lundi 26 octobre 2020

IBN ‘ARABÎ : Vie, oeuvre, pensée et influences

IBN ‘ARABÎ: article révisé de l'Encyclopédie de l'Islam

 

Muḥyī l-dīn,  Ibn. al-ʿArabī al-Ḥātimī al-Ṭāʾī, appelé al-Shaykh al-akbar (1165-1240), fut un des plus grands Ṣūfis de l’Islam (on a l’habitude de le désigner à tort sous le nom d’Ibn ʿArabī, sans l’article, pour le distinguer d’Ibn al-ʿArabī, Abū Bakr [q.v.] et, en Turquie, on l’appelle souvent Muḥyī l-dīn ʿArabī).

Vie.

Il naquit à Murcie le 7 août 1165, dans une famille qui se disait issue de Ḥātim al-Ṭāʾī et il y avait des Ṣūfis parmi ses proches parents.

Quand il atteignit l’âge de huit ans, son père s’établit à Séville où Ibn al-ʿArabī commença son instruction proprement dite.

Dès son adolescence, il aurait servi de kātīb (secrétaire) à plusieurs gouverneurs.

Très tôt, au cours d’une maladie, il eut une vision qui changea sa vie et l’amena à considérer ses années antérieures comme une période de djāhiliyya (d’ignorance de la réalité divine)); la sincérité de cette «conversion» frappa énormément un ami de son père, le philosophe Ibn Rushd (Averoes) qui était alors ḳāḍī (juge) de Séville.

Bien qu’Ibn al-ʿArabī ait soutenu que sa maʿrifa (connaissance) lui fut communiquée sans intermédiaire, il cite dans ses ouvrages le nom de nombreux shaykhs (maîtres) qu’il servit et dont il rechercha la compagnie, notamment Abū Ḏjaʿfar al-ʿUraynī, Abū Yaʿḳūb al-Ḳaysī, disciple d’Abū Madyan  Ṣāliḥ al-ʿAdawī, expert dans la révélation de l’avenir, Abū l-Ḥadjdjādj̲ Yūsuf, etc. et deux femmes, Fāṭima bint al-Muthannā et Shams Umm al-Fuqarāʾ.

Ibn al-ʿArabī passa une dizaine d’années dans diverses villes d’Espagne et d’Afrique du Nord avec ces maîtres, mais demeura attaché à Séville jusqu’en 1194; au cours de cette année — il avait alors 30 ans — il se rendit à Tunis pour rencontrer un shaykh, un certain ʿAbd al-ʿAzīz al-Mahdawī et, l’année suivante, il gagna Fès où, en 1198, il écrivit son Kitāb al-Isrāʾ (le Livre de l’Ascension).

 

 

En 1199, il se trouvait à Cordoue, où il assista aux funérailles d’Ibn Rushd, puis à Alméria où il écrivit ses Mawāḳiʿ al-nudjūm.

En 1202, il revint à Tunis puis, passant par Le Caire et Jérusalem, il entreprit le pèlerinage; profondément ému par la vue de la Kaʿba qui, pour lui, représentait le point de contact entre les mondes de l’invisible (ghayb) et du visible (shuhūd), il séjourna deux ans à la Mekke, accomplissant souvent le ṭawāf, lisant, méditant et ayant des visions et des songes mystiques nombreux. C’est là qu’il écrivit son Tādj̲ al-rasāʾil et son Rūḥ al-ḳuds et qu’il commença, en 1202, ses grandes Futūḥāt makkiyya (Conquêtes spirituelles mekkoises) c’est là également qu’il adressa à ʿAyn al-Shams Niẓām, fille d’un Ispahanais résidant à la Mekke, les poèmes recueillis dans un dīwān (anthologie) intitulé Tardjumān al-ashwāḳ (l’Interprête des désirs).

En 1204, il rencontra à la Mekke un certain nombre de pèlerins anatoliens de Ḳonya et de Malaṭya, conduits par le père de Ṣadr al-dīn al-Ḳūnawī, Madjd al-dīn Isḥāḳ, qui vivait alors en Syrie et les accompagna dans leur voyage de retour, par Baghdād et al-Mawṣil (où ils passèrent quelques mois), jusqu’à Malaṭya où ils arrivèrent avant juillet 1205.

Le sultan de Ḳonya, Kay-Ḵhusraw Ier qui venait d’être rétabli sur son trône, invita Madjd al-dīn à revenir chez lui; celui-ci se fit accompagner par Ibn al-ʿArabī, et le sultan les combla tous deux de présents.

Dans les années suivantes, Ibn al-ʿArabī retourna à Jérusalem, au Caire et à la Mekke mais, en 1209-10, il est de nouveau à Ḳonya où, cette même année, il écrit la Risālat al-anwār.

Au cours des années suivantes, il visita Alep où il commença Tardjumān al-ashwāḳ qu’il acheva à Aksaray en 1215.

 À partir de 1216, il vécut surtout à Malaṭya et c’est là que naquit son fils Saʿd al-dīn Muḥammad en1221.

On ne sait ni pourquoi ni quand Ibn al-ʿArabī quitta définitivement l’Anatolie pour s’installer à Damas où on note sa présence en 1230 pour la première fois; il y éprouva probablement un certain malaise du fait qu’il était en butte aux critiques des Orthodoxes, mais il trouva des protecteurs parmi les ḳāḍīs et parmi les Ayyūbides. Il mena une vie calme de lecture et d’enseignement, composa, à la suite d’un songe qu’il eut en 1229, l’ouvrage qui eut le plus d’influence, les Fuṣūṣ al-ḥikam (Les Châtons de la sagesse) et à partir de 1233, revut et compléta ses Futūḥāt.

 Ibn al-ʿArabī mourut le 28 rabīʿ II 638/16 novembre 1240 dans la maison du ḳāḍī Muḥyī l-dīn Ibn al-Zakī et fut inhumé dans la turba de cette famille, sur les pentes du mont Ḳāsiyūn.

Ibn al-ʿArabī se maria plusieurs fois et eut probablement beaucoup d’enfants, mais on n’en connaît que deux: Saʿd al-dīn Muḥammad (né en 1221 à Malaṭya, m. en 1258 à Damas), qui était poète et ʿImād al-dīn Abū ʿAbd Allāh, mort en 1269 à Damas.

Le sultan ottoman Selīm Ier, alors qu’il se trouvait à Damas après sa campagne d’Égypte (1517-8), ordonna la réfection de la turbaIbn al-ʿArabī était enterré et la construction, à proximité, d’une mosquée et d’une takkiyya.

 Oeuvre.

Ibn al-ʿArabī fut certainement le plus fécond des auteurs ṣūfis; Brockelmann ne cite pas moins de 239 ouvrages. Ibn al-ʿArabī ne savait pas lui-même combien de livres il avait écrit. Le répertoire général d’Osman Yahia ne compte pas moins de 846 numéros.

En définitive, il est à peu près certain qu’Ibn al-ʿArabī est l’auteur d’environ 400 ouvrages dont certains, comme il le dit lui-même furent abandonnés à d’autres, certains mis en circulation et d’autres conservés par lui en attendant que Dieu lui ordonnât de les rendre publics. De nombreux livres d’Ibn al-ʿArabī, écrits par lui-même ou faisant partie de sa bibliothèque, échurent à Ṣadr al-dīn al-Ḳūnawī qui les légua en waḳf à la bibliothèque qu’il fonda à Ḳonya.

La production d’Ibn al-ʿArabī ne s’est pas cantonnée dans le domaine du taṣawwuf (soufisme), mais ses ouvrages dans d’autres domaines ne semblent pas avoir été conservés; parmi ces derniers on peut citer un abrégé du Ṣaḥīḥ de Muslim et un Kitāb Miftāḥ al-saʿāda, recueil des traditions rassemblées par Muslim et al-Bukhārī.

Parmi ses ouvrages de Ṣūfisme, les plus importants sont:

1. Al-Futūḥāt al-Makkiyya fī asrār al-mālikiyya wa-l-mulkiyya.L’ouvrage a été commencé à la Mekke en 598/1201 et achevé, d’après une tradition, en 629/1231. Il comporte six faṣls subdivisés en 560 bābs et expose dans son intégralité la doctrinie ṣūfie de l’auteur.

2. Fuṣūṣ al-ḥikam wa-k̲h̲uṣūs al-kilam. Ce sommaire des enseignements de 28 prophètes d’Adam à Muḥammad, dicté à Damas, au cours d’un songe, par le Prophète à l’auteur, a souvent été imprimé; tr. française partielle: T. Burckhardt, La sagesse des Prophètes, Paris 1955.

3. Kitāb al-Isrā ilā maḳām al-asrā. Il s’agit d’un court ouvrage écrit en prose rimée (sadjʿ) à Fès en1198; il décrit le «miʿrād̲j̲» d’Ibn al-ʿArabī depuis le monde de l’existence (kawn) jusqu’à la station (mawḳif) en présence de Dieu;

4. Muḥāḍarāt al-abrār wa-musāmarāt al-ak̲h̲yār (Brockelmann2, n° 128). Le ms. Istanbul, Topkapisarayi, Ahmed III 2145, est daté de 711/1311-2; imprimé au Caire 1282 (lith.), 1305, 1324. Ce recueil d’anecdotes en deux volumes contient quelques additions apocryphes mais on est sûr de l’auteur pour l’essentiel de l’ouvrage.

5. Ḳalām al-ʿAbādila : recueil de «dires» attribués à de nombreux personnages (imaginaires) appelés «ʿAbd Allāh».

6. Risālat Rūḥ al-ḳuds fī munāṣaḥat al-nafs. Lettre écrite de la Mekke à son ami de Tunis ʿAbd al-ʿAzīz al-Mahdawī, contenant des critiques sur les préoccupations mondaines de Ṣūfis rencontrés et de nombreux renseignements sur les shaykh̲s connus en Espagne (ce dernier chapitre a été étudié et trad. en espagnol par M. Asín Palacios, Vidas de santones en Andalucía, Madrid 1933).

7. Kitāb al-Asfār. Sur les trois «voyages» vers, dans et à partir de Dieu.

8. Tardjumān al-ashwāḳ commentaire de ce dernier: (Kashf al-dhakhāʾir wa-l-aʿlāḳ ʿan wadjh Tardjumān al-ashwāḳ (Brockelmann2, no 129); Le texte existant contient 61 poèmes d’amour précédés de deux préfaces tout à fait contradictoires: selon la première, les pièces ont été écrites pour l’amour de Niẓām bint Makīn al-dīn et, selon l’autre, elles doivent être interprétées dans un sens allégorique; dans la conclusion du commentaire, il est dit qu’il a été écrit parce que les poèmes avaient provoqué des commérages en Syrie; la vérité pourrait être que ces poèmes forment deux groupes: les uns écrits en 1201-2 pour Niẓām, avec la première préface, et les autres lorsque Ibn al-ʿArabī avait près de 50 ans, c’est-à-dire vers 1213 avec la seconde préface; les deux groupes furent réunis lorsque le sharḥ fut entrepris.

Pensée.

La plupart de ses ouvrages étant toujours à l’état de manuscrits, il n’est pas encore possible de donner un aspect complet des idées d’Ibn al-ʿArabī; le résumé qui suit ne repose donc que sur une petite partie de ses écrits et notamment sur al-Futūḥāt al-makkiyya.

Mais avant d’examiner ses idées mystiques, il est nécessaire de considérer sa conception épistémologique.

Comme presque tous les Ṣūfis musulmans, Ibn al-ʿArabī tient la raison humaine pour gravement limitée; dans l’introduction des Futūḥāt , il divise les branches de la connaissance (ʿilm) en trois catégories:

a) celle qui est acquise par le truchement de la raison (ʿaḳl),

b) celle qui est obtenue à travers des «états» (ḥāl) et obtenue par perception du goût, de la couleur, etc.,

c) celle des mystères qui est celle que l’âme «souffle» (nafatha) dans le cœur et qui est en partie semblable — bien que supérieure — à la connaissance procurée par le ʿaḳl et le ḥāl, et en partie la connaissance provenant de «communications» (akhbār), c’est-à-dire des révélations de prophètes. Cette «connaissance», provenant de Dieu, avec ou sans la médiation d’un ange, et acquise uniquement au prix d’un entraînement mystique profond, est la maʿrifa; les branches véritables de la connaissance sont les maʿārif, et celui qui s’en rend maître connaît toute chose.

Les maʿārif, et particulièrement celles qui ont trait à la «voie» de Dieu, ne sauraient être acquises par la raison ou par le ḳiyās [analogie] qui en est l’instrument le plus efficace, car « chaque jour [Allāh] est pris par une œuvre» (Ḳurʾān, LX, 29). La véracité d’une affirmation dépend de sa source; les prophètes connurent des vérités par le moyen de l’inspiration (ilḳāʾ): celles-ci doivent être reçues avec foi et ne peuvent être l’objet de discussions. Ibn al-ʿArabī réclamait une autorité semblable en faveur de ses propres enseignements, étant donné que le walī [q.v.] est modelé sur le prophète dont il est l’héritier, mais il est loin de revendiquer le don de prophétie (nubuwwa) pour lui-même.

Les maʿārif d’Ibn al-ʿArabī, auxquelles il attribuait une origine uniquement divine, avaient en fait d’autres sources; une des principales était le Ḳurʾān, dont il avait cru pouvoir prendre la liberté d’interpréter les versets, les mots ou les lettres initiales de diverses sourates d’une manière qui n’avait aucun rapport avec le contexte; il étudia également les œuvres de mystiques tels que Ḏjunayd, Bāyazīd al-Bisṭāmī, al-Ḥallādj̲ et al-Ḳushayrī . Il subit aussi l’influence du néo-platonisme musulman (ses relations avec Ibn Rushd ont été indiquées plus haut), et il admit que la vérité se trouve dans les affirmations de philosophes tels qu’al-Ghazālī et al-Suhrawardī. En fait, la compréhension des écrits d’Ibn al-ʿArabī est rendue extrêmement difficile par le fait qu’il emploie comme équivalents interchangeables des termes ayant des sens différents pris à des sources aussi diverses que celles qu’on vient de citer.

Ibn al-ʿArabī croyait que Dieu est une Existence exempte de tous attributs; il employait à cet égard des expressions telles que ʿamāʾ muṭlaḳ, ghayb al-ghuyūb, suggérant presque ainsi que Dieu est inconnaissable. L’émanation (ṣudūr) d’autres êtres (mawdjūdāt) de cet Être est expliquée de façon extrêmement difficile à comptrendre par les non-initiés, mais concorde, dans ses éléments essentiels, avec la position néo-platonicienne, et donc bāṭinite (

L’homme accomplit diverses étapes qui sont conçues comme une série de voyages (asfār), dont trois en particulier: 

1) à partir de Dieu, al-safar ʿan Allāh, par lequel un homme ayant traversé les divers mondes (ʿawālim), est né dans le monde terrestre et est ainsi entraîné loin de Dieu;

2) vers Dieu, al-safar ilā Allāh, par lequel, et avec l’assistance d’un guide, il accomplit le voyage spirituel dans le but d’atteindre «la station de jonction (avec l’Intellect Universel) après la séparation» (maḳām al-djamʿ baʿd al-tafriḳa),

3) en Dieu, al-safar fī llāh; les deux premiers voyages ont une fin, mais le troisième n’en a pas: c’est le baḳāʾ bi-llāh. Le voyageur (sālik) qui fait le troisième voyage accomplit ceux des préceptes de la sharīʿa qui sont farḍ; extérieurement, il vit avec ses semblables, mais, à l’intérieur, il habite avec Dieu. Il n’est pas donné à chacun d’aller au delà du premier voyage, et seuls ceux qui ont un don spécial (khawāṣṣ) peuvent parvenir à la vision de Dieu; d’ailleurs, en ce qui concerne ces derniers, cela dépend de certaines conditions (shurūṭ) dont certaines sont remplies par le voyageur (sālik, murīd) lui-même, et  d’autres fournies par le shaykh. Même le Prophète a eu un shaykh̲, Gabriel; les shayk̲h̲s remplissent la fonction que les prophètes accomplirent de leur temps, sauf qu’ils n’instaurent pas une nouvelle sharīʿa.

La conception d’Ibn al-ʿArabī sur le «voyageur» est exposée plus spécialement dans sa Tuḥfat  et sa Ḥilyat al-abdāl ; les conditions que celui-ci doit remplir sont au nombre de quatre:

1) le silence (samṭ),

2) l’éloignement des hommes (ʿuzla),

3) la faim (djū ʿ)

et 4) la veille (sahar).

Leur observance avec une intention sincère (ikhlāṣ) éveillera en son cœur un amour (maḥabba) qui croîtra jusqu’à devenir une passion (ʿishḳ) tout à fait étrangère aux désirs égoïstes (shahwa) et c’est cette passion, en particulier, qui mène l’homme à Dieu.

Dans son voyage, le sālik rencontre une séried’«états» (aḥwāl), dont certains sont continus et donc appelés «lieux de repos» (maḳām, manzil), dans chacun desquels il apprend diverses maʿārif.

Lorsque le cœur est entièrement purifié, le voile (ḥidjāb) de ces «autres» choses qui cachent Dieu (mā siwā Allāh) est retiré, toutes choses, passées, présentes et futures sont connues, Dieu accorde la manifestation (tadjallī) de Lui-même, et finalement l’union avec Lui (waṣl) est accomplie.

Influence

Grâce à la protection de soutiens influents, Ibn al-ʿArabī ne fut mis en danger qu’une seule fois dans sa vie pour ses opinions, et ce fut en Égypte.

Ni lui, sa vie durant, ni ses disciples après sa mort ne fondèrent une ṭarīḳa (une école spirituelle); les deux plus grands instruments qui contribuèrent à répandre ses enseignements furent les ouvrages de son disciple Ṣadr al-dīn al-Ḳūnawī et le conventicule de ce dernier à Ḳonya qui réunit les savants ṣūfis venus en Anatolie et fuyant pour la plupart devant les Mongols. Le plus important parmi ceux-ci fut le poète ʿIrāḳī (m. 1287, auteur des Lamaʿāt; cette paraphrase abrégée des Fuṣūṣ en persan répandit l’enseignement d’Ibn al-ʿArabī jusque dans l’Iran oriental (de sorte que les Lawāʾiḥ de Ḏjāmī en sont une imitation).

Le mysticisme d’Ibn al-ʿArabī fut largement enseigné au Yémen, particulièrement à Zabīd où il souleva beaucoup d’hostilité; quelques fuḳahāʾ et ḳāḍīs demandèrent l’opinion de divers docteurs, et des fatwās déclarant que ses idées étaient une bidʿa (innovation illicite) et que chaque mot des Fuṣūṣ était un kufr (hérésie), furent émises, entre autres, par Ibn Taymiyya.

Ibn Ḵh̲aldūn dans son S̲h̲ifāʾ al-sāʾil, examine la pensée mystique d’Ibn al-ʿArabī et la trouve dénuée de sens et hérétique.

Il eut cependant de nombreux adeptes, deux grands ouvrages furent écrits pour sa défense: al-Ḳawl al-mubīn fī l-radd ʿan Muḥyī l-dīn, d’al-S̲h̲aʿrānī et al-Radd al-matīn…, de ʿAbd al-G̲h̲anī.

Les enseignements d’Ibn al-ʿArabī furent répandus en Perse et en Inde surtout par Ḏj̲āmī avec ses Lawāʾiḥ, un S̲h̲arḥ al-Fuṣūṣ en arabe et un S̲h̲arḥ Naḳs̲h̲ al-Fuṣūṣ en persan; mais là aussi ses doctrines furent attaquées, notamment par al-Taftazānī [q.v.] dans al-Radd wa-l-taṣnīʿ ʿalā Kitāb al-Fuṣūṣ.

Les idées d’Ibn al-ʿArabī eurent leur influence la plus profonde en Anatolie grâce à l’action des disciples de Ṣadr al-dīn, si bien que ses ouvrages devinrent des classiques dans les madrasas ottomanes et que des commentaires furent écrits par Dāwūd al-Ḳayṣarī

A partir de ce moment, cependant, les écrits hostiles cessent, et l’on se trouve en présence d’un courant continu de commentaires et de traductions des œuvres d’Ibn al-ʿArabī et surtout des Fuṣūṣ. Seul Ḏjalāl al-dīn Rūmī [1]exerça une influence comparable en Anatolie, mais les deux grands commentateurs du Mathnawī, interprétèrent l’ensemble de ce texte à la lumière de la doctrine d’Ibn al-ʿArabī, et non à celle des enseignements de Ḏj̲alāl al-dīn et, à partir du VIII/’XIVe siècle, cette doctrine moniste (waḥdat al-wud̲j̲ūd [q.v.]) devint le dogme principal du Ṣūfisme anatolien et de la philosophie exprimée dans la littérature de dīwān.

Ibn al-ʿArabī peut également avoir exercé une certaine influence sur l’Europe médiévale et notamment sur le missionnaire catalan Ramón Lull (vers 1235-1315; voir Carra de Vaux, Penseurs, IV, 223 sqq.); on a même suggéré que la description qu’il fit de son isrāʾ influença Dante (voir M. Asín Palacios, Islam and the Divine Comedy, tr. angl. H. Sunderland, Londres 1926, introduction et 42-52).

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Yāfiʿī, Mirʾāt al-d̲j̲anān, IV, 100 sqq.

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Muḥ. Rad̲j̲ab Ḥilmī, al-Burhān al-azhar fī manāḳib al-S̲h̲ayk̲h̲ al-Akbar, Caire 1326 (avec une tr. turque en marge).

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le même, .El Islam cristianizado, Madrid 1931, et ses articles cités dans Pearson, 2476-7

H. S. Nyberg, Kleinere Schriften des Ibn al-ʿArabī, Leyde 1919

A. Rechid, La quintessence de la philosophie d’Ibn Arabi, Paris 1926

A. E. Afifi, The mystical philosophy of Muḥyiddîn-Ibnul ʿArabí, Cambridge 1939

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Saffet Yetkin, Muhyi’d-dîn Arabî ve tasavvuf, dans Ank. Ün. Il. Fak. D., I (1952), 22-30

le même, Kelâmdan tasavvufa, ibid., II (1953), 1-22

H. Corbin, L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn ʿArabī, Paris 1958

Osman Yahia, Histoire et classification de l’œuvre d’Ibn ʿArabī, I-II, Damas (PIFD) 1964

Pearson, nos 2475-84, Supplément 1956-60, 725-31, Suppl. 1961-1965, 727, 781.

Cet article est un abrégé de la contribution d’Ahmed Ates à l’İA (fasc. 85, pp. 533-55), s.v. Muhyi-d-Dîn Arabî, où sont données de plus amples références.

(A. Ateş)

Citation

"Ibn al-ʿArabī." Encyclopédie de l’Islam. Comité de redaction: P. Bearman, Th. Bianquis, C.E. Bosworth, E. van Donzel, H.A.R. Gibb (Volume I: 1-320), W.P. Heinrichs, J.H. Kramers, G. Lecomte, E. Lévi-Provençal, B. Lewis, V.L. Ménage, Ch. Pellat, J. Schacht. Brill Online, 2013. Reference. SCD PARIS III SORBONNE NOUVELLE. 16 June 2013 <http://referenceworks.brillonline.com/entries/encyclopedie-de-l-islam/ibn-al-arabi-COM_0316>

 



[1] A Damas, l'illustre Ibn 'Arabî, voyant un jour Djalâl-Eddine Rûmî adolescent cheminer dans le sillage de son père, se serait écrié : « Louange à Dieu, voici un océan qui marche derrière un lac. »

 

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