lundi 12 octobre 2020

Un conte des Mille et une nuits: Tawaddud la servante savante

 


Tawaddud

 

Conte des Mille et une Nuits (n° 387 de Chauvin): le fils d’un riche marchand, ayant dissipé son héritage, se retrouve sans autre possession qu’une jeune esclave, Tawaddud, profondément versée dans toutes les branches du savoir. Sur le conseil de celle-ci, il la propose au calife Hārūn al-Ras̲h̲īd qui, voulant la mettre à l’épreuve, organise une disputation (munāẓara) entre elle et dix savants, dont le redoutable Ibrahim al-Naẓẓām, présenté comme l’homme le plus éminent de son temps. Tawaddud vainc tour à tour chacun de ses adversaires, les dépouillant de leur ṭaylasān, insigne de leur fonction; enchanté, le calife comble son maître de présents, lui rend son esclave et en fait l’un de ses familiers. L’argument narratif, réduit à sa plus simple expression, se rattache à un type de contes abondamment représenté dans les Nuits (cf. par exemple "Anīs al-Ḏj̲alīs". n° 58 de Chauvin); il évoque également les "contes à devinette", genre bien connu du folklore international, et particulièrement ceux où c’est une femme qui trouve la solution, prouvant ainsi sa supériorité sur les hommes. C’est cependant le contenu et la nature des questions traitées (environ 200) qui a surtout retenu l’attention des spécialistes; en ce qui concerne les disciplines religieuses, on peut y distinguer un "noyau dur" idéologique s’inscrivant clairement dans le cadre de la "restauration sunnite" du Ve/XIe-VIe/XIIe siècles: la défaite d’al-Naẓẓām, Muʿtazilite notoire — et mauvais perdant de surcroît — contre Tawaddud, qui se réclame explicitement du Sunnisme et de l’école s̲h̲āfiʿite, est à cet égard éloquente. Il ne faut cependant pas exagérer l’homogénéité de l’ensemble, qui porte la marque d’ajouts successifs, et qui combine, à des questions de haute portée doctrinale, d’autres qui relèvent d’une vision plus "populaire", privilégiant l’érudition spectaculaire et les sujets croustillants ou sensationnels, et prenant parfois la forme de devinettes. Le conte a donné lieu à une adaptation en espagnol, "La doncela Teodor" dont la plus ancienne version remonte au XIIIe siècle et qui, sous une forme amplifiée, devint à partir de la fin du XVe un classique de la littérature de colportage, avant d’inspirer une comédie à Lope de Vega (1617).

Jean-Patrick GUILLAUME

 

Bibliography

 

Édition Būlāk II, 327-355, nuits 436-462

V. Chauvin, Bibliographie des ouvrages arabes..., Liège-Leipzig 1903, VII, 117-119

M. Menendez Pelayo La Doncela Teodor, dans Homenaje a D. Francisco Codera, Saragosse 1904, 483-511

Cl. Gerrecsh, Un récit des Mille et une nuits: «Tawaddud», petite encyclopédie de l’Islam médiéval, dans Bulletin de l’Institut Fondamental d’Afrique Noire, XXV (1973), 57-175 [contient une traduction partielle]

A. Miqjjel, Tawaddud la servante, dans Sept contes des Mille et une nuits, Paris 1980, 13-49

Cl. Brémond et B. Dabord, Tawaddud et Teodor: les enjeux ludiques du savoir, dans M. Picone, éd., L’enciclopedismo medievale, Ravenne 1994, 253-273.

Cite this page

Guillaume, J. P., “Tawaddud”, in: Encyclopédie de l’Islam. Consulted online on 12 October 2020 <http://dx.doi.org.ezproxy.univ-paris3.fr/10.1163/9789004206106_eifo_SIM_7445>

First published online: 2010

 

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