dimanche 7 avril 2013

La plume la voix et le plectre: 6e partie

 

Programme d’une nawba algérienne


Même si le programme que nous allons exposer n’est pas toujours suivi par les interprètes, il mérite d’être connu dans son intégralité. Ceci permettra d’apprécier à sa juste valeur la question de la durée de la nawba dont nous parlions précédemment . Car il est clair que le temps nécessaire pour exécuter les différents éléments qui constituent une nawba complète dépassent largement une heure.

La nawba commence dans une apparente indécision avant que les sonorités ne se conjuguent dans un agencement d’une rigoureuse précision. On chemine ainsi jusqu’aux pièces finales, les khlasât, qui aboutissent à une clôture en apothéose, véritable feu d’artifice de sons et de rythmes. La nawba  est une succession de moments de communion musicale. Chacun de ses éléments vise à émouvoir l’auditeur en l’introduisant dans l’univers magique du mode, le tab’, dans lequel la nawba est présentée. Le musicien n’est-il pas appelé mutrib en arabe, c’est-à-dire “celui dont l’art provoque l’émotion” ?


A- La m’shâliya
Cette pièce non rythmée ouvre le programme discrètement, subtilement. L’air de rien, les instruments s’interpellent, cherchent le point d’accord, se rejoignent sur une note majeure, la quittent ensuite pour se retrouver à l’unisson sur une autre. Luth, kouitra, mandoline, violon, guitare se font signe (de l’arabe shâla-yushâlî) et recherchent l’accord.
Cette ronde des instruments, alternant retrouvailles et séparations sur les tons forts du mode aboutit à la dernière phrase dans laquelle tout s’harmonise. Les instruments entament alors ensemble, dans une parfaite cohésion, après un semblant d’hésitation, le rythme qui annonce l’entrée solennelle dans la tushiya.

B- La tushiya
Dans cette deuxième pièce instrumentale, un instrument de percussion (derbouka, târ, t’bilât...) entre en action. Les musiciens exécutent alors de façon méthodique, une à une les parties[1] qui la composent. Ces mélodies annoncent les airs qui seront présentés - en solo ou en choeur - par les chanteurs dans les sections vocales qui suivront la tushiya. L’un après l’autre, les différents motifs de la nawba sont passés en revue comme cela se produit lorsqu’une mariée expose ses habits dans la tasdîra étalant ainsi sa richesse vestimentaire.
Les lignes mélodiques que les musiciens développeront par la suite se suivent une à une. L’auditeur commence alors à s’installer dans l’univers modal choisi pour le concert à présenter. Au cours de cette exposition, l’oreille se prépare aux reconnaissances ultérieures en s’imprégnant des échantillon qui annoncent les riches mélodies que recèle la nawba.
La tushiya s’articule en plusieurs parties. En passant de l’une à l’autre, l’instrument de percussion, qui guide l’ensemble de la formation, accélère le tempo. Et lorsqu’à la fin de cette vaste ouverture instrumentale, les musiciens redonnent à entendre les phrases mélodiques par lesquelles ils avaient commencé, le rythme s’emballe peu à peu jusqu’à la transe pour se ralentir sur le dernier motif mélodique permettant d’accéder à la première pièce vocale : le m’saddar.

 
C- Le m’saddar
La voix entre alors en jeu, dans un mouvement lent et majestueux. Le m’saddar, comme l’indique son nom (sadr : poitrine) trône avec solennité au cœur de la nawba dont il est la pièce maîtresse. Les capacités musicales du chanteur soliste, du choeur ou des deux à la fois sont  mises à  l’épreuve dans  ce  mouvement. Les  instruments  accompagnent  le chant et lui donnent la réplique après chaque poème (généralement la strophe d’un muwashshah ou d’un zajal comportant environ cinq lignes).
Austère par définition, le m’saddar accueille cependant toutes les ornementations du munshid (le chanteur soliste) tant que celles-ci ne viennent pas contredire l’esprit de  ce  moment particulier de  la  nawba.   Il  arrive, hélas, que  des interprètes, ressentant le tempo trop lent, s’en éloignent pour répondre à la demande de publics souvent attirés par les pièces légères. Ce faisant, ils dévoient de sa finalité originelle cette musique. Il en résulte toujours un appauvrissement de la structure riche et variée de la nawba. Une ambiguïté réductrice s’installe alors entre le m’saddar et d’autres mouvements de la nawba.
Il n’est pas rare d’entendre des ensembles interpréter des nawbât sans aucun m’saddar alors qu’il est vital de lui conserver sa place centrale. Jugées longues et ennuyeuses par certains publics et interprètes, les pièces du m’saddar constituent, en réalité, des morceaux de choix que savent apprécier les vrais mélomanes. C’est la pièce par excellence qui leur permet de communier avec les musiciens et interprètes dans l’univers sonore du tab’ se déployant dans son intégralité et toute sa majesté.
Dans le m’saddar, la prouesse musicale consiste à maîtriser le tempo, avec beaucoup de retenue, comme pour faire durer un plaisir qu’aucun autre mouvement de la nawba ne  pourra donner. Certains motifs ébauchés auparavant vont être étalés. Voix et instruments détaillent chaque méandre de la ligne mélodique donnant ainsi à l’auditeur le fil d’Ariane qui devra le conduire au coeur du labyrinthe mélodique qui caractérise le mode présenté.
Après avoir apprécié, en hôte privilégié et respecté, les déploiements pleins de finesse du m’saddar, l’auditeur est maintenant initié au secret de cette musique. Il la ressent alors comme un écho encore vivant d’une époque mythique où l’on savait encore écouter et s’émouvoir.Une fois achevée cette partie du parcours quasiment initiatique, constituée par le m’saddar, le musicien peut alors entraîner avec lui l’auditeur dans les mouvements suivants sans grand effort.

D- Le b’tayhi
Second mouvement, le b’tayhi –tout comme le darj- ne diffère pas du m’saddar pour ce qui est du rythme. Mais les pièces vocales sont interprétées dans un tempo désormais libéré de la contrainte qui s’imposait précédemment. Cependant, on ne va pas au-delà d’un certain seuil qui altérerait le traitement mélodique spécifique aux deux premiers mouvements. L’accompagnement instrumental y est plus marqué, plus présent. Les répliques instrumentales sont plus rapides que la partie vocale. Les pièces chantées vont contribuer à réjouir l’âme de l’auditeur attentif et patient grâce au plaisir qui naît  de la reconnaissance de mélodies déjà entendues.

E-  Le darj
Avec la petite pièce instrumentale de transition appelée kursi, le mouvement devient plus rapide dans cette 3éme série de chants. Jusqu’à présent, la nawba s’est déroulée sur des mesures binaires ou quaternaires. Dans le darj, une mesure ternaire -3/4 ou 5/8 - va apparaître à la fin de la strophe chantée.

F- Tushiyya-t al-insirâfât
C’est la 2e ouverture instrumentale  qui permet aux chanteurs de reposer leurs voix. Elle constitue  une transition  entre  la  première  partie   de  la  nawba  et  la suivante de mesure ternaire et de tempo de plus en plus vif. cette ouverture se déroule sur un mesure à 5/8 dans le même mouvement que la pièce vocale qui lui succède. Actuellement seule la nawba dans  le tab’ ghrîb  possède une tushiya de ce genre.

G- Insirâf
Précédés d’un kursî, les chants de cette section ont la même structure que ceux des séries précédentes, sauf que le rythme est de mesure ternaire (légèrement boiteux 5/8 ou parfois 6/8). Son mouvement est assez vif et sa mélodie légère est assez rapide. Ceci incite les musiciens à multiplier le nombre d’insirâfât qui peuvent atteindre la dizaine dans une même nawba.

H- Khs
Avec une mesure ternaire ( 6/8 ) et un tempo alerte et dansant le khs est la dernière section de la nawba. Les khsât, parce qu’il y en a toujours au moins deux, ne sont pas précédés de kursî. Exécutés à l’unisson, ils mènent la nawba vers un véritable feu d’artifice mélodique. Le mouvement s’accélère de plus en plus avant de s’éteindre brusquement.

I- Tushiya-t al-kamâl
Pour clore le tout et avant d’entamer la nawba suivante, on peut exécuter cette tushiya.






[1] Ces parties sont généralement au nombre de cinq

1 commentaire:

Calligraphie Jacques Lombard a dit…

La calligraphie arabe contemporaine est de Jacques Lombard
FB : jac calligraphie arabe