mercredi 1 mai 2019

Târiq Ibn Ziyâd

Târiq Ibn Ziyâd
Commandant berbère des troupes musulmanes qui entreprirent la conquête de la Péninsule Ibérique en 92 de l’Hégire/711 de lère chrétienne. A cette date, il se trouvait à Tanger en qualité de gouverneur pour le compte du walī d’Ifrîqiya (Tunisie actuelle) Moûssā Ibn Nouçayr.
Comme en tout ce qui concerne les premiers moments de la présence musulmane en al-Andalus, il n’est pas aisé, au vu des nombreuses données contradictoires offertes par les sources arabes, de faire le point de la personnalité de Târiq, ni de déterminer avec précision les circonstances de son entrée en al-Andalus.

Les difficultés rencontrées par l’historien de la conquête d’al-Andalus tiennent essentiellement à l’absence de textes non seulement contemporains, mais même d’une époque assez proche des événements (à l’exception toutefois de deux sources chrétiennes, la Chronica byzantia-arabica de 741 et la Continuatio Hispana de 754, toutes deux extrêmement concises).
Les sources arabes les plus anciennes conservées, les Foutoûhât Miçr de l’Egyptien Ibn Abd al-Hakam et le Taʾrīk̲h̲ d’Ibn Habīb tous deux du IIIe/IXe siècle, font malheureusement preuve d’une propension marquée à accepter des récits légendaires, ou à surévaluer le butin prélevé par la suite dans le pays.
Selon l’opinion la plus répandue chez les chroniqueurs, Târiq Ibn Ziyâd

était un client (mawlâ) berbère de Moûssā Ibn Nouçayr, ayant participé sous les ordres de ce dernier à la conquête du Mag̲h̲rib en qualité de commandant de l’avant-garde. Lorsque Moûssā Ibn Nouçayr retourna en Ifrīḳiya, il laissa à Târiq le commandement d’un contingent de troupes en majorité berbères à Tanger. De là, il prit contact avec le gouverneur de Ceuta, le légendaire comte Julien. Ce personnage, sans doute goth — une information sur l’un de ses descendants donne la nisba d’al-Ḳūṭī —, mais en tout cas dépendant du roi wisigoth de Tolède, incita Târiq à gagner la Péninsule.

Avant l’expédition de Târiq, il s’était produit une ou plusieurs incursions mineures sur les côtes d’al-Andalus, la plus importante — et selon beaucoup d’auteurs, l’unique — ayant été menée par Tarîf, un autre Berbère, à la tête d’un petit contingent de cinq-cents hommes, en 710. Finalement, au printemps de l’année suivante (rad̲j̲ab 92/avril 711), Târiq, avec des forces quasi exclusivement berbères, traverse le détroit sur des embarcations fournies par Julien, et débarque au pied d’une éminence qui portera désormais son nom, Gibraltar (Dj̲abal Târiq). Beaucoup de sources arabes s’accordent à fixer le nombre d’embarcations à quatre, et celui des hommes du commando — en une ou plusieurs vagues — à douze-mille. Ces chiffres peuvent ne pas être absolument exacts, mais ils ne doivent pas être très éloignés de la vérité, car il n’est pas vraisemblable que la flotte du détroit ait possédé une capacité beaucoup plus grande, ni que les forces de Târiq aient été réduites à quelques centaines d’hommes, si l’on en juge par leurs succès ultérieurs. Cela implique que la traversée ait dû se faire à un rythme lent, à raison de quelques dizaines de passages pour chaque embarcation, et sur plusieurs jours, tout cela sans que la plupart des habitants de la région opposassent une résistance de quelque importance. Celle-ci aurait pourtant, dans un premier temps, fait échouer facilement l’invasion. En définitive, le débarquement se fit soit avec la connivence, soit dans l’indifférence des indigènes.

Le roi wisigoth Rodrigue, occupé avec les Basques, accourut avec son armée à la rencontre des Musulmans, qui entre temps avaient dressé des forts à Gibraltar, d’où ils effectuaient de petites incursions pour se ravitailler. La rencontre se déroula à la fin de ramadān et au début de s̲h̲awwāl (juillet) près d’un cours d’eau qu’il est loisible d’identifier au Guadalete ou au Barbate — non loin de la lagune de la Janda —, mais en tout cas en un lieu proche du point de débarquement. C’est dire qu’en trois mois ou presque, les Musulmans n’avaient pratiquement pas bougé, donnant aux troupes espagnoles le temps de se regrouper en une puissante armée, au lieu de profiter de la surprise. d’un point de vue stratégique, cette attitude était bien peu avisée. Il est sûr que la victoire obtenue sur l’armée de Rodrigue est due pour une grande part à ce qu’un important contingent de ses troupes, traditionnellement confondu avec les partisans de la famille du précédent roi, Wittiza, contribuèrent activement ou passivement à la déroute et à la mort de Rodrigue. 

On peut penser, étant donné le comportement des Musulmans avant la bataille, et des partisans de Wittiza au cours de celle-ci, qu’aucun des adversaires n’aurait imaginé que toute la Péninsule allait passer aux mains des Musulmans, ni les hommes de Târiq qui venaient de passer trois mois sur un lambeau de territoire sans bien savoir que faire, ni les traîtres de l’armée wisigothe dont le seul souci était de récupérer le pouvoir à la suite de la disparition de Rodrigue. Néanmoins, grâce à une victoire inespérée et sans appel, Târiq se rendit compte que l’État wisigoth avait subi un dur revers, et que sa cohésion interne était bien inférieure à ce qu’il imaginait. Il comprit alors qu’il tenait là une occasion unique de se rendre maître du pays, ou simplement de transformer ce qui ne devait être qu’une expédition de pillage côtier en une campagne juteuse contre les riches cités de l’intérieur.

L’étape suivante de l’itinéraire de Târiq fut Écija, où s’étaient réfugiés les restes de l’armée wisigothe, y compris les hommes de Wittiza. La bataille fut tout aussi acharnée que celle du Guadalete, et de nouveau la victoire favorisa les Musulmans, qui selon certaines sources reçurent cette fois le renfort de Julien lui-même. Les vaincus se réfugièrent dans la ville d’Écija, et ne tardèrent pas à capituler.
A partir de ce moment, rien ne s’opposa plus à l’avance de Ṭāriḳ, qui divisa ses forces en quatre groupes, lesquels se dirigèrent vers Malaga, Grenade, Cordoue — sous Mug̲h̲ît̲h̲ al-Rūmī — et Tolède, sous Târiq en personne. La capitale du royaume wisigoth, abandonnée par ses notables, tomba sans résistance aux mains de Târiq, qui selon diverses sources continua sa marche vers le Nord, atteignant Guadalajara, puis Astorga. Il paraît douteux que la rencontre entre Ṭāriḳ et Mūsā b. Nuṣayr, lequel était passé sur ces entrefaites dans la Péninsule en ramadan 93/juin 712 avec une armée en majorité arabe, se soit tenue à Tolède ou dans les environs. Mūsā semblait résolu à punir sévèrement son subordonné, mais se borna finalement à une sévère réprimande. A partir de là, le personnage de Târiq s’efface et passe définitivement dans l’ombre de son patron, avec lequel il rentre en Orient en 95/714. Sa dernière action connue consistera à intervenir dans la cabale contre Moussa : ayant sur le cœur l’affront subi à Tolède, il se joindra au groupe de ses accusateurs.
(L. Molina)

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