Programme d’une nawba algérienne
Même
si le programme que nous allons exposer n’est pas toujours suivi par les
interprètes, il mérite d’être connu dans son intégralité. Ceci permettra
d’apprécier à sa juste valeur la question de la durée de la nawba dont nous parlions précédemment . Car il
est clair que le temps nécessaire pour exécuter les différents éléments qui
constituent une nawba complète
dépassent largement une heure.
La
nawba commence dans
une apparente indécision avant que les sonorités ne se conjuguent dans un agencement
d’une rigoureuse précision. On chemine ainsi jusqu’aux pièces finales, les khlasât, qui aboutissent à une clôture en
apothéose, véritable feu d’artifice de sons et de rythmes. La nawba
est une succession de moments de communion musicale. Chacun de ses
éléments vise à émouvoir l’auditeur en l’introduisant dans l’univers magique du
mode, le tab’,
dans lequel la nawba
est présentée. Le musicien n’est-il pas appelé mutrib en arabe, c’est-à-dire “celui dont l’art
provoque l’émotion” ?
A-
La m’shâliya
Cette
pièce non rythmée ouvre le programme discrètement, subtilement. L’air de rien,
les instruments s’interpellent, cherchent le point d’accord, se rejoignent sur
une note majeure, la quittent ensuite pour se retrouver à l’unisson sur une
autre. Luth, kouitra, mandoline, violon, guitare se font signe (de l’arabe shâla-yushâlî) et recherchent l’accord.
Cette
ronde des instruments, alternant retrouvailles et séparations sur les tons
forts du mode aboutit à la dernière phrase dans laquelle tout s’harmonise. Les
instruments entament alors ensemble, dans une parfaite cohésion, après un
semblant d’hésitation, le rythme qui annonce l’entrée solennelle dans la tushiya.
B-
La tushiya
Dans
cette deuxième pièce instrumentale, un instrument de percussion (derbouka, târ, t’bilât...) entre en action. Les musiciens
exécutent alors de façon méthodique, une à une les parties[1]
qui la composent. Ces mélodies annoncent les airs qui seront présentés - en
solo ou en choeur - par les chanteurs dans les sections vocales qui suivront la
tushiya. L’un
après l’autre, les différents motifs de la nawba sont passés en revue comme cela se
produit lorsqu’une mariée expose ses habits dans la tasdîra étalant ainsi sa richesse vestimentaire.
Les
lignes mélodiques que les musiciens développeront par la suite se suivent une à
une. L’auditeur commence alors à s’installer dans l’univers modal choisi pour
le concert à présenter. Au cours de cette exposition, l’oreille se prépare aux
reconnaissances ultérieures en s’imprégnant des échantillon qui annoncent les
riches mélodies que recèle la nawba.
La
tushiya
s’articule en plusieurs parties. En passant de l’une à l’autre, l’instrument de
percussion, qui guide l’ensemble de la formation, accélère le tempo. Et
lorsqu’à la fin de cette vaste ouverture instrumentale, les musiciens redonnent
à entendre les phrases mélodiques par lesquelles ils avaient commencé, le
rythme s’emballe peu à peu jusqu’à la transe pour se ralentir sur le dernier
motif mélodique permettant d’accéder à la première pièce vocale : le m’saddar.
C-
Le m’saddar
La
voix entre alors en jeu, dans un mouvement lent et majestueux. Le m’saddar, comme l’indique son nom (sadr : poitrine) trône avec solennité au
cœur de la nawba dont
il est la pièce maîtresse. Les capacités musicales du chanteur soliste, du
choeur ou des deux à la fois sont
mises à l’épreuve dans ce mouvement. Les
instruments
accompagnent le chant et
lui donnent la réplique après chaque poème (généralement la strophe d’un muwashshah ou d’un zajal comportant environ cinq lignes).
Austère
par définition, le m’saddar
accueille cependant toutes les ornementations du munshid (le chanteur soliste) tant que celles-ci
ne viennent pas contredire l’esprit de
ce moment particulier
de la nawba. Il arrive, hélas, que
des interprètes, ressentant le tempo trop lent, s’en éloignent pour
répondre à la demande de publics souvent attirés par les pièces légères. Ce
faisant, ils dévoient de sa finalité originelle cette musique. Il en résulte
toujours un appauvrissement de la structure riche et variée de la nawba. Une ambiguïté réductrice s’installe
alors entre le m’saddar
et d’autres mouvements de la nawba.
Il
n’est pas rare d’entendre des ensembles interpréter des nawbât sans aucun m’saddar alors qu’il est vital de lui conserver
sa place centrale. Jugées longues et ennuyeuses par certains publics et
interprètes, les pièces du m’saddar constituent, en réalité, des morceaux de choix que savent
apprécier les vrais mélomanes. C’est la pièce par excellence qui leur permet de
communier avec les musiciens et interprètes dans l’univers sonore du tab’ se déployant dans son intégralité et
toute sa majesté.
Dans
le m’saddar,
la prouesse musicale consiste à maîtriser le tempo, avec beaucoup de retenue,
comme pour faire durer un plaisir qu’aucun autre mouvement de la nawba ne
pourra donner. Certains motifs ébauchés auparavant vont être étalés.
Voix et instruments détaillent chaque méandre de la ligne mélodique donnant
ainsi à l’auditeur le fil d’Ariane qui devra le conduire au coeur du labyrinthe
mélodique qui caractérise le mode présenté.
Après
avoir apprécié, en hôte privilégié et respecté, les déploiements pleins de
finesse du m’saddar,
l’auditeur est maintenant initié au secret de cette musique. Il la ressent
alors comme un écho encore vivant d’une époque mythique où l’on savait encore
écouter et s’émouvoir.Une fois achevée cette partie du parcours quasiment
initiatique, constituée par le m’saddar, le musicien peut alors entraîner avec
lui l’auditeur dans les mouvements suivants sans grand effort.
D-
Le b’tayhi
Second
mouvement, le b’tayhi
–tout comme le darj-
ne diffère pas du m’saddar pour
ce qui est du rythme. Mais les pièces vocales sont interprétées dans un tempo
désormais libéré de la contrainte qui s’imposait précédemment. Cependant, on ne
va pas au-delà d’un certain seuil qui altérerait le traitement mélodique
spécifique aux deux premiers mouvements. L’accompagnement instrumental y est
plus marqué, plus présent. Les répliques instrumentales sont plus rapides que
la partie vocale. Les pièces chantées vont contribuer à réjouir l’âme de
l’auditeur attentif et patient grâce au plaisir qui naît de la reconnaissance de mélodies déjà
entendues.
E- Le darj
Avec
la petite pièce instrumentale de transition appelée kursi, le mouvement devient plus rapide dans
cette 3éme série de chants. Jusqu’à présent, la nawba s’est déroulée sur des mesures binaires
ou quaternaires. Dans le darj,
une mesure ternaire -3/4 ou 5/8 - va apparaître à la fin de la strophe chantée.
F-
Tushiyya-t al-insirâfât
C’est la 2e
ouverture instrumentale qui permet
aux chanteurs de reposer leurs voix. Elle constitue une transition
entre la première partie
de la nawba et la suivante de mesure ternaire et de
tempo de plus en plus vif. cette ouverture se déroule sur un mesure à 5/8 dans
le même mouvement que la pièce vocale qui lui succède. Actuellement seule la nawba dans
le tab’ ghrîb possède une tushiya de ce genre.
G-
Insirâf
Précédés
d’un kursî, les
chants de cette section ont la même structure que ceux des séries précédentes,
sauf que le rythme est de mesure ternaire (légèrement boiteux 5/8 ou parfois
6/8). Son mouvement est assez vif et sa mélodie légère est assez rapide. Ceci
incite les musiciens à multiplier le nombre d’insirâfât qui peuvent atteindre la dizaine dans une
même nawba.
H-
Khlâs
Avec
une mesure ternaire ( 6/8 ) et un tempo alerte et dansant le khlâs est la dernière section de la nawba. Les khlâsât, parce qu’il y en a toujours au moins
deux, ne sont pas précédés de kursî.
Exécutés à l’unisson, ils mènent la nawba vers un véritable feu d’artifice mélodique. Le mouvement
s’accélère de plus en plus avant de s’éteindre brusquement.
I-
Tushiya-t al-kamâl
Pour
clore le tout et avant d’entamer la nawba suivante, on peut exécuter cette tushiya.
1 commentaire:
La calligraphie arabe contemporaine est de Jacques Lombard
FB : jac calligraphie arabe
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