mercredi 3 juillet 2019

LES BERBÈRES (1)


Je viens de mettre, dans mon Blog, à la disposition de toutes les personnes intéressées la première partie le très long (et important) article « BERBÈRES » de l’Encyclopédie de l’Islam (consultable seulement pour les abonnés)
En voici la première partie:
 
BERBÈRES
, nom sous lequel sont communément désignées les populations qui, de la frontière égyptienne (Sīwa) aux rivages de l’Océan Atlantique et à la boucle du Niger, parlent — ou parlaient encore avant leur arabisation des dialectes (ou plutôt des «parlers») d’une langue unique, le berbère. Il est probable que cette appellation est une épithète injurieuse ou méprisante d’ailleurs employée en grec (Barbaroi) en latin (Barbari) et en arabe (Barbar, singulatif Barbarī, pl. Barābir, Barābira), et ne constitue pas un nom national, comme certains (cf. P. H. Antichan, La Tunisie, 1884, 3) le prétendent (cp. les toponymes Berber en Nubie et Berberā en Somalie; voir G. S. Colin, Appellations données par les Arabes aux peuples hétéroglosses, dans GLECS, VII, 93-5). Bien que les intéressés, qui n’ont aucunement conscience d’une quelconquẹ communauté, emploient le plus souvent, pour se désigner eux-mêmes, les noms de leurs tribus — ou aient adopté plus ou moins volontiers des appellations étrangères (Kabyles, Chaouia, etc.) — il est permis de considérer comme désignant les Berbères en général le terme amazig̲ h̲ /amahag̲ h̲ (et var.), pl. imazig̲ h̲ en/imuhag̲ h̲ (et var.) qui signifie «homme libre» (voir cependant T. Sarnelli, Sull’origine del nome Imāzîġen, dans Mémorial André Basset, Paris 1957, 131-138) et s’emploie encore dans une aire assez vaste; le fém. tamazig̲ h̲ t (tatnazik̲h̲ t)/tamahaḳḳ (et var.) y désigne la langue berbère.

Sommaire de l’article :
I. — Histoire.
II. — Répartition Actuelle.
III. — Religion.
IV. — Coutumes, organisation sociale et politique.
V. — Langue.
VI. — Littérature et art.

Pellat, Ch., Yver, G., Basset, R. and Galand, L., “Berbères”, in: Encyclopédie de l’Islam.

Article entier en libre accès dans le Blog : Culture et littérature arabes
Lien : https://adabarabiqadim.blogspot.com/

I. — Histoire.

a) Origines.

La langue est actuellement le seul critère sur lequel on puisse s’appuyer pour distinguer les Berbères qui, du point de vue anthropologique, présentent des caractères morphologiques trop variés — voire irréductiblement opposés —- pour qu’on soit autorisé à parler d’une race berbère homogène, et, du point de vue politique, ont toujours été trop divisés pour jamais constituer une véritable nation individualisée. Malgré l’abondance relative des vestiges préhistoriques découverts sur l’immense territoire commodément dénommé «Berbérie», malgré les documents épigraphiques et les œuvres des auteurs grecs, latins et arabes, toute une tranche de l’histoire de ce peuple visiblement composite nous échappe. Il serait vain de ne pas reconnaître que l’origine de la langue berbère — dont l’unité est d’ailleurs toute relative, voir § V ci-dessous — est pour nous mystérieuse, et que par conséquent la localisation du berceau des hommes qui la parlent reste une tâche impossible. Pourtant, sur ce sujet passionnant, la ne fait point défaut et multiples sont les hypothèses — parfois présentées comme des certitudes formulées sur l’origine des Berbères. Les auteurs anciens en font soit des autochtones, soit des Orientaux, soit des Égéens. Les Arabes voient généralement en eux des Orientaux, Cananéens ou Ḥimyarites, et cette dernière hypothèse a récemment reçu l’appui d’arguments de valeur (Helfritz). L’origine cananéenne a été reprise par des auteurs modernes (Antichan, Daumas, Slouschz), alors que, pour d’autres, les Berbères sont des autochtones (Carette) auxquels s’est mêlé du sang asiatique, particulièrement phénicien (Fournel, Mercier) quelques-uns, généralement des amateurs, vont jusqu’à reconstituer dans tous ses éléments le peuplement antique de la Berbérie (Rinn, Les Origines berbères, Alger 1889; Col. de Lartigue, Monographie de l’Aurès, Constantine 1904) et à établir d’audacieux rapprochements avec les Celtes, les Basques et les peuples caucasiens (Comm. Cauvet, Les Origines caucasiennes des Touareg, dans Bull. Soc. Géog. Alger, 1925; le même, La Formation celtique de la nation targuie, ibid., 1926) ou même avec les indigènes d’Outre-Atlantique (le même, Les Berbères en Amérique, Alger 1930).  L’anthropologie est désorientée, et l’existence de Berbères blonds n’est pas pour simplifier le problème des savants les plus qualifiés restent sur la réserve et pensent généralement qu’à un fond de population assez voisine de celle qui occupait la côte septentrionale de l’a Méditerranée, se sont ajoutés des éléments venus du Sud, de l’Est et peut-être du Nord, mais à une époque trop reculée pour qu’il soit possible de dater ces diverses migrations. De toute façon, il ne peut s’agir que d’hypothèses, et seules les données linguistiques permettront peut-être de résoudre le problème des ¶ origines berbères qui, au milieu du XX e siècle, reste entier.

Bibliography

Principaux ouvrages à consulter: Olivier, Recherches sur l’origine des Berbères, dans Bull. Acad. d’Hippone, 1868 Tissot, Géographie comparée de la Province Romaine, 1888, 1, 402 Carette, Origines et migrations des principales tribus de l’Algérie, 24 sqq.

S. Gsell, Histoire ancienne de l’Afrique du Nord, I, 275 sqq. Beguinot, Chi sono i Berberi?, dans OM, 1921
M. Boule, Les Hommes fossiles, Paris 1921, 376 sqq.
R. Peyronnet, Le Problème nord-africain2’, Paris 1924, 104 sqq.
A. Bernard, L’Algérie, Paris 1929, 81 sqq.
S. Gsell, G. Marçais et G. Y ver, Histoire de l’Algérie, Paris 1929, 6 sqq.
A. C. Haddon, Les Races humaines, Paris 1930, 66 sqq.
V. Piquet, Les Civilisations de l’Afrique du Nord3, Paris 1931, 3 sqq. F.. Leblanc, Le Problème des Berbères, 1931
H. Helfritz, Le Pays sans ombre, Paris 1936, 53 sqq.
Essad Bey, Allah est grand!, Paris 1937. 262 E F. Gautier, L’Afrique blanche, Paris [1939], 170 Gén. Brémond, Berbères et Arabes. La Berbérie est un pays européen, Paris 1942 (à utiliser avec précaution)
H. Lhote, Les Touaregs du Hoggar, Paris 1944, 76 sqq.
Ch. A. Julien, Histoire de l’Afrique du Nord2, I, Paris 1951 Berbères Reference
Balout, Préhistoire de l’Afrique du Nord, lissai de chronologie, Paris 1955
R. Vaufrey, Préhistoire de l’Afrique, I, Le Maghreb, Paris [1955].

(Ch. Pellat)

b) Avant l’Islam.

Tout ce qu’on peut affirmer, c’est que les Berbères étaient établis dans l’Afrique septentrionale dès une époque reculée. Les historiens et les géographes anciens les désignent sous diverses appellations — qui n’ont d’ailleurs pas subsisté parce qu’elles n’étaient certainement pas utilisées par les intéres- sés —: Nasamons et Psylles occupant la Cyrénaïque et la Tripolitaine; Garamantes nomadisant dans le Sahara; Machlyes, Maxyes peuplant le Sahel tunisien; Numides vivant dans le Maghreb oriental; Gétules défendant les confins du désert et les Hauts Plateaux; Maures enfin répandus dans le Maghreb central et le Maghreb extrême. L’établissement de colonies étrangères, phéniciennes, carthaginoises, grecques, n’exerça, sauf peut-être dans les environs immédiats de Carthage, qu’une influence réduite sur toutes ces populations. Divisées en innombrables tribus rivales, mais capables de s’unir momentanément contre les étrangers, elles ne surent cependant pas constituer des États puissants et durables. A l’époque des guerres puniques toutefois, tandis que l’anarchie persiste dans l’Est, on constate dans le Centre et à l’Ouest un commencement d’organisation politique (formation des royaumes des Massyles, des Masalesyles, de Maurétanie). Le génie de Masinissa, secondé par l’appui de Rome, permit à ce prince de réunir sous sa domination toute la Numidie et de créer, en quelques années, un royaume englobant toutes les populations berbères de la Moulouya aux Syrtes. Mais ce royaume n’eut qu’une durée éphémère; il disparut en 46 av. J.-C, et la Numidie orientale devint province romaine. Reconstitué quelques années plus tard, le royaume de Numidie devint un simple protectorat romain. Plus brève encore fut la durée du royaume de Maurétanie créé par Auguste en 17 ap. J.-C, en faveur de Juba II, et transformé en province romaine dès l’année 42.

La domination de Rome dura en Afrique jusqu’au V e siècle de l’ère chrétienne. Durant ce laps de temps, les Berbères, assimilés dans la Province d’Afrique et ¶ dans la Numidie, furent à peine transformés dans les massifs montagneux, sur les Hauts Plateaux, à la lisière du Sahara et en Maurétanie. Les Romains se contentèrent le plus souvent de leur imposer l’obligation de payer tribut et de fournir des auxiliaires, mais laissèrent l’administration des tribus à des chefs locaux (principes, praefecti, reguli). L’esprit d’indépendance des Berbères ne fut point étouffé; il se manifesta tantôt par des insurrections, que dirigeaient des indigènes plus ou moins romanisés, tels que Tacfarinas (17-29 ap. J.-C), tantôt par des agressions des peuplades du désert ou des tribus à peine civilisées de l’intérieur. Telles furent les attaques dirigées par les Nasamons et les Garamantes, sous les règnes d’Auguste et de Domitien; les insurrections des Maures sous les règnes d’Hadrien, d’Antonin, de Commode; des Gétules pendant la période de l’anarchie militaire; le soulèvement des Quinquégentiens (Kabyles du Djurdjura) à la fin du III e siècle. A l’affaiblissement progressif de l’autorité romaine correspond une réaction de plus en plus énergique des Berbères, qui affirment leur particularisme par l’adoption de doctrines 4 sur 34 11/10/2018 à 12:45 hétérodoxes, le donatisme par exemple, en sorte que les querelles religieuses qui désolent  l’Afrique du IV e siècle sont, à bien des égards, une guerre de races. Le soulèvement des «Circoncellions» apparaît comme une sorte de jacquerie berbère. Des révoltes comme celles de Firmus (372-75) et de Gildon (398) fournissent un autre témoignage de l’effervescence des autochtones. Mais, pas plus que par le passé, les Berbères ne réussirent alors à s’entendre contre l’ennemi commun et à se substituer à lui. Leur hostilité contre les Romains facilita seulement la conquête vandale. Tout comme les Romains, les envahisseurs germaniques durent compter avec les Berbères. Si Ghizéric réussit à les contenir, en les enrôlant dans ses armées, ses successeurs soutinrent contre eux une lutte incessante. La Maurétanie, la Kabylie, l’Aurès, la Tripolitaine se maintinrent indépendants. Les Byzantins qui, vainqueurs des Vandales, demeurèrent maîtres de l’Afrique du Nord pendant un siècle (531-642), ne furent pas plus heureux. Des chefs indigènes, tels qu’Antalas en Byzacène, Yabdas dans l’Aurès, opposèrent au gouverneur envoyé par Justinien, Solomon, une résistance dont celui-ci eut grand’peine à triompher. Après la mort de ce général, tué dans une expédition dirigée contre les Levates (Lawāta [q.v.]) de Tripolitaine, la situation en Afrique byzantine devint très critique. C’est seulement avec le concours des Berbères de l’Aurès que Jean Troglita parvint à arrêter l’invasion des Lawāta. Mais l’autorité byzantine n’était pas reconnue par toutes les populations indigènes. En dehors de la Byzacène, de l’ancienne Province d’Afrique (Tunisie) et de la partie septentrionale de la province de Constantine, des villes du littoral et de quelques places fortes de l’intérieur, les Berbères étaient partout indépendants. Ils formaient à ce moment trois groupes principaux: 1. — à l’Est, les Lawāta (Hawwāra, Awrīg̲ h̲ a, Nafzāwa, Awraba) répandus dans la Tripolitaine, la Cyrénaïque, le Djérid, l’Aurès; — 2. à l’Ouest, les Sanhād̲ ja̲ , disséminés à travers le Maghreb central et le Maghreb extrême (Kutāma de la Petite Kabylie, Zwāwa de la Grande Kabylie, Zanāta du littoral algérien entre la Kabylie et le Chélif, Ifren du Chélif à la Moulouya, G̲h̲ umāra du Rif, Maçmùda sur le littoral atlantique du Maroc, Gezula [voir Ḏj̲azjūla] du Grand Atlas, Lemta du Sud marocain, Sanhād̲ ja̲ «au lit̲h̲ āmt nomadisant dans le Sahara occidental); — 3. les Zanāta échelonnés aux confins des plateaux, de ¶ la Tripolitaine au Ḏj̲abal ʿAmūr, et s’avançant progressivement vers le Maghreb central et le Maghreb extrême.

(G. Yver*)

Bibliography

L’ouvrage fondamental est celui de S. Gsell, Histoire ancienne de l’Afrique du Nord, Paris 1913-28
voir aussi les travaux d’histoire cités dans la Bibl. des art. Algérie, Maroc, Tunisie, ainsi que la Bibl. de la section précédente, et Dureau de la Malle, L’Algérie, Paris 1852
Diehl, L’Afrique byzantine, Paris 1896
S. Gsell, Textes relatifs à l’Afrique du Nord: Hérodote, Alger-Paris 1916
P. Monceaux, Histoire littéraire de l’Afrique chrétienne depuis l’origine jusqu’à l’invasion arabe,  Paris 1900-23 
Berthelot, L’Afrique saharienne et soudanaise.
E. Albertini, L’Afrique romaine, 1937*, 1955 
J. Carcopino, L’Aptitude des Berbères à la civilisation, VIII Convegno «Volta», Rome 1938
R. Roget, Le Maroc chez les auteurs anciens, Paris s.d.
E. F. Gautier, Genséric, roi des Vandales, Paris 1935
Ch. A. Julien, Histoire de l’Afrique du Nord1, I 
C. Courtois, Les Vandales et l’Afrique, Paris [1955] (très important).

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