâr         asbah ka-anna-hu ‘attâr
qad      sâhati            l-atyâr       min fawqi th-thimâr        arkhâti   l-ghusûn  astâr


al-bulbul   bi-sawt     fasîh       yunshid bi-l-barîh             mâ bayna awtâr wa tawshîh
mâ amlaha diyâ  at-tash       nawâ‘ir         tasîh             al-mâ’     madjrâ-h  waqîh
Unzur   li-l-ghusûn   tamîh       ma‘a     kulli    h             djamî‘       tarâh    malîh
Qum    ‘âyin    al-bustân        wa t-tayru            tahdj
al-mâ’ ka-mâ th-thu‘bân        yansal   min      as-sahrîdj
bayna     l-ghurûs     bân        ka-‘anna-hu husâm bahîdj
al-khabûr sha’nu-h yasfâr         mâ bayna l-‘anwâr        wa r-rawdu l-badî‘ yakhdâr
dja mî‘    tarâh  anwâr          mithla    l-djullinâr        al-khîlî       ma‘a      l-azhâr

nasîm   al-‘arîsh     ‘abbaq           bi-l-yâs wa-l-habaq            banafsadj    raqîq    azraq
wa qatr  an-nadâ  tafarraq               kufûfi    l-waraq           lâ yubâ’   wa       yusraq
al-‘ûdu wa r-rabâb yantaq            yasbî man ya‘shaq            at-târ wa z-zunûdj takhfaq
qum yâ  nadîm  qâyam                  tarâ  l-fadjra zayyaq    
tarâ   l-mudâm  ‘âyam                   fî-l-ka’s yatarawnaq         
qum nabbih an-nâyam                   min an-nu‘âs fayyiq
qum nabbih al-khunnâr      shu‘â‘un li-n-nahâr        nadjmu s-subhi al-gharrâr
tasma‘  lughat manyâr       djâwbu-h     l-hazâr         amlâ     qatî‘     ballâr

Pour le texte arabe, voir le livre de Serri 1ère édition, p.116, 2e éd. p. 168; T 1 de Muwashshahat wa azdjal, p.211.



TRADUCTION:

Les fleurs, dans le jardin, exhalent leurs senteurs
À l’approche du jour,
Le jardin est un vrai parfumeur ;
Les oiseaux lancent leurs chants
Par-dessus les branches chargées de fruits
Et les rameaux laissent tomber leurs voiles.

Le rossignol, plein d’éloquence,
Mêle son chant haut et clair
Au son des cordes et aux refrains des chansons !
Douce est la lumière du matin,
Alors que les norias tournent en chantant
Et que, dans les canaux, l’eau coule si limpide!
Regarde les branches qui balancent
À Chaque brise qui passe,
Tout ici n’est que charme et beauté.
Lève-toi et admire le jardin pendant que les oiseaux chantent à tue–tête.
L’eau, comme un serpent, s’échappe des bassins
Et luit parmi les plantes tel un sabre étincelant.

Le sureau se teinte d’or,
Au milieu d’un tapis de fleurs,
Charmant est le jardin tout revêtu de vert ;
Tout ce que tu vois s’ouvre et s’épanouit
Comme ces fleurs de grenadier
Les giroflées ainsi que les fleurs d’oranger.

La brise en traversant la tonnelle,
Apporte des parfums de myrte et de basilic
Et les senteurs de la violette si raffinée ;
Sur les feuilles, comme des paumes ouvertes,
La rosée répand des perles
Qui ne se vendent ni ne se laissent voler.
Le luth et le rabab se font entendre
Et charment les amoureux,
Alors que frétillent tambourin et cymbalettes.

Lève-toi commensal, debout ! Regarde l’aube qui point !
Vois comme le vin inonde les coupes qui jettent leur éclat !
Réveille celui qui dort, tire-le de son sommeil !
Réveille aussi la belle,
Splendide comme le rayon du jour
Et l'étoile du matin nommée Gharrar !
Écoute le chant du rossignol
auquel répond l’ortolan
Et remplis la coupe de cristal !

COULEURS ET SIGNIFICATIONS
Chacune des 5 couleurs correspond à l'un des 5 sens sollicités par l'extrait poétique
VERT: VUE
BLEU: OUÏE
JAUNE: ODORAT 
VERT KAKI: TOUCHER
GRIS: GOÛT (VIN, METS)

Ces deux dernières couleurs correspondent aux deux thèmes les plus fréquents:
Thème du Carpe Diem:PROFITER DE L’INSTANT joie, bonheur de vivre
Thème amoureux :
1. BIEN-AIMÉE :
2. ECHANSONS, COMMENSAUX


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COMMENTAIRES/ ANALYSE:

Le poète/ Le sujet lyrique :
·             plante le décor, dresse un tableau « édénique »/ paradisiaque
·             donne vie au  jardin
·             il personnifie les éléments du jardin :
                                                                                                                                 i.         Le jardin est un parfumeur
                                                                                                                              ii.         Les rameaux des femmes voilées
                                                                                                                           iii.         Les branches des danseuses
·             il l’anime avec les chants d’oiseau

Le jour se lève, tout s’anime et appelle à la vie. La création entière - dans toute sa diversité- est présente, tous les règnes sont représentés :
·             minéraux ( eau),
·             végétaux (plantes),
·             animaux (oiseaux),
·             humains (commensaux, bien-aimé).

Le jardin révèle la beauté de ses plantes, leurs couleurs et leurs parfums. L’éveil de l’esprit se réalise par l’éveil des sens : « tout s’ouvre et s’épanouit ». Tous les sens sont alors sollicités pour jouir de cet instant de bonheur :
·             Vue : Couleurs au lever du jour
·             Odorat : parfums du myrte et du basilic
·             Ouïe : chants d’oiseaux et bruits de l’eau et des norias
·             Toucher : caresses de la brise
·             Goût : les coupes de vin

Appel/ exhortation/ invitation au réveil :
Le sommeil n’est plus permis, et puisque tout est vivant et que tout danse, le sujet lyrique incite son compagnon à se réveiller de sa torpeur afin de participer à la joie environnante, communicative du jardin. Pour cela, le poète utilise l’impératif : Lève-toi ! Debout ! Regarde ! Réveille ! Vois ! Écoute !

Les personnages :
Ce sont tous des personnes positives en harmonie avec le lieu et l’esprit de la scène bachico –amoureuse :
-               Des amoureux
-               Des musiciens
-               Des commensaux
-               Une belle femme


L’art de la suggestion :
·             la nudité sinon le dévoilement de la femme est suggérée par les branches « qui laissent tomber leurs voiles »
·             Les couleurs : or, vert et argent et ce qu’ils symbolisent (richesse, royauté, abondance…)

Une étroite correspondance est instaurée entre l’homme et le monde sur lequel il ouvre les yeux. Il s’agit plus de son éveil que de celui du monde. L’homme est le microcosme qui concentre en lui tout ce qui l’entoure :
-               sa respiration ( pour la brise)
-               sa voix (chants d’oiseaux)
-               son sang qui coule dans ses veines (eau)
-               son cœur (noria)
-               ses yeux (lumière (soleil)

Tout est charme et beauté, l’harmonie qui règne dans le jardin n’est pas troublée par ce qui aurait pu être négatif :
-               le serpent est évoqué pour la fluidité de l’eau
-               le sabre qui donne sa lumière argentée
( N’est-on pas en présence de deux symboles liés au mythe paradisiaque du péché (le serpent) et du châtiment (le sabre) ?

L’homme, par son regard émerveillé et admiratif fait exister cet univers. Il lui donne une raison d’être en jouissant de sa beauté et de ses bienfaits.
(Cf. Ibn Arabi et l’œil de la créature qui témoigne de l’œuvre divine)

Parallèle : Le Kun divin et le verbe poétique !
L’appel du poète répète sur un plan humain l’appel divin à :
-               mettre tous ses sens en éveil, à s’éveiller de sa distraction ( ghafla)
-               à admirer la création et à en jouir en remerciant le Donateur
-               participer à la vie de la création
-               veiller à sa préservation

Diversité des éléments/ Unité de la création :
-               Termes génériques :fleurs, arbres, oiseaux, eau, cordes
-               Termes spécifiques : sureau, fleurs de grenadier, giroflées, myrte, violettes, basilic, rameaux, branches, tonnelle, feuille, rossignol, ortolan, rosée, luth, rabab, tambourin, cymbalettes, perles, cristal..

Saadane Benbabaali, tous droits réservés.

Nota bene :
On peut emprunter sans problème des passages de cet article en citant l’auteur de la traduction et de l’analyse. Dans le cas contraire,  cela s’appelle une « usurpation de droits intellectuels » punie par la loi. Ce rappel vise certains pseudos-auteurs dont les « livres » ne sont que des « copiés-collés » du travail des autres ou qui ne mentionnent pas les traductions ou passages empruntés.


[1] Chez Serri gharrâr (version fautive)

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